Et qui se préoccupe de réussite scolaire, dans tout ça ?
Des profs au bout du rouleau s’inquiètent pour leurs élèves en difficulté
Une enseignante de sixième année dans une école primaire de Montréal racontait au Devoir, cette semaine, à quel point elle et ses collègues mettent les bouchées doubles depuis le début de l’année scolaire. Gestion du lavage de mains et de la distanciation. Petites et grandes angoisses des élèves. Retards d’enseignement du printemps qu’il faut encore rattraper. À la fin de l’entrevue, les larmes ont coulé.
Des sanglots, les profs en sont témoins régulièrement ces jours-ci. La pandémie accentue les difficultés d’une profession déjà exigeante en temps normal. Bien des enseignants ont la désagréable impression de ne pas être à la hauteur des besoins de leurs élèves. Les parents ajoutent aussi à la pression.
Dans le réseau de l’éducation, tout le monde a poussé un soupir de soulagement après l’annonce du gouvernement Legault, jeudi soir : il n’y aura pas de congé prolongé dans le temps des Fêtes en raison de la pandémie. Les profs, les directions d’école et d’autres acteurs du milieu sont contents : ils craignaient l’effet catastrophique qu’aurait pu avoir une longue absence sur la motivation, la réussite ou la santé mentale de leurs élèves.
Les profs préfèrent travailler plutôt que d’avoir un congé prolongé aux Fêtes. Ils voient bien que certains de leurs élèves sont sur la corde raide et risquent de perdre pied si le réseau scolaire les laisse à eux-mêmes trop longtemps.
« Dans la profession, c’est l’épuisement le plus total, vraiment. Les enseignantes et les enseignants sont brûlés », dit Stéphanie Demers, professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Les enseignantes et les enseignants doivent faire un grand travail émotionnel. Ils voient que certains de leurs élèves vivent mal toute cette incertitude. Ils doivent projeter des émotions le plus positives possible pour garder les élèves motivés, leur donner un cadre », explique-t-elle.
Rattrapage scolaire
Les profs et les directions d’école s’entendent sur un point : bien des élèves ont encore des notions de la dernière année scolaire à rattraper. La fermeture des écoles à compter de la mi-mars a créé un trou dans les apprentissages, surtout pour les élèves ayant le plus de difficultés. Le rattrapage doit aussi se
Dans la profession, c’est l’épuisement le plus total, vraiment. Les enseignantes et les enseignants sont brûlés. STÉPHANIE DEMERS
faire par rapport à la matière de cette année : les absences sont tellement nombreuses, à cause de la COVID, que les enseignants passent leur temps à s’assurer que leurs élèves apprennent bel et bien les notions au programme.
« Je ne suis pas dans le déni par rapport aux apprentissages et à l’absentéisme. Je ne prétends pas que tout va bien. Ce n’est pas une année comme les autres. Je comprends que les absences répétées de cette année amènent des retards ou des différences par rapport aux apprentissages », dit au Devoir le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.
Il estime néanmoins que la vaste majorité des élèves ont rattrapé les retards entraînés par le confinement du printemps dernier. Le ministre dit avoir eu des échos positifs du document sur les « savoirs essentiels », distribué en début d’année au réseau scolaire par le ministère de l’Éducation.
Les écoles ont aussi eu un coup de main imprévu, rappelle le ministre Roberge : comme il y a très peu d’activités parascolaires en raison de la pandémie, la somme de 60 millions de dollars prévue pour cela a pu servir à embaucher des suppléants ainsi que du personnel pour faire du tutorat ou de l’aide aux devoirs, selon lui.
« Il n’y a jamais eu autant de ressources et de marge de manoeuvre dans les écoles pour soutenir les élèves, et heureusement, [car] il n’y a jamais eu autant de besoins dans les écoles. J’ai quand même confiance que les élèves reçoivent l’aide dont ils ont besoin et que semaine après semaine, lentement, on remonte la pente. On n’est pas arrivés à destination », dit Jean-François Roberge.
Examens de fin d’année
Comme d’autres observateurs, la professeure Stéphanie Demers, de l’UQO, estime qu’il faudrait alléger le programme et les examens de fin d’année du ministère en quatrième et en cinquième année du secondaire. Le Devoir a rapporté vendredi qu’un débat fait rage à ce sujet au sein du milieu scolaire.
« On ne peut pas faire comme si tout était normal alors que ce n’est pas une année normale », dit Stéphanie Demers. Elle croit que les cégeps devront baisser leurs exigences au sujet des critères d’admission des élèves du secondaire, en raison des chamboulements en classe dus à la pandémie.
Le ministère de l’Éducation a indiqué cette semaine aux directions d’école et aux centres de services scolaires que les épreuves finales de quatrième et cinquième secondaire resteront les mêmes malgré la crise. La directive n’a pas encore été dévoilée publiquement. « Pour les secondaires 4 et 5, il n’y a pas eu encore d’annonce, mais je demeure ouvert à des ajustements. Si on peut s’ajuster à la réalité, tenir compte de ce que disent les gens sur le terrain, on va le faire », a indiqué jeudi au Devoir le ministre Roberge.
« On a fait des changements depuis le début de l’année parce qu’il y avait des demandes du réseau. On a changé notre façon de faire les bulletins, on a retiré un bulletin, donc ça fait moins de temps pour évaluer, plus de temps pour enseigner. J’ai changé la pondération des bulletins, tout ça à la demande du réseau et des experts qui sont dans nos écoles », dit-il. L’examen ministériel de sixième année du primaire a aussi été allégé.
Bouleversements
La pandémie bouleverse le train-train quotidien des élèves et des profs. Plus du tiers des 3000 écoles du Québec ont au moins un cas actif de coronavirus à l’heure actuelle. 1242 classes sont fermées en raison d’éclosions. Ça fait beaucoup de monde qui doit s’adapter à l’enseignement à distance.
Jusqu’à 30 % des élèves du secondaire sont en situation d’échec, a rapporté cette semaine la Fédération québécoise des directions d’établissement (FQDE). Les élèves de troisième, de quatrième et de cinquième secondaire vont à l’école une journée sur deux. Ils suivent leurs cours à distance l’autre moitié du temps.
Ça se passe plutôt bien pour des élèves. Mais d’autres parviennent difficilement à suivre le rythme. Certains ont des difficultés d’apprentissage même quand ils sont en présence à l’école. D’autres n’ont pas d’espace tranquille à la maison. Ou une connexion wifi de mauvaise qualité. Ou doivent partager leur ordinateur avec leurs frères et soeurs. Un défi de plus à gérer pour les profs.