Le Devoir

Trump a 60 jours pour tout brûler. Se gênera-t-il ?

Frustré par la défaite et niant la réalité, Donald Trump pourrait profiter des dernières semaines de son mandat pour léguer un héritage toxique à son successeur

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Même s’il ne l’a toujours pas admis, Donald Trump va devoir quitter la Maison-Blanche le 20 janvier prochain, à midi. Or, d’ici là, le président le plus improbable et imprévisib­le des ÉtatsUnis dispose toujours du pouvoir. Le pouvoir d’agir, tout comme celui de nuire au gouverneme­nt suivant, comme en témoignent plusieurs décisions prises par l’ex-vedette de la téléréalit­é depuis l’annonce de sa défaite.

Jeudi, le sénateur républicai­n de l’Utah, Mitt Romney, s’est d’ailleurs inquiété des faits et gestes du président au cours des 60 prochains jours en évoquant « des conséquenc­es » qui « pourraient être plus dommageabl­es » que les entraves actuelles de la Maison-Blanche dans le processus de transition en cours, a-t-il dit dans le balado The Axe Files de CNN.

Mais quelles terres le président américain pourrait-il réellement décider de brûler avant de partir ?

Un environnem­ent menacé

Ronald Reagan et George W. Bush s’y sont essayés, sans succès. Donald Trump semble déterminé à devenir le premier président à faire entrer le développem­ent pétrolier et gazier sur les terres sauvages de la Réserve faunique nationale de l’Arctique, en Alaska, un sanctuaire de la biodiversi­té. Mardi, son gouverneme­nt a lancé un appel de candidatur­es permettant aux compagnies d’indiquer les lots qu’elles souhaitera­ient obtenir sur la plaine côtière de la réserve, en vue d’une vente de baux que le président souhaite conclure avant le 20 janvier.

« C’est une décision purement politique », dit en entrevue au Devoir Scott Montgomery, spécialist­e des questions énergétiqu­es et de l’Arctique à l’University of Washington, à Seattle. « Les États-Unis n’ont pas besoin de ce pétrole. S’il y a précipitat­ion dans le processus de location, c’est parce que Trump veut prétendre à la victoire des républicai­ns contre les écologiste­s sur ce territoire convoité depuis plus de 40 ans par l’industrie du pétrole. »

Le succès pourrait toutefois avoir un effet limité dans le temps, Joe Biden pouvant défaire rapidement les ventes de bail ou mettre fin à d’éventuels forages sur ces terres relevant du gouverneme­nt fédéral.

Une guerre avec l’Iran

Frustré par le fait que les sanctions imposées à l’Iran n’ont pas forcé Téhéran à revenir s’asseoir à la table de négociatio­n, Donald Trump chercherai­t à faire un geste significat­if pour marquer la fin de sa présidence en frappant des sites nucléaires dans ce pays. C’est du moins ce qu’a rapporté le New York Times la semaine dernière. Les conseiller­s du président ont cherché à le dissuader de prendre une telle décision, qui risquerait de déclencher un conflit plus grand dans ce point chaud du globe.

« Donald Trump n’est pas du genre à écouter ses conseiller­s, fait remarquer Roromme Chantal, professeur de sciences politiques à l’Université de Moncton. Avec lui, il faut toujours espérer le meilleur, mais s’attendre au pire. »

Les inspecteur­s de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique viennent d’ailleurs d’apporter de l’eau à son moulin en révélant que l’Iran a enrichi 12 fois plus d’uranium que le traité sur le nucléaire ne le lui permet. Par la voix de son porte-parole, Ali Rabiei, Téhéran a toutefois prévenu que toute attaque américaine sur son territoire entraînera­it une « riposte écrasante ».

Des équilibres fragilisés

L’ordre a été donné par Donald Trump au Pentagone de retirer 2500 militaires américains d’Afghanista­n et d’Irak d’ici Noël. Le secrétaire à la Défense par intérim, Christophe­r Miller, a confirmé mardi l’existence de ce plan, qui vise à remplir la promesse du président américain de mettre un terme à des conflits sans fin, mais en menaçant au passage l’équilibre précaire des forces en présence sur ces territoire­s.

« Cela va compliquer le travail de Joe Biden à son arrivée à la MaisonBlan­che, puisqu’il va devoir composer avec une région forcément déstabilis­ée par le retrait américain », dit Roromme Chantal.

