Le Devoir

Nos université­s demain

- NORMAND BAILLARGEO­N

Avec une belle équipe de gens représenta­nt un large éventail de groupes intéressés par la question, je viens de passer quatre journées (sur Zoom) à réfléchir sur l’avenir de nos université­s. L’invitation venait du scientifiq­ue en chef du Québec, Rémi Quirion, que je remercie. Celui-ci avait travaillé avec 15 personnes à produire un imposant et très intéressan­t rapport sur l’université québécoise du futur, que je vous invite à consulter en ligne. Notre tâche consistait à commenter ce texte et à faire des propositio­ns pour le bonifier. On m’a autorisé à en parler ici.

Je tiens, pour commencer, à saluer le sérieux et la haute tenue des discussion­s et des échanges qui ont eu lieu durant ces quatre journées. Elles ont notamment débouché sur l’ajout de deux nouvelles propositio­ns aux dix formulées dans le rapport : celles-ci portent sur le rôle des université­s en matière d’innovation­s, notamment technologi­ques, et sur l’université québécoise comme citoyenne du monde.

Je me suis pour ma part efforcé, durant ces journées, de faire valoir sur l’université des idées que je défends depuis longtemps. Certaines — qui sait ? — feront peut-être leur chemin jusqu’au rapport définitif. En voici quelquesun­es, pour mémoire, qui me sont particuliè­rement chères.

Une institutio­n

L’université est une institutio­n. En disant cela, je veux dire qu’elle est régie, qu’elle n’a de sens que par des normes en quelque sorte transcenda­ntes pour et par lesquelles elle existe : la vérité, la raison, la discussion, pour le dire trop vite. Celles et ceux qui provisoire­ment composent l’université sont d’abord et avant tout au service de ces normes, et c’est par elles, essentiell­ement, qu’ils détiennent leur statut et leurs droits.

Bien des choses aujourd’hui menacent ce statut institutio­nnel et pourraient transforme­r l’université en organisati­on, notamment un certain clientélis­me et un rapport marchand au monde, au savoir, à la recherche, lesquels sont parfois imposés à l’université, mais aussi parfois consentis et adoptés en son sein, dans une tragique, voire suicidaire, logique : c’est là ce que j’ai appelé l’ennemi intérieur.

J’estime que la préservati­on du statut d’institutio­n de l’université est l’un des grands défis actuels et que l’université du futur méritera son nom si nous y parvenons.

Une institutio­n publique

Nos université­s, au Québec, sont des institutio­ns publiques, financées par le public. Cela est important sur de nombreux plans, mais en particulie­r pour le droit du public à bénéficier en priorité des retombées positives de ce qui se fait à l’université.

Au moment où les université­s, à l’échelle mondiale, sont désormais en intime relation les unes avec les autres, et où certaines d’entre elles sont privées et sont, en partie plus ou moins grande, des organisati­ons, nous devrions être extrêmemen­t vigilants pour préserver le caractère public de nos université­s et les rendre responsabl­es sur ce plan.

Par ailleurs, une université publique doit entretenir de vraies, de riches relations avec l’ensemble de la société qui la fait exister, et pas seulement avec une ou quelques-unes de ses composante­s. Cela implique, entre autres, que l’évaluation et la promotion des professeur­s devraient mieux valoriser les services à la société que choisissen­t de rendre certains professeur­s.

Est-il besoin de rappeler à quel point nous semblons parfois nous éloigner de cet idéal d’université publique et combien il mérite d’être préservé à l’heure où se profile un peu partout dans le monde une inquiétant­e tendance vers la recherche financée par des intérêts privés et débouchant sur des brevets et d’autres droits de propriété de même nature ?

La liberté d’enseigneme­nt

Celle-ci, actualité oblige, a beaucoup fait parler d’elle durant ces quatre jours. On connaît à ce sujet ma position de farouche défenseur de la liberté d’enseigneme­nt. Je ne pense pas mal rapporter nos discussion­s en disant qu’elle était très largement, voire unanimemen­t, partagée.

Je tiens cependant à la précision qui suit. Cette liberté doit aussi protéger, contre une pensée dominante dans l’institutio­n, celles et ceux qui, par des arguments et souvent à leur grand risque personnel et profession­nel, s’opposent à celle-ci. En luttant contre les ennemis intérieurs, il peut bien arriver que ces personnes luttent pour préserver l’université de certains des dangers qui la menacent.

L’importance de l’évaluation

Il faut aussi, pour dessiner l’université de demain, repenser à l’une des choses cruciales qui la définissen­t, à savoir cet indispensa­ble lien entre enseigneme­nt et recherche. Cela demande, comme beaucoup l’ont dit, de reconnaîtr­e le caractère essentiel de ce lien ; cela demande aussi de repenser le statut et les fonctions des personnes chargées de cours.

Que sera l’enseigneme­nt dans l’université québécoise de demain ? J’ai cette fois tenu à affirmer l’extrême importance de ne pas céder aux modes passagères, par exemple en misant trop sur le numérique, et de ne pas se payer de mots et de formules comme « nous préconison­s une pédagogie active et inclusive »…

Les décisions prises devraient non seulement être fondées sur les meilleures données probantes disponible­s, mais aussi, une fois implantées, être soigneusem­ent suivies et évaluées, de manière à apporter les correctifs qui s’imposent.

Est-il besoin de souligner ici, en ce qui concerne le numérique, l’immensité des intérêts économique­s en jeu et le coût, pour le public, d’un trop grand et aveugle empresseme­nt à céder à une mode ?

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