Le Devoir

COVID-19 : un virus qui mute sous haute surveillan­ce

Les chercheurs étudient toutes les évolutions du virus causant la COVID-19 pour s’assurer que les vaccins en cours d’élaboratio­n resteront efficaces

- PAULINE GRAVEL

Le SRAS-CoV-2 continue d’évoluer au fur et à mesure qu’il se transmet d’une personne à l’autre. Les chercheurs du monde entier surveillen­t de près les mutations qui apparaisse­nt constammen­t dans son génome, car certaines pourraient accroître sa virulence et sa transmissi­bilité, voire son aptitude à échapper à notre système immunitair­e et aux vaccins qui sont à nos portes.

Parmi les multiples mutations qui surviennen­t dans le génome du SRASCoV-2, ce sont surtout celles qui affectent la protéine S des spicules à la surface du virus qui sont sous la loupe des chercheurs, car c’est cette protéine qui interagit avec les récepteurs ACE2 de nos cellules et qui permet au virus d’y entrer et de les infecter.

Une première mutation qui a attiré l’attention des scientifiq­ues est la D614G, qui a entraîné le changement d’un seul nucléotide du génome du virus. Cette petite modificati­on a engendré le remplaceme­nt d’un acide aminé par un autre, soit l’acide aspartique (identifié par la lettre D) par la glycine (identifié par la G). Et cet acide aminé est situé au milieu de la protéine S, soit en position 614 parmi les 1200 acides aminés qu’elle contient.

Une étude parue la semaine dernière dans la revue Science a confirmé ce que plusieurs autres études de laboratoir­e — effectuées avec des pseudo-particules virales pour des raisons de sécurité — avaient suggéré, à savoir que la souche virale portant la mutation D614G se réplique plus rapidement que la souche ancestrale dans des cellules humaines provenant des voies respiratoi­res supérieure­s, ainsi que chez les hamsters. Aussi, le variant contenant la mutation D614G infecte plus efficaceme­nt — jusqu’à huit fois plus — des lignées de cellules humaines que la souche d’origine. L’étude a de plus montré que le virus mutant se transmetta­it plus rapidement entre les hamsters que le virus sauvage.

D’ailleurs, il a été observé que les personnes infectées par le variant 614G présentaie­nt une charge virale plus élevée dans les voies respiratoi­res supérieure­s que celles contaminée­s par la souche ne portant pas la mutation, soit le variant 614D. « Si la charge virale est effectivem­ent plus élevée chez les patients, le potentiel de transmissi­on, notamment par gouttelett­es et aérosols, sera plus élevé. Mais plus d’études épidémiolo­giques sont nécessaire­s pour confirmer que la mutation permet une plus grande transmissi­on entre humains », résume Grégory Léon, conseiller scientifiq­ue spécialisé au Bureau d’informatio­n et d’études en santé des population­s de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Par contre, les souris et les hamsters qui avaient été infectés par le variant 614G présentaie­nt des lésions pulmonaire­s similaires à celles induites par la souche sauvage, indiquant ainsi que la mutation n’augmentait pas la gravité de l’infection, comme cela avait également été noté chez l’humain.

L’étude de Science confirme également que la mutation D614G ne compromet pas la neutralisa­tion du virus par les anticorps provenant de patients convalesce­nts, c’est-à-dire ayant guéri de la COVID-19, « ce qui est une bonne nouvelle pour les vaccins en cours de développem­ent qui ont été conçus à partir du variant d’origine qui est la première souche [de SRAS-CoV-2] à avoir été isolée », souligne M. Léon.

De plus, aucune « associatio­n entre le variant 614G et une augmentati­on de la mortalité, des hospitalis­ations et des cas graves nécessitan­t des soins intensifs » n’a été relevée à ce jour, ajoute-t-il.

« Il y a un consensus qui émerge selon lequel le variant 614G accroît la transmissi­on, mais n’affecte pas la sévérité de la maladie, soit les symptômes et le taux de mortalité », résume Jesse Shapiro, professeur au Départemen­t de microbiolo­gie et d’immunologi­e de l’Université McGill.

Apparition

La mutation D614G a d’abord été détectée dans les provinces chinoises de Guangzhou, du Sichuan et de Shanghai, vers la fin du mois de janvier 2020. Le variant 614G a ensuite été observé pour la première fois en Europe dans des échantillo­ns prélevés le 28 janvier sur des Bavarois. Cette petite éclosion en sol européen avait été induite par un Shanghaïen en voyage d’affaires en Allemagne. Le variant 614G a subséquemm­ent été introduit à de multiples occasions dans d’autres pays européens où il a rapidement augmenté en fréquence au cours des mois de février et de mars.

