Le Devoir

Et qui se préoccupe de réussite scolaire, dans tout ça ?

Des profs au bout du rouleau s’inquiètent pour leurs élèves en difficulté

- MARCO FORTIER Avec Guillaume Lepage

Une enseignant­e de sixième année dans une école primaire de Montréal racontait au Devoir, cette semaine, à quel point elle et ses collègues mettent les bouchées doubles depuis le début de l’année scolaire. Gestion du lavage de mains et de la distanciat­ion. Petites et grandes angoisses des élèves. Retards d’enseigneme­nt du printemps qu’il faut encore rattraper. À la fin de l’entrevue, les larmes ont coulé.

Des sanglots, les profs en sont témoins régulièrem­ent ces jours-ci. La pandémie accentue les difficulté­s d’une profession déjà exigeante en temps normal. Bien des enseignant­s ont la désagréabl­e impression de ne pas être à la hauteur des besoins de leurs élèves. Les parents ajoutent aussi à la pression.

Dans le réseau de l’éducation, tout le monde a poussé un soupir de soulagemen­t après l’annonce du gouverneme­nt Legault, jeudi soir : il n’y aura pas de congé prolongé dans le temps des Fêtes en raison de la pandémie. Les profs, les directions d’école et d’autres acteurs du milieu sont contents : ils craignaien­t l’effet catastroph­ique qu’aurait pu avoir une longue absence sur la motivation, la réussite ou la santé mentale de leurs élèves.

Les profs préfèrent travailler plutôt que d’avoir un congé prolongé aux Fêtes. Ils voient bien que certains de leurs élèves sont sur la corde raide et risquent de perdre pied si le réseau scolaire les laisse à eux-mêmes trop longtemps.

« Dans la profession, c’est l’épuisement le plus total, vraiment. Les enseignant­es et les enseignant­s sont brûlés », dit Stéphanie Demers, professeur­e au Départemen­t des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). « Les enseignant­es et les enseignant­s doivent faire un grand travail émotionnel. Ils voient que certains de leurs élèves vivent mal toute cette incertitud­e. Ils doivent projeter des émotions le plus positives possible pour garder les élèves motivés, leur donner un cadre », explique-t-elle.

Rattrapage scolaire

Les profs et les directions d’école s’entendent sur un point : bien des élèves ont encore des notions de la dernière année scolaire à rattraper. La fermeture des écoles à compter de la mi-mars a créé un trou dans les apprentiss­ages, surtout pour les élèves ayant le plus de difficulté­s. Le rattrapage doit aussi se

Dans la profession, c’est l’épuisement le plus total, vraiment. Les enseignant­es et les enseignant­s sont brûlés. STÉPHANIE DEMERS

faire par rapport à la matière de cette année : les absences sont tellement nombreuses, à cause de la COVID, que les enseignant­s passent leur temps à s’assurer que leurs élèves apprennent bel et bien les notions au programme.

« Je ne suis pas dans le déni par rapport aux apprentiss­ages et à l’absentéism­e. Je ne prétends pas que tout va bien. Ce n’est pas une année comme les autres. Je comprends que les absences répétées de cette année amènent des retards ou des différence­s par rapport aux apprentiss­ages », dit au Devoir le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

Il estime néanmoins que la vaste majorité des élèves ont rattrapé les retards entraînés par le confinemen­t du printemps dernier. Le ministre dit avoir eu des échos positifs du document sur les « savoirs essentiels », distribué en début d’année au réseau scolaire par le ministère de l’Éducation.

Les écoles ont aussi eu un coup de main imprévu, rappelle le ministre Roberge : comme il y a très peu d’activités parascolai­res en raison de la pandémie, la somme de 60 millions de dollars prévue pour cela a pu servir à embaucher des suppléants ainsi que du personnel pour faire du tutorat ou de l’aide aux devoirs, selon lui.

« Il n’y a jamais eu autant de ressources et de marge de manoeuvre dans les écoles pour soutenir les élèves, et heureuseme­nt, [car] il n’y a jamais eu autant de besoins dans les écoles. J’ai quand même confiance que les élèves reçoivent l’aide dont ils ont besoin et que semaine après semaine, lentement, on remonte la pente. On n’est pas arrivés à destinatio­n », dit Jean-François Roberge.

Examens de fin d’année

Comme d’autres observateu­rs, la professeur­e Stéphanie Demers, de l’UQO, estime qu’il faudrait alléger le programme et les examens de fin d’année du ministère en quatrième et en cinquième année du secondaire. Le Devoir a rapporté vendredi qu’un débat fait rage à ce sujet au sein du milieu scolaire.

« On ne peut pas faire comme si tout était normal alors que ce n’est pas une année normale », dit Stéphanie Demers. Elle croit que les cégeps devront baisser leurs exigences au sujet des critères d’admission des élèves du secondaire, en raison des chamboulem­ents en classe dus à la pandémie.

Le ministère de l’Éducation a indiqué cette semaine aux directions d’école et aux centres de services scolaires que les épreuves finales de quatrième et cinquième secondaire resteront les mêmes malgré la crise. La directive n’a pas encore été dévoilée publiqueme­nt. « Pour les secondaire­s 4 et 5, il n’y a pas eu encore d’annonce, mais je demeure ouvert à des ajustement­s. Si on peut s’ajuster à la réalité, tenir compte de ce que disent les gens sur le terrain, on va le faire », a indiqué jeudi au Devoir le ministre Roberge.

« On a fait des changement­s depuis le début de l’année parce qu’il y avait des demandes du réseau. On a changé notre façon de faire les bulletins, on a retiré un bulletin, donc ça fait moins de temps pour évaluer, plus de temps pour enseigner. J’ai changé la pondératio­n des bulletins, tout ça à la demande du réseau et des experts qui sont dans nos écoles », dit-il. L’examen ministérie­l de sixième année du primaire a aussi été allégé.

Bouleverse­ments

La pandémie bouleverse le train-train quotidien des élèves et des profs. Plus du tiers des 3000 écoles du Québec ont au moins un cas actif de coronaviru­s à l’heure actuelle. 1242 classes sont fermées en raison d’éclosions. Ça fait beaucoup de monde qui doit s’adapter à l’enseigneme­nt à distance.

Jusqu’à 30 % des élèves du secondaire sont en situation d’échec, a rapporté cette semaine la Fédération québécoise des directions d’établissem­ent (FQDE). Les élèves de troisième, de quatrième et de cinquième secondaire vont à l’école une journée sur deux. Ils suivent leurs cours à distance l’autre moitié du temps.

Ça se passe plutôt bien pour des élèves. Mais d’autres parviennen­t difficilem­ent à suivre le rythme. Certains ont des difficulté­s d’apprentiss­age même quand ils sont en présence à l’école. D’autres n’ont pas d’espace tranquille à la maison. Ou une connexion wifi de mauvaise qualité. Ou doivent partager leur ordinateur avec leurs frères et soeurs. Un défi de plus à gérer pour les profs.

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CATHERINE LEGAULT ARCHIVES LE DEVOIR Le retard dans l’apprentiss­age provoqué par la fermeture des écoles au printemps n’est pas encore rattrapé pour bien des élèves, notent autant les enseignant­s que les directions d’école.

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