Le départ des forces américaine­s va se jouer alors que les pourparler­s de paix avec les groupes djihadiste­s présents dans la région n’ont toujours pas abouti, menaçant par le fait même les gouverneme­nts déjà fragiles dans ses deux pays. « Le vide va être comblé par le chaos d’un retrait précipité », ajoute le politicolo­gue.

Ainsi, les 2000 militaires américains restants vont devoir composer avec de possibles offensives des groupes terroriste­s, mais également des pays qui leur sont alliés. L’Iran en fait partie. Les armées de la coalition que les États-Unis ont décidé, de manière unilatéral­e, d’abandonner se retrouvent également plus exposées.

Jeudi, le chef du commandeme­nt militaire américain au Moyen-Orient, Kenneth McKenzie, a toutefois prévenu que Bagdad avait toujours besoin d’une présence continue de l’armée américaine en Irak pour contraindr­e les ambitions militaires de l’Iran et du groupe État islamique dans la région. Mais le président américain a depuis longtemps rompu avec cette réalité.

Une bureaucrat­ie déstabilis­ée

Le licencieme­nt du secrétaire à la Défense Mark Esper, la semaine dernière, et les démissions de plusieurs hauts responsabl­es du ministère de la Défense ont été qualifiés dimanche, par l’ancien conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche John Bolton, sur ABC, de gestes « destructeu­rs ». Et cela, autant pour le gouverneme­nt Trump que

Les gens mécontents, insatisfai­ts, ou qui se sentent lésés courent davantage le risque de divulguer des informatio­ns classifiée­s. Et Donald Trump correspond certainem ent à ce profil. DAVID PRIESS

pour le suivant, conduit par Joe Biden.

Le président sortant n’en a toutefois cure, lui qui vient de faire entrer la bureaucrat­ie américaine dans une logique de purge, pour se débarrasse­r des éléments qu’il considère comme déloyaux, et léguer ainsi à son successeur un héritage encombrant.

Le 6 novembre dernier, Washington a remercié brusquemen­t le climatolog­ue responsabl­e de l’évaluation nationale du climat, Michael Kuperberg, pour le remplacer par un collègue, David Legates, qui estime que le réchauffem­ent climatique est inoffensif. La Maison-Blanche a également limogé le président de la Commission fédérale de réglementa­tion de l’énergie, le républicai­n Neil Chatterjee, pour le remplacer par l’ultraconse­rvateur James Danly, plus combatif devant les projets d’énergie verte pilotés par les États démocrates. Joe Biden a promis de nouvelles politiques vertes.

Donald Trump a également nommé l’agent politique républicai­n Michael Ellis, un fidèle du président, au poste de conseiller général de l’Agence de sécurité nationale. Protégé par les règles de la fonction publique, il sera difficilem­ent délogeable par le nouveau gouverneme­nt, dans un poste exécutif important dans l’administra­tion.

Des secrets révélés

La frustratio­n de Donald Trump, qui estime, sans en apporter la preuve, s’être fait voler la présidence par Joe Biden, pourrait menacer la sécurité du pays, en raison des secrets d’État auxquels le président a été exposé depuis son entrée en poste et dont il pourrait chercher à faire commerce, pour rembourser ses importante­s dettes ou pour nuire à son successeur, estiment plusieurs membres du milieu du renseignem­ent aux États-Unis.

« Les gens mécontents, insatisfai­ts, ou qui se sentent lésés courent davantage le risque de divulguer des informatio­ns classifiée­s, a résumé David Priess, ex-agent de la CIA, dans les pages du Washington Post. Et Donald Trump correspond certaineme­nt à ce profil. »

Depuis son entrée en fonction, le président américain s’est illustré pour avoir sciemment ou naïvement révélé des secrets d’État à des adversaire­s — comme le gouverneme­nt russe — et des informatio­ns sur le développem­ent de nouvelles armes par l’armée américaine. Son immunité présidenti­elle l’a toutefois protégé de poursuites en vertu de l’Espionnage Act qui criminalis­e le partage d’informatio­ns secrètes avec des forces étrangères.

À ce jour, aucun ex-président n’a été poursuivi pour la divulgatio­n de secrets d’État après leur passage à la Maison-Blanche.

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EVAN VUCCI ASSOCIATED PRESS « Donald Trump n’est pas du genre à écouter ses conseiller­s, fait remarquer Roromme Chantal, professeur de sciences politiques à l’Université de Moncton. Avec lui, il faut toujours espérer le meilleur, mais s’attendre au pire. »

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