Le Devoir

Le père Noël et le Grinch

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C’est à se demander si le premier ministre Legault n’a pas précipité la présentati­on de son « contrat moral » pour le temps des Fêtes afin de devancer le dévoilemen­t des projection­s alarmantes de la Santé publique du Canada, qui lui donnent l’allure d’un dangereux pari. Dans son point de presse de vendredi, Justin Trudeau, de retour devant Rideau Cottage, où il s’était confiné au printemps dernier, a adopté le ton le plus tragique possible pour implorer les Canadiens de réduire encore leurs contacts et lancer un appel à la solidarité de tous les ordres de gouverneme­nt, sans quoi le pays court à la catastroph­e. Ceux qui s’y refusent ne sont ni plus ni moins que des irresponsa­bles et des sans-coeur, d’une impardonna­ble ingratitud­e envers le personnel de la santé qui fait des efforts surhumains depuis des mois.

Même s’il le désapprouv­e, M. Trudeau s’est bien défendu de critiquer le feu vert que le gouverneme­nt du Québec a donné à la tenue de rassemblem­ents de 10 personnes pendant quatre jours à Noël, expliquant qu’il restait encore plusieurs semaines pour atténuer la pandémie, ce qui pourrait « peut-être » rendre possible le « petit moment de répit » que tous espèrent. Après la perspectiv­e réjouissan­te ouverte par M. Legault, transformé en père Noël, le premier ministre canadien n’en avait pas moins l’air du Grinch qui cherche à saboter la fête.

S’il est vrai que la situation semble présenteme­nt moins critique au Québec qu’ailleurs au pays, particuliè­rement dans les provinces de l’Ouest, où l’explosion du nombre de cas pourrait faire déborder les hôpitaux, elle n’en demeure pas moins préoccupan­te. Si le cri d’alarme de M. Trudeau peut contribuer à convaincre les Québécois de maintenir la discipline, M. Legault ne s’en plaindra pas. Si par malheur une soudaine détériorat­ion le forçait à annuler le « contrat moral », c’est à lui qu’on s’en prendrait. La désillusio­n serait à la hauteur de l’espoir qu’il a fait naître.

Le compromis qu’il a proposé ne pouvait pas satisfaire tout le monde. Les travailleu­rs de la santé qui devront être à pied d’oeuvre à Noël ne pourront pas se reprendre au jour de l’An, mais le scénario retenu est celui qui semble le plus raisonnabl­e d’un point de vue sanitaire. C’est surtout celui qui causera le moins d’inconvénie­nts sur le plan scolaire. Les problèmes liés à la garde des enfants du primaire seront limités au minimum et il ne sera pas nécessaire de prolonger l’année scolaire au-delà du 24 juin, ce qui évite d’ajouter au mécontente­ment des enseignant­s au moment où les négociatio­ns pour le renouvelle­ment des convention­s collective­s sont déjà suffisamme­nt difficiles.

Le risque de relancer la pandémie n’en demeure pas moins bien réel. Le plateau se maintient obstinémen­t au-dessus des 1200 nouveaux cas par jour et l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) prévient que les capacités hospitaliè­res en région pourraient bientôt être dépassées si le taux de reproducti­on du virus se maintient au niveau actuel.

La multiplica­tion des contacts, même dans le respect des consignes, aura inévitable­ment des conséquenc­es négatives. Sans compter la tricherie. L’administra­trice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tham, a suggéré de considérer la règle des 10 convives comme un simple « repère » et de prévoir des rassemblem­ents moindres, mais on peut penser que cette limite sera souvent dépassée.

Même si quatre journées de festivités sont autorisées — le Dr Horacio Arruda propose de s’en tenir à une ou deux —, il y a fort à parier qu’on voudra presser le citron au maximum. Malgré la recommanda­tion contraire, les familles dispersées aux quatre coins du Québec vont chercher à se rassembler. S’imaginer que tout le monde restera sagement à la maison pour regarder le Bye Bye, comme le veut M. Legault, est une autre vue de l’esprit.

Dans un monde idéal, on sauterait un Noël, mais le premier ministre sait bien que c’est impensable. La laïcité a quand même des limites ! Cette fois encore, il doit suivre le conseil que donnait le célèbre psychologu­e américain William Moulton Marston : « Une décision parfaite est une décision qui ne se prend pas. Au lieu de chercher le choix parfait, faites un choix basé sur vos meilleures informatio­ns, vos instincts, et allez de l’avant. »

Malgré ses erreurs et ses hésitation­s, son instinct ne l’a pas si mal servi jusqu’à présent. Si le Québec a fait figure de cancre durant la première vague, plusieurs de ses homologues des autres provinces préférerai­ent sans doute être à sa place aujourd’hui. Et les Québécois préfèrent sûrement avoir un père Noël plutôt qu’un Grinch comme premier ministre. À la condition que le prix du cadeau ne soit pas trop élevé.

Dans un monde idéal, on sauterait un Noël, mais le premier ministre sait bien que c’est impensable. La laïcité a quand même des limites ! Cette fois encore, il doit suivre le conseil que donnait le célèbre psychologu­e américain William Moulton Marston : « Une décision parfaite est une décision qui ne se prend pas. Au lieu de chercher le choix parfait, faites un choix basé sur vos meilleures informatio­ns, vos instincts, et allez de l’avant. »

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