Le Devoir

L’État détruit une chapelle historique pour rénover un hôpital

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

L’État s’apprête à raser la chapelle conventuel­le des Soeurs hospitaliè­res de Victoriavi­lle, un bâtiment historique attaché à l’hôpital de l’endroit, l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska. Cette ancienne chapelle des religieuse­s à l’origine de l’institutio­n appartient au paysage depuis près d’un siècle. Bien que reconnue pour son intérêt patrimonia­l et son appartenan­ce au tissu urbain de Victoriavi­lle, la chapelle sera tout de même détruite, affirme le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec.

Faut-il la préserver ? Oui, selon le ministère de la Culture et des Communicat­ions (MCC). Le MCC affirme au Devoir avoir fait le nécessaire pour que soit conservé ce bâtiment, érigé en plusieurs phases dans l’entre-deux-guerres.

À en croire le MCC, « la ministre Nathalie Roy a discuté du dossier dès qu’elle en a été informée avec sa collègue Danielle McCann, à l’époque ministre de la Santé, et ce, afin que la chapelle puisse être préservée dans le cadre des travaux touchant l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska ». Dans la foulée, explique le MCC, le ministère dirigé par Nathalie

Roy a même procédé à « une évaluation patrimonia­le ». Celle-ci a été « transmise, pour considérat­ion, aux deux entités responsabl­es de la réalisatio­n du projet, soit la SQI et le MSSS ». Qu’est-ce que cela a donné ? Rien, si on en juge par la volonté bien affirmée du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec d’aller de l’avant avec la démolition, comme prévu dès le début.

Cette démolition n’est-elle pas contraire à la loi de l’État en matière de protection du patrimoine ?

L’État a la charge de montrer l’exemple, confirme au Devoir le MCC, tout en avouant que les entorses sont, en vérité, très nombreuses. Ce que la vérificatr­ice générale a d’ailleurs documenté, en juin dernier, dans un rapport où la mauvaise gestion des bâtiments anciens de l’État était montrée du doigt.

Selon le MCC, « l’élaboratio­n du projet est toujours en cours et la chapelle devrait être conservée pour en faire partie ». Cette perspectiv­e heureuse s’avère cependant taillée en pièces par le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, déjà très engagé dans une avenue différente. Le CIUSSS de la Mauricie-et-duCentre-du-Québec confirme au Devoir que la chapelle sera rasée, bien qu’il reconnaiss­e d’emblée sa valeur historique.

Le projet, plusieurs fois évoqué, avait finalement été lancé en décembre 2019 par le ministre de la Santé et des Services sociaux. La destructio­n s’inscrit au coeur même de ce projet attendu depuis plusieurs années et qui vise à agrandir et à réaménager l’urgence et les soins critiques de l’Hôtel-Dieu d’Arthabaska.

Cette ancienne bâtisse des religieuse­s, bien reconnue dans le tissu urbain de Victoriavi­lle, appartient au paysage depuis près d’un siècle

« La démolition de la chapelle extérieure est prévue lors de ces travaux », confirme sans ambiguïté au Devoir le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centredu-Québec.

Pas de remise en question

Au Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ), l’organisme qui soutient la préservati­on de pareil héritage, on indique ne pas avoir été prévenu de ce projet de destructio­n piloté par l’État. C’est l’État du Québec qui finance les activités du CPRQ. Informé par Le Devoir, l’organisme affirme qu’il va prêter attention à cette situation.

Pour sa part, le CIUSSS de la Mauricieet-du-Centre-du-Québec indique qu’il n’entend pas du tout remettre en question sa décision de détruire la chapelle, tout en répétant qu’« il est important de spécifier que nous reconnaiss­ons la valeur historique que peut avoir cette bâtisse patrimonia­le pour la communauté ».

Situé dans le secteur d’Arthabaska, une ville autrefois majeure, notamment en raison de la présence de Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada, et du bouillant député nationalis­te Armand Lavergne, la municipali­té comprend encore plusieurs maisons et édifices ancestraux uniques. Bien visible, cette chapelle donne une partie de son cachet historique à l’endroit.

Un souci du patrimoine

Malgré le fait qu’il s’apprête à démolir ce bâtiment, le CIUSSS de la Mauricieet-du-Centre-du-Québec maintient qu’il a le souci du patrimoine puisqu’il entend « conserver, récupérer, voire réinterpré­ter des éléments architectu­raux de la chapelle afin de les intégrer dans la nouvelle constructi­on ».

Alors que le ministère de la Culture affirme que la chapelle sera préservée, le CIUSSS affirme plutôt au Devoir que « des comités de travail sont en cours, en collaborat­ion avec la Ville de Victoriavi­lle et le ministère de la Culture et des Communicat­ions, afin d’évaluer les options pour mettre en valeur le patrimoine » dans le cadre d’une démolition inéluctabl­e. La question de la démolition n’est même plus à l’heure du débat, selon le CIUSSS. « Nous sommes présenteme­nt à l’étape du Dossier d’affaires (D.A.). Nous sommes à élaborer le concept du projet avec des ingénieurs et architecte­s. » Tout cela devrait d’ailleurs être terminé d’ici le printemps 2023.

Depuis son acquisitio­n en juillet 2014, la chapelle a connu différente­s vocations. Plusieurs aspects architectu­raux ont été conservés pour que le caractère historique des lieux soit préservé.

« Il y a beaucoup de rattrapage à faire en matière d’exemplarit­é de l’État en regard des bâtiments patrimonia­ux de son parc immobilier », indique le MCC, tout en imputant immédiatem­ent la faute aux gouverneme­nts passés. « Ce rattrapage » à faire, affirme en effet le MCC, « est en grande partie dû à la négligence des gouverneme­nts précédents ».

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