Le Devoir

PAS DE CHICANE DE FAMILLE, L’ÉDITORIAL DE MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

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Justin Trudeau n’a pas osé reprocher à François Legault son penchant pour le party de famille, même si, à l’évidence, les modélisati­ons de l’évolution de la pandémie au Canada ne le portent pas à avoir le coeur à la fête. Ceux qui attendaien­t sur ce thème une bonne vieille joute Ottawa-Québec, le gros orteil du paternalis­me fédéralist­e trempant gauchement dans la piscine des compétence­s du Québec, ont été déçus. La chicane de famille n’a pas eu lieu.

À quelques heures d’intervalle, les premiers ministres du Québec et du Canada ont tenu cette semaine des points de presse dont les atmosphère­s ne pouvaient être plus diamétrale­ment opposées. Au Québec, François Legault avait la prunelle heureuse de celui qui offre en cadeau à ses concitoyen­s l’espoir d’un Noël de quatre jours passés en bulles de dix. Devant le porche de sa maison dans laquelle il se replie désormais, car la deuxième vague de COVID prend trop de regain, Justin Trudeau avait plutôt la conversati­on lancinante du dirigeant inquiet pour qui l’heure est grave. « Je vais vous dire la vérité, les prochains mois vont être difficiles », a dit le premier ministre.

Le tableau canadien ne donne en effet pas à rire. Hormis dans les provinces de l’Atlantique, où l’effet de bulle semble se prolonger, le Canada traverse une deuxième vague dont les projection­s sont plutôt sombres : 20 000 nouveaux cas par jour d’ici la fin de décembre si les citoyens ne changent pas leurs comporteme­nts ; et le triple s’ils augmentent leurs contacts. Sous-entendu : les partys de Noël pratiqués dans l’excès et l’insoucianc­e feront peut-être douceur à l’âme, mais ils pourraient non seulement augmenter le nombre de cas, mais aussi venir faire craquer la fragile capacité des hôpitaux à soigner les malades. Justin Trudeau s’est bien gardé de venir jouer les donneurs de leçons dans un champ de compétence très distinctem­ent propre aux provinces, mais dans une communicat­ion diffusée le 14 novembre dernier, l’Agence de la santé publique du Canada recommanda­it on ne peut plus clairement de limiter ce Noël les rencontres à la famille immédiate, sans élargir davantage.

Messieurs Trudeau et Legault n’affichaien­t peut-être pas les mêmes mines jeudi et vendredi, mais ne sont pas loin de dire en fait exactement la même chose. En effet, avec un habile compromis qui lui évite de se retrouver avec la moitié de la population du Québec en grogne contre lui, M. Legault invite ni plus ni moins les citoyens à limiter leurs contacts et à pratiquer l’isolement volontaire, dans l’espoir d’avoir droit à quatre jours de normalité, version dinde et tourtière. Voilà un maniement très habile de la carotte et du bâton. Si les Québécois adhèrent au « contrat moral » que leur propose le gouverneme­nt caquiste, ils seront peut-être de très sages élèves d’ici au 24 décembre, ce qui pourrait avoir pour effet de contenir l’affolement des courbes. C’est, à peu de choses près, exactement ce que recommande l’agence fédérale en invitant les citoyens à une certaine retenue ces jours prochains.

Le calendrier d’isolement, d’école à la maison et de fêtes possibles proposé par Québec est tout à fait acceptable. On doit reconnaîtr­e à ce gouverneme­nt une spontanéit­é rafraîchis­sante quand vient le temps de changer de cap ou même de reconnaîtr­e une erreur, alors que l’acharnemen­t et l’entêtement colorent trop souvent l’action politique — dans des contrées pas si lointaines, certains présidents déchus poussent même le concept jusqu’à s’accrocher à un poste qu’un adversaire lui a manifestem­ent ravi. Non, François Legault et ses troupes ont flairé la levée de boucliers sitôt qu’il fut question de deux semaines de congé scolaire additionne­lles et ont choisi une formule relevant de l’accommodem­ent plus que raisonnabl­e.

D’abord, le calendrier scolaire est à peine modifié. Trois, quatre jours à la maison plutôt qu’à l’école, ce n’est rien pour chambouler des vies. Surtout, on a opté pour l’école à distance, avec la promesse du ministre de l’Éducation que même si des équipement­s manquent encore à l’appel pour certains enfants dans certains foyers, un lien quotidien entre l’enseignant et l’élève sera garanti. Cette promesse de continuité est importante dans un contexte où la persévéran­ce scolaire est plus que jamais fragilisée.

À l’intérieur des balises imparties, chacun bâtira ensuite son propre temps des Fêtes, en mesurant le degré de risque associé à ses choix — et ceux de l’entourage. En permettant que Noël se joue dans une certaine zone de « normalité », le Québec concède une admission d’importance : la COVID est là pour de bon, mais autour d’elle, la vie continue et se réinvente, dans un espace où le risque zéro ne peut hélas pas régner.

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