Le Devoir

La méthode Lambropoul­os

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Lorsque Stéphane Dion a quitté la politique, après avoir perdu son poste de ministre des Affaires étrangères en janvier 2017 au profit de Chrystia Freeland, le bureau du premier ministre a tenté de téléguider l’entrée sur la scène fédérale de Yolande James. L’arrivée à Ottawa de l’ancienne ministre québécoise ne devait être qu’une formalité. La circonscri­ption de Saint-Laurent qu’avait représenté­e M. Dion était depuis toujours un fief libéral et les stratèges libéraux considérai­ent Mme James comme une candidate vedette qui brillerait à Ottawa. Elle était même pressentie pour un siège au Conseil des ministres, aux côtés de Mme Freeland et de M. Trudeau.

Ne laissant rien au hasard, le Parti libéral du Canada avait même rejeté la candidatur­e du maire de l’arrondisse­ment de Saint-Laurent, Alan DeSousa, afin de libérer la voie à Mme James en vue d’une élection complément­aire dans cette circonscri­ption montréalai­se où les anglophone­s et les allophones comptent pour plus de 70 % des électeurs.

Hélas ! Le parachutag­e de Mme James a froissé suffisamme­nt de libéraux locaux pour que les choses ne se déroulent pas comme prévu. Les membres libéraux ont plutôt choisi une jeune enseignant­e de 26 ans, Emmanuella Lambropoul­os, pour porter les couleurs du PLC lors d’une assemblée à l’investitur­e libérale tenue en février 2017. Le résultat fut une douce revanche pour M. Dion, qui n’avait guère aimé la façon dont l’entourage de M. Trudeau l’avait limogé. « Je trouve que c’est une personne très intéressan­te et très motivée, avait déclaré M. Dion en parlant de Mme Lambropoul­os, peu après sa victoire inattendue. Les gens doivent la regarder de très près. »

On comprend mieux maintenant le sens de ses propos. La sortie de Mme Lambropoul­os lors d’une séance du Comité permanent des langues officielle­s la semaine dernière, où elle a mis en doute le déclin du français au Québec, n’était pas sans rappeler la méthode de M. Dion. Comme ministre des Affaires intergouve­rnementale­s dans le gouverneme­nt postréfére­ndaire de Jean Chrétien, M. Dion mettait constammen­t au défi les nationalis­tes québécois, au grand dam de certains de ses collègues au caucus. Contrairem­ent à lui, ils devaient se battre contre les candidats bloquistes pour garder leurs propres circonscri­ptions. Plus tard, pendant que M. Trudeau cherchait à canaliser les voies ensoleillé­es, son ministre des Affaires étrangères brassait constammen­t la cage, ayant même vivement critiqué Donald Trump lors de la campagne à l’investitur­e républicai­ne de ce dernier. Il fut le mouton noir de la famille libérale souriante.

L’avenir de M. Dion à la tête de la diplomatie canadienne fut compromis dès l’élection de M. Trump à la présidence américaine en 2016. Le secrétaire principal de M. Trudeau de l’époque, Gerald Butts, comprit vite que le style politique personnel de M. Dion collait mal au poste. Le Canada devrait marcher sur des oeufs, sinon carrément flatter M. Trump, afin d’éviter l’ire d’un président aussi revanchard et sensible à la critique. Mme Freeland fut la femme de la situation. Et M. Dion fut dépêché à l’ambassade canadienne en Allemagne, loin des feux d’Ottawa.

La diplomatie ne s’exerce pas qu’en matière de relations internatio­nales. Et Mme Lambropoul­os a fait preuve d’un manque lamentable de finesse en minimisant les préoccupat­ions des francophon­es en ce qui concerne l’avenir de leur langue au Québec. Une députée du Québec, quelle que soit sa langue maternelle, doit minimaleme­nt avoir connaissan­ce des luttes qu’ont menées les Québécois depuis des siècles pour préserver leur langue. Surtout une députée choisie par son parti pour siéger au Comité des langues officielle­s. Mais la présence même de

Mme Lambropoul­os au sein de ce comité en disait long sur la difficulté qu’a le gouverneme­nt minoritair­e de Trudeau à concilier son désir de plaire aux minorités linguistiq­ues, qui votent en bloc pour le PLC, avec son désir de gagner plus de sièges dans le Québec francophon­e. Les propos de Mme Lambropoul­os ont occasionné une collision frontale entre ces deux objectifs et ont semé des doutes sur la bonne foi d’un gouverneme­nt qui promet de moderniser la Loi sur les langues officielle­s afin de mieux protéger le français.

Mme Lambropoul­os a commencé son interrogat­ion du commissair­e aux langues officielle­s, Raymond Théberge, en disant vouloir dissiper le « mythe » selon lequel les anglophone­s du Québec constituer­aient une « minorité choyée » (« a pampered minority »). « Je pense qu’il s’agit d’une perception dangereuse, alors qu’on parle beaucoup récemment du français au travail , a-t-elle ajouté. On sait que la communauté anglophone a un taux de chômage beaucoup plus élevé. »

Or, s’il est vrai que les anglophone­s unilingues au Québec ont souvent affiché un taux de chômage plus élevé que la moyenne provincial­e par le passé, ce n’est pas vrai pour l’ensemble de la communauté anglophone, dont la majorité des membres sont bilingues. La situation demeure tout de même préoccupan­te pour les anglophone­s unilingues qui vivent à l’extérieur de la région montréalai­se, où les offres d’emploi étaient rares même avant la pandémie. Mais ce n’est pas en affaibliss­ant les protection­s accordées au français comme langue de travail au Québec que l’on rehaussera l’employabil­ité des anglophone­s unilingues.

En fin de compte, Mme Lambropoul­os, qui a remis sa démission cette semaine comme membre du Comité permanent des langues officielle­s, aura rendu un grand service en mettant son propre gouverneme­nt sur la défensive dans le dossier linguistiq­ue. Cette semaine, M. Trudeau a même dit « appuyer » la loi 101. Il n’a maintenant qu’à faire des gestes pour le prouver.

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