Le Devoir

Sonner l’alarme une seconde fois pour les aînés

- Quoc Dinh Nguyen et Serge Brazeau Respective­ment geriate specialise enepidémio­logie, CHUM ; président, Associatio­n des médecins gériatres du Québec

Au printemps dernier, les gériatres ont sonné l’alarme afin que la réponse collective et gouverneme­ntale à la pandémie tienne compte des personnes âgées. Alors qu’on avait bien préparé les hôpitaux, ce sont plutôt les milieux de vie pour aînés qui ont été les plus durement atteints par la COVID-19. De mars à août, plus de 4800 personnes de ces milieux sont décédées.

Grâce aux efforts des soignants et du gouverneme­nt, l’hécatombe vécue à la première vague ne s’est pas reproduite à grande échelle cet automne. L’arrivée des préposés aux bénéficiai­res, la réduction de la mobilité du personnel, l’améliorati­on des mesures de contrôle des infections, de la disponibil­ité de l’équipement de protection et des tests, et la reconnaiss­ance de l’importance des proches aidants ont amélioré la situation.

Mais sonner l’alarme une deuxième fois est nécessaire.

Si rien n’est fait, le bilan pour les aînés de la seconde vague sera comparable à celui de la première vague. Depuis septembre, plus de 850 personnes sont décédées de la COVID, dont plus de 90 % ont 70 ans et plus. On semble s’être accoutumé à la vingtaine de décès par jour au Québec, mais à ce rythme de croisière, qui risque de s’accentuer, plus de 4 000 décès s’ajouteront au Québec d’ici mai. C’est inacceptab­le. Si l’urgence est moins grande, les enjeux sont tout aussi importants. La situation requiert un redresseme­nt marqué.

On semble s’être accoutumé à la vingtaine de décès par jour au Québec, mais à ce rythme de croisière, qui risque de s’accentuer, plus de 4000 décès s’ajouteront au Québec d’ici mai

Le SRAS-CoV-2 s’attaque disproport­ionnelleme­nt aux personnes âgées directemen­t, par des formes sévères de la maladie se traduisant en hospitalis­ations et décès, et indirectem­ent, par les effets néfastes des mesures de confinemen­t sur la santé physique, cognitive et mentale. Comme gériatres, nous voyons encore les effets pervers de la première vague chez nos patients : delirium, déclin de l’autonomie, chutes. À cause de cette atteinte disproport­ionnée des aînés, c’est précisémen­t auprès de ces derniers que le gouverneme­nt doit plus activement déployer ses ressources scientifiq­ues, politiques, humaines et matérielle­s pour les semaines et les mois à venir selon trois axes :

Mieux protéger les personnes âgées en milieux de vie pour aînés et à domicile ;

Maximiser l’autonomie décisionne­lle des aînés ;

Permettre le quotidien le plus normal possible pour les aînés en contexte de pandémie pour réduire les effets délétères des mesures de confinemen­t.

Quand la poussière sera retombée, notre réponse collective à la pandémie sera à la mesure de la morbidité et de la mortalité excédentai­res plutôt que sur le simple nombre de cas dans la population. Notre succès ou notre échec auprès des personnes âgées sera notre succès ou notre échec collectif. Concrèteme­nt, quelle que soit la stratégie population­nelle privilégié­e face au virus (éliminatio­n, suppressio­n ou contrôle), les mesures suivantes doivent s’ajouter à celles déjà en place :

Dépister de façon organisée, régulière et rigoureuse les travailleu­rs de la santé en milieux de vie pour aînés à haute transmissi­on communauta­ire ; Utiliser de façon plus systématiq­ue

les tests en contexte d’éclosion et de haute transmissi­on communauta­ire ;

Augmenter le personnel soignant et en prévention et contrôle des infections dans les régions affectées et faire des simulation­s d’éclosions avant leur apparition ;

Évaluer la possibilit­é de réduire la durée d’isolement préventif en utilisant des tests PCR répétés ;

Évaluer et déployer le cas échéant des tests rapides dans les milieux pour aînés ; S’assurer d’une ventilatio­n minimale dans les milieux de vie pour aînés ;

Produire et communique­r un cadre de gestion de risque selon les activités, la transmissi­on communauta­ire, et le risque individuel pour les personnes âgées et leurs proches ;

Analyser et diffuser de façon transparen­te les facteurs de contaminat­ion spécifique­s à la population âgée ;

Surveiller et réduire spécifique­ment le nombre de cas quotidiens chez les personnes de 70 ans et plus, et chez les travailleu­rs de la santé ;

Augmenter réellement l’offre des soins de réadaptati­on et en prévention du déconditio­nnement à domicile, en centre hospitalie­r et dans les milieux de vie ;

Mettre en place des mesures de réduction des effets délétères pour chaque mesure de confinemen­t ou d’isolement ;

S’assurer d’une prise en compte et d’une représenta­tion constante de la population âgée au sein de la santé publique nationale et au sein de la cellule de crise.

Les aînés ne sont plus l’angle mort de notre réponse pandémique. Ce n’est pas suffisant, ils doivent en être le centre. Alors que les vaccins efficaces se profilent à l’horizon, chaque cas ou décès retardé est un cas ou décès empêché. Sans changement de stratégie, trop d’aînés ne passeront pas à travers ce marathon de la deuxième vague. Et trop perdront leur autonomie et viendront remplacer ceux décédés en soins de longue durée. Il faut donner un deuxième souffle aux aînés pour cette deuxième vague.

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