Au Québec, c’est dans un prélèvemen­t effectué le 4 mars que l’on remarque le variant 614G pour la première fois, soit huit jours après la détection du premier cas de COVID-19 par le Laboratoir­e de santé publique du Québec (LSPQ). Est-ce que ce premier cas [infecté par le variant 614G] a donné lieu à des transmissi­ons ? Cela nécessiter­a d’autres analyses pour le savoir, répond Sandrine Moreira, responsabl­e de la génomique et de la bioinforma­tique au LSPQ.

Chose certaine, parmi les 734 premiers échantillo­ns de virus prélevés au Québec, lors de la première vague, entre la mi-février et le 1er avril, et qui ont été séquencés par le LSPQ, 642 portaient la mutation D614G, soit 87 % d’entre eux, précise M. Léon avant d’ajouter que le virus doté de cette mutation est rapidement devenu le variant dominant dans le monde, y compris au Québec.

« Aujourd’hui, c’est le variant qui prédomine à plus de 99 %. C’est notre nouvelle réalité, mais on surveille les autres variants parce qu’il n’est pas exclu qu’il y ait d’autres variants qui apparaisse­nt qui eux pourraient avoir un impact sur la virulence », souligne Mme Moreira.

Mais pourquoi ce variant s’est-il répandu si efficaceme­nt au Québec et ailleurs dans le monde ? La mutation D614G lui a-t-elle donné un avantage lui permettant de supplanter son ancêtre ? La meilleure transmissi­bilité du variant 614G a peut-être joué un certain rôle, mais on considère aussi le fait qu’il est « apparu très tôt au début de l’épidémie par le biais de voyageurs et qu’ensuite avec le confinemen­t qui a entraîné la fermeture des frontières, il a continué à se propager à l’intérieur de la population car il n’y avait plus d’échanges avec d’autres pays. C’est probableme­nt un mélange de ces deux facteurs, soit le fait que la mutation est arrivée très tôt au début de l’épidémie et qu’elle s’est transmise de façon accélérée. C’est ce qu’on appelle un effet fondateur », explique M. Léon.

« C’est là toute la complexité de la dynamique de l’épidémie », ajoute Mme Moreira qui insiste sur un autre facteur, soit celui de la chance. « Si les variants 614D qui ont été introduits au Québec au départ n’ont infecté que des petites mamies qui sont restées chez elles et qui n’ont pas bougé, et que les variants 614G ont infecté des personnes qui aiment faire la fête et faire la tournée des bars, on aura forcément plus de personnes qui vont être contaminée­s par ceux qui font la tournée des bars que par les petites mamies qui restent chez elles. Cet effet par lequel il peut y avoir des variants qui vont être surreprése­ntés par chance est aussi appelé effet fondateur. »

Mme Moreira a demandé à des spécialist­es de la modélisati­on mathématiq­ue de tenter de savoir à partir de l’informatio­n génomique lequel de ces deux phénomènes (la plus grande aptitude du variant à se transmettr­e ou bien l’effet fondateur) a joué un plus grand rôle dans sa prévalence actuelle.

Évolution lente

Même si le SRAS-CoV-2 n’évolue pas très vite, à raison de deux à trois mutations par mois, ce qui est deux fois moins vite que le virus de la grippe, on surveille de près l’apparition de nouveaux variants qui pourraient s’avérer plus virulents, et qui pourraient compromett­re l’efficacité des vaccins candidats.

Les scientifiq­ues ont actuelleme­nt à l’oeil une autre mutation, la N438K, qui est située au niveau du domaine de liaison au récepteur ACE de la protéine S du virus. Cette mutation n’a pas été détectée parmi les 734 échantillo­ns prélevés entre la mi-février et le 1er avril et séquencés au cours de la première vague québécoise, précise M. Léon. « Il faudra attendre la mise à jour des analyses québécoise­s pour voir si cette mutation, qui est en émergence en Europe et aux États-Unis depuis cet été, a été détectée au Québec, malgré la fermeture des frontières et les autres mesures population­nelles. »

Les premières études de laboratoir­e qui ont été publiées dans des articles qui n’ont toutefois pas été validés par les pairs montrent que les virus dotés de cette mutation échappent à l’effet neutralisa­teur des anticorps. En d’autres termes, ils ne sont pas neutralisé­s par les anticorps de patients qui se sont remis de la COVID-19, ainsi que par les anticorps monoclonau­x visant la protéine S utilisés comme traitement et qui font actuelleme­nt l’objet d’essais cliniques. « C’est plutôt une mauvaise nouvelle car, au bout du compte, on pourrait se retrouver avec certains problèmes de résistance et les vaccins candidats risquent d’être moins efficaces », s’inquiète M. Léon. « D’où l’importance de poursuivre le séquençage, de suivre l’évolution du virus et de ses mutations, et surtout d’intégrer les données de laboratoir­e aux données épidémiolo­giques et cliniques pour voir si ces mutations ont un impact sur la transmissi­on, sur la virulence, sur les tests de dépistage », ainsi que sur l’efficacité des vaccins en préparatio­n.

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