Plaidoyer pour rapatrier les enfants canadiens de Daech
Une pétition pour ramener au pays des jeunes détenus dans des conditions difficiles peine à recueillir 500 signatures
Selon le député du NPD Alexandre Boulerice, le gouvernement Trudeau ne veut pas revivre le « traumatisme du rapatriement d’Omar Khadr »
En novembre 2019, la Montréalaise Leïla Sakhir rencontrait pour la première fois, dans un camp, en Syrie, la petite fille de son frère, décédé en combattant aux côtés de Daech. Un an, un documentaire et une conférence de presse d’appuis politiques plus tard, une pétition pour rapatrier au Canada la fillette et 24 autres enfants détenus dans des conditions innommables peine à recueillir 500 signatures.
« 25 000 signatures pour sauver 15 cerfs à Longueuil contre 500 pour sauver 25 enfants détenus dans les camps en Syrie ! Sérieusement, sur quelle planète vivons-nous ? » tonnait l’avocat Stéphane Handfield, l’instigateur de la pétition, sur son mur Facebook la semaine dernière. « Je ne prétends pas que les cerfs ne méritent pas d’être sauvés, je m’interroge toutefois sur nos priorités comme société », a-t-il nuancé par la suite.
Au moment où ces lignes étaient écrites, vendredi soir, la pétition pour rapatrier 25 enfants canadiens de moins de 6 ans de la Syrie avait récolté un peu plus que les 500 signatures nécessaires pour qu’elle soit déposée au Parlement. Celle contre l’abattage des cerfs à Longueuil ? Plus de 37 000.
« On les a obtenues de justesse. Mais ça nous a tout pris. On a eu du mal à avoir des appuis alors qu’on avait pourtant eu une vague de sympathie et plein de témoignages de gens qui voulaient faire quelque chose à la sortie du film », a déploré Leïla Sakhir. « Je n’arrive pas à croire que c’est si compliqué de rapatrier des enfants innocents et de faire lever cette cause-là. »
Une cause impopulaire
Pour cette maman de deux fillettes, il est encore douloureux d’évoquer cette histoire qui est la sienne et qui a fait l’objet de deux films : T’es où Youssef ?, une quête jusqu’en Syrie sur la radicalisation de son frère finalement décédé, et Poussières de Daech, où elle part à la rencontre de sa nièce âgée d’à peine 1 an dans le but d’amorcer — en vain — les démarches pour la faire rapatrier.
Elle reconnaît que l’enjeu est non seulement compliqué, mais il est aussi délicat. Il s’agit de rapatrier des enfants dont un des parents décédés, souvent le père, était un Canadien radicalisé parti combattre aux côtés du groupe armé État islamique (EI) en Syrie. « Oui, ce sont des enfants de membres de l’EI. Ça vient créer une ambiguïté, ça rend confus. C’est vraiment une patate chaude », reconnaîtelle. « Mais ce sont des enfants ! »
Pour elle, c’est comme si on faisait purger à ces enfants la peine de prison de leurs parents. « Ce bout-là est très révoltant. C’est comme si on emprisonnait les enfants avec leurs parents. Ce serait intolérable ici de mettre un enfant en prison avec son père ou sa mère », dit-elle.
Le gouvernement Trudeau avait d’abord justifié sa décision de ne pas rapatrier les enfants en évoquant les risques pour la sécurité du corps diplomatique. Au début du mois d’octobre, le rapatriement en catimini d’Amira, une orpheline qui avait de la parenté à Toronto, a convaincu Leïla Sakhir et son groupe de soutien que les raisons de sécurité étaient « bidon ». Mais il a surtout donné espoir. « Ça a créé un précédent. Et c’est venu défaire l’argumentaire qui dit que c’est impossible. Ça démontre encore plus que c’est une question de volonté du gouvernement », a dit Mme Sakhir.
Le député du NPD, Alexandre Boulerice, va plus loin. Pour lui, le gouvernement Trudeau ne veut pas revivre le « traumatisme du rapatriement d’Omar Khadr », cet enfant-soldat détenu à Guantánamo qu’il avait ramené au Canada. « Les libéraux avaient été férocement attaqués par les conservateurs. Depuis ce temps-là, on est d’accord sur le principe, mais politiquement, ils craignent qu’on associe ces enfants aux actions criminelles terroristes de leurs pères, ce qui est complètement absurde », a déclaré M. Boulerice en entrevue au Devoir. « La bonne chose à faire n’est pas toujours la plus populaire dans l’opinion publique. »
Fait rare : les trois partis d’opposition font front commun sur la question. Le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, exige depuis un an un plan pour rapatrier ces enfants. « Les Canadiens qui ont rejoint l’État islamique doivent être tenus responsables avec toute la rigueur de la loi, mais il faut faire preuve de compassion envers les jeunes enfants canadiens qui sont coincés à l’étranger », a-t-il affirmé.
Et pour Leïla Sakhir, le temps presse. « Quand je suis allée l’an dernier, il y avait un cimetière pour enterrer les gens qui meurent dans le camp. Il y avait aussi des tombes d’enfants », dit-elle. « Il y a urgence. C’est une question de vie ou de mort. De se réfugier derrière le fait qu’on ne sait pas quoi faire avec les parents revient à les laisser pourrir là-bas. Ils n’ont rien fait et on ne leur laisse aucune chance. »