Québec adapte-t-il ses mesures assez vite ?
Certains chercheurs croient que le gouvernement se prive des meilleures ressources scientifiques
Québec adapte-t-il assez rapidement ses directives de santé publique en fonction de l’évolution de la science ? Plusieurs universitaires se disent satisfaits de la réactivité des autorités, mais d’autres critiquent durement le gouvernement, qui se prive, selon eux, des meilleures ressources scientifiques disponibles, y compris celles du fédéral.
Don Sheppard, le directeur de l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill (MI4), croit que Québec ne se fie pas assez aux rapports provenant de l’extérieur de son giron. Il espère vivement que la société arrivera à « faire une brèche » dans ce qu’il appelle « la mentalité de bunker du gouvernement ». « Il faut rendre cela plus ouvert, plus transparent et plus flexible, dit-il. Les données évoluent, il faut évoluer avec les données. Et nous devons dire clairement comment nous évoluons avec les données afin de conserver la confiance du public. »
La semaine dernière, le ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Christian Dubé, a annoncé la formation d’un comité qui se penchera sur la propagation par aérosols et par la ventilation dans les écoles. Jusqu’à présent, a-t-il dit, « ça n’a pas été prouvé » que la contamination aérienne
Il faut rendre cela plus ouvert, plus transparent et plus flexible
DON SHEPPARD
est une composante significative de la transmission. Cet énoncé concorde avec les connaissances scientifiques actuelles, mais pourquoi, sur son site Web, le gouvernement du Québec ne reconnaît-il pas officiellement, comme celui du Canada, que les aérosols sont néanmoins une voie de transmission possible de la maladie ?
« Les gens aiment le blanc et le noir, dit Quoc Dinh Nguyen, gériatre et épidémiologiste au CHUM. Pour être transparent, il faut parfois être capable de dire qu’on ne sait pas, ou qu’on ne sait pas encore, et qu’on va prendre telle décision malgré l’incertitude. C’est toujours un défi. » Et les enjeux sont grands : s’il y a un décalage entre les politiques et la science, ou même une apparence de décalage, l’adhésion du public peut rapidement péricliter.
« Un problème biologique »
Le Dr Sheppard ne veut pas insister sur la ventilation dans les écoles. Selon lui, on ignore quel niveau d’aération peut vraiment changer les choses. Cependant, il considère que les autorités québécoises sont à la traîne de l’état de la science quant au port du masque. Depuis que, le 2 novembre, la santé publique du Canada conseille de porter le masque à l’intérieur même quand la distanciation physique est respectée. Dès la fin du primaire, et peu importe le niveau d’alerte, les élèves devraient porter un masque en tout temps à l’intérieur, croit le Dr Sheppard. Même chose dans les universités, où une partie des activités se déroule en présentiel.
« L’Université McGill s’est fait dire [par les autorités] que les étudiants peuvent enlever leur masque quand ils sont assis à deux mètres de distance. Nous n’avons décidé que récemment de changer cette consigne, malgré le fait que le gouvernement provincial ne s’est pas ajusté aux données et n’a pas suivi les recommandations fédérales », dit celui qui était impliqué dans le récent changement de politique.
« Ce n’est pas le moment d’être une société distincte, ajoute-t-il. J’aime cette province de tout mon coeur, mais nous devons reconnaître que nous faisons face à un problème biologique, pas politique. »
Cara Tannenbaum, une chercheuse à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), partage les critiques formulées par Don Sheppard. (Les deux forment un couple marié.) Elle confirme que six rapports préparés par CanCOVID, un regroupement de chercheurs créé par le fédéral, ont été soumis en juin et en juillet au gouvernement du Québec. « Il faut souligner que nous n’avons pas reçu de confirmation [qu’ils avaient été] lus ou même reçus par les décideurs à qui ils étaient destinés », écrit la cofondatrice de CanCOVID dans un courriel au Devoir. Plusieurs chercheurs québécois ont contribué à la rédaction de ces rapports destinés à informer les décideurs, ajoute-t-elle.
D’autres spécialistes ont l’impression que le processus de prise de décisions fonctionne bien, mais qu’il est évidemment perfectible.
Le Dr Nguyen rappelle que le Québec — mais également d’autres entités, comme l’Organisation mondiale de la santé ou les États-Unis — a mis plusieurs semaines, au printemps, à exiger le port du masque afin de contrer la transmission asymptomatique. Et ce, malgré de premières études « assez convaincantes » en la matière. « Dans une pandémie, une semaine de retard, ça peut avoir de très, très, très grandes conséquences », dit l’ex-chef de l’escouade chargée de limiter la propagation de la COVID-19 dans les milieux de vie pour personnes aînées au Québec.
Des délais « coûteux »
Le Dr Nguyen suspecte que certaines positions tardent à être adoptées à
Ce n’est pas le moment d’être une société distincte. J’aime cette province de tout mon coeur, mais nous devons reconnaître que nous faisons face à un problème biologique, pas politique.
DON SHEPPARD
cause des délais occasionnés par la structure de consultation scientifique : le ministère de la Santé prend des décisions, informé par sa Direction générale de la santé publique, qui peut confier des mandats d’analyse à l’Institut de santé publique du Québec (INSPQ) et à l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS). « Dans une pandémie où les décisions doivent être prises rapidement, je pense que ces délais-là peuvent être, par moments, coûteux », dit-il.
La microbiologiste-infectiologue Caroline Quach-Than, du CHU SainteJustine, rappelle que de tels délais sont inévitables compte tenu des « rouages administratifs » des gouvernements. « J’aurais été éminemment plus critique avant d’être présidente de différents comités aux niveaux provincial et fédéral », dit celle qui est membre du Groupe d’experts sur la COVID-19 de la scientifique en chef du Canada. L’important, croit-elle, n’est pas que Québec ratifie la reconnaissance par Ottawa du potentiel de transmission aérienne, mais plutôt que les mesures sanitaires qui se rapportent à cette question soient adéquates — ce qui est le cas, selon elle.
La Dre Quach-Than pense toutefois qu’il serait intéressant que Québec se dote d’un comité scientifique externe multidisciplinaire qui lui procurerait « une vision plus panoramique ». Pour l’instant, le MSSS et l’INSPQ s’adjoignent ponctuellement des experts de l’externe pour certains dossiers. Cependant, un comité réunissant, par exemple, des virologues, des ingénieurs, des chercheurs en sciences sociales et d’autres en sciences fondamentales « permettrait probablement d’avoir une approche beaucoup plus diversifiée et moins d’angles morts. […] Il ne faudrait toutefois pas que ça dédouble ce que d’autres comités font déjà [au fédéral, par exemple]. C’est pour ça que c’est important d’avoir une bonne chaîne de communication », précise-t-elle.
« Je trouve qu’on a mis en place assez rapidement un processus qui me semble fonctionner assez bien », croit pour sa part Marie-France Raynault, cheffe du Département de santé publique et de médecine préventive du CHUM, qui louange le travail de l’INSPQ et de l’INESSS. Les deux instituts peuvent à la fois se saisir eux-mêmes de questions et répondre à des commandes du gouvernement. La Dre Raynault est convaincue de leur pleine liberté scientifique : en témoigne, par exemple, la recommandation des demi-classes, qui mettait en porte-à-faux un ministère de l’Éducation aux prises avec des pénuries d’enseignants et de locaux.
« On en a pour dix ans à étudier si on a pris les bonnes décisions ou non. Je regarde la situation internationale et je trouve que, au Québec, on n’est pas si mal », conclut-elle.