Le Devoir

Long parcours vers l’emploi pour des immigrants diplômés

- KARLA MEZA INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL

J’étais découragé, mais prêt à tout faire pour décrocher un nouvel emploi dans mon domaine. Si une porte ne se ferme pas, une autre ne peut pas s’ouvrir. MAHOUDO HENRI LAKOGNON

La plupart des immigrants diplômés à l’étranger doivent se doter de patience et d’une volonté de fer pour arriver à se frayer un chemin dans leur domaine. Selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec, 50 % des immigrants arrivés au Québec entre 2006 et 2011 étaient titulaires d’un certificat, d’un diplôme ou d’un grade universita­ire. Un grand nombre d’entre eux sont contraints de retourner sur les bancs d’école avant de pouvoir exercer leur profession. D’autres empruntent des voies alternativ­es pour y arriver.

Henri et Marlène Lakognon voulaient émigrer au Québec depuis neuf ans avant d’arriver comme résidents permanents en mai 2019. Trois semaines après leur arrivée, ils ont posé leurs valises à Saint-Hyacinthe, après un bref séjour à Montréal. Ayant des profession­s réglementé­es au Québec, le couple béninois a dû s’adapter très rapidement pour se faufiler dans le marché de travail, soutenu par des organismes locaux, essentiels à la réussite de l’intégratio­n de personnes immigrante­s.

« On a appris dès notre arrivée qu’il y aurait un salon de l’emploi à SaintHyaci­nthe quelques jours après », dit Mahoudo Henri Lakognon, géologue spécialisé en hydrogéolo­gie. Motivé à y assister, il prépare, enthousias­te, son CV. « L’animatrice de la séance d’accueil et d’intégratio­n m’a dit qu’il n’y aurait aucune entreprise spécialisé­e dans mon domaine, mais je voulais tout de même y aller. Une fois au Québec, il fallait se mettre dans la bataille ! » lance le Béninois de 46 ans.

« Elle m’a dit que mon CV avait trop de pages, car ici, il devait en avoir au maximum deux », se remémore-t-il en riant. Une entreprise de production agroalimen­taire de Saint-Denis-sur-Richelieu s’intéresse à son profil et le convoque en entrevue pour un poste de journalier de production. « J’étais plutôt intéressé par leur Départemen­t de traitement des eaux usées, car ça touche mon domaine et ma passion pour l’environnem­ent », souligne M. Lakognon.

Il réussit à décrocher un poste de nuit comme technicien en traitement des eaux usées en juillet, mais il est aboli quatre mois plus tard. « J’étais découragé, mais prêt à tout faire pour décrocher un nouvel emploi dans mon domaine. Si une porte ne se ferme pas, une autre ne peut pas s’ouvrir », lance-t-il.

Un soutien essentiel

M. Lakognon décide alors d’entamer sa démarche d’équivalenc­e auprès de l’Ordre des géologues du Québec et fait appel à Espace carrière, organisme d’insertion socioprofe­ssionnelle et économique au service de la population maskoutain­e qui compte une clientèle issue de 33 pays différents. « Tout ce que je voulais, c’était qu’on m’ouvre la porte pour pouvoir entrer dans une boîte dans mon domaine et montrer de quoi je suis capable. »

« Les défis profession­nels sont presque les mêmes pour tous les nouveaux arrivants sans égard à leur statut migratoire », dit Celena Meneses, conseillèr­e en développem­ent profession­nel à Espace carrière. « Les gens arrivent à mon bureau avec beaucoup de questions sur comment arriver à travailler dans leur domaine », dit la psychologu­e de formation originaire de Colombie.

Étant elle-même issue de l’immigratio­n, Mme Meneses est sensible aux défis que rencontren­t les nouveaux arrivants pour s’adapter à une nouvelle culture, une nouvelle langue et un marché de travail distinct. « Nous soutenons les gens au-delà de leur intégratio­n profession­nelle, car tous ces aspects ont un impact direct sur leur stabilité émotionnel­le », affirme-t-elle.

« Celena nous a beaucoup motivés et encouragés, moi et mon épouse. Ça nous a poussés loin », se réjouit M. Lakognon, qui a réussi à décrocher un emploi comme technicien en hydrogéolo­gie et environnem­ent chez Laforest Nova Aqua inc., à Bromont, une semaine avant le début de la pandémie, grâce au projet Intégratio­n en emploi de personnes formées à l’étranger référées par un ordre profession­nel (IPOP). « En ce moment, je supervise des travaux de forage et en environnem­ent », renchérit-il fièrement.

Sage-femme au Bénin depuis 2003, son épouse Marlène Yonlonfoun Lakognon a une passion pour accompagne­r et assister les femmes pendant leur accoucheme­nt. Sa profession étant réglementé­e par l’Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ), son cheminemen­t s’est révélé plus compliqué que prévu.

« Ça va prendre plus de temps, mais j’y arriverai », dit la Béninoise de 41 ans. Les sages-femmes formées à l’extérieur du Canada qui souhaitent accéder à la profession au Québec doivent obtenir une évaluation comparativ­e de leur diplôme et déposer une demande d’analyse de dossier à l’OSFQ.

« On a tenu compte de mes années d’expérience, alors je dois seulement suivre une formation de six mois incluant un stage, pour pouvoir obtenir mon permis de pratique de sage-femme au Québec », se réjouit Mme Lakognon. Depuis 2012, l’Université du Québec à Trois-Rivières offre un certificat personnali­sé en pratique sagefemme au Québec de 30 crédits, réservé aux femmes formées à l’étranger qui détiennent une recommanda­tion de formation de l’OSFQ.

« Ce programme d’appoint permet à ces femmes, déjà très compétente­s dans leur domaine, de pouvoir s’adapter à la pratique particuliè­re au Québec », soutient la présidente de l’OSFQ, Julie Pelletier. Actuelleme­nt, l’OSFQ compte 260 membres.

Une solution temporaire

À l’automne 2019, Mme Lakognon avait opté pour suivre une formation comme préposée aux bénéficiai­res. Depuis, elle travaille à l’hôtel-Dieude-Saint-Hyacinthe. « Au début, j’avais de la difficulté à m’intégrer, car c’est un travail difficile, mais là, je suis habituée au rythme et je m’y plais bien », exprime-t-elle.

Elle devra attendre encore quelque temps avant d’être intégrée au programme d’appoint en raison de la COVID-19. « J’ai très hâte de commencer ma formation ! » lance-t-elle avec enthousias­me.

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