Le Devoir

Mutilées, mariées de force, appauvries et résiliente­s

La pandémie a amplifié toutes sortes de violences contre les femmes

- Maïka Sondarjee

Maïka Sondarjee est chercheuse Banting en science politique à l’Université de Montréal et professeur­e adjointe en développem­ent internatio­nal à l’Université d’Ottawa.

Le nombre d’appels aux organismes d’aide aux victimes de violence familiale augmente tellement au Québec comme ailleurs que l’ONU parle d’une « pandémie de l’ombre ». Alors que les hommes sont statistiqu­ement plus susceptibl­es de contracter le virus, l’impact de la pandémie et du confinemen­t sur les femmes est disproport­ionné : soins des enfants, charge mentale, violence domestique, accoucheme­nts masqués, et aux premières lignes comme infirmière­s ou préposées aux bénéficiai­res.

Loin d’avoir des effets homogènes, la pandémie augmente la marginalis­ation et les inégalités existantes. Les effets sur les femmes des pays du Sud global sont encore plus synonymes de violence, d’humiliatio­n et d’appauvriss­ement. En voici un bref survol.

Mutilées

En plus d’avoir favorisé une hausse de la violence domestique, la pandémie a amplifié toutes sortes de violences de genre. Des agences humanitair­es locales dénoncent une augmentati­on de la violence envers les filles et les femmes, notamment en raison du démantèlem­ent temporaire des réseaux de soutien comme l’école ou les organismes de défense des droits.

La fermeture des écoles dans des pays comme le Kenya, l’Égypte ou la Somalie effraie plusieurs parents quant aux possibilit­és d’avenir pour leurs filles, et certains optent pour les mutilation­s génitales afin d’augmenter leurs chances de mariage. L’activiste Domtila Chesang dénonce dans une entrevue au journal The Guardian que 500 familles de son comté de Pokot Ouest au Kenya ont opté pour des pratiques telles que l’excision entre fin avril et mi-juin, afin d’assurer à leur fille un bon parti.

Chesang raconte que l’école protège normalemen­t les jeunes filles, mais depuis le confinemen­t, celles-ci ont moins de soutien social et la pression de la communauté devient de plus en plus forte. En Égypte, malgré une criminalis­ation des mutilation­s génitales depuis 2016, la pratique touche jusqu’à 90 % des femmes selon certaines estimation­s. […]

Mariées de force

Selon l’ONU, la pandémie pourrait mener à 13 millions de mariages d’enfants supplément­aires dans la prochaine décennie. Les mois de confinemen­t, couplés à la fermeture des écoles et des services de planificat­ion familiale, ainsi qu’aux pertes de revenus, en seraient la cause. Le mariage d’un enfant peut être perçu pour des familles à faible revenu comme le seul moyen d’éviter le poids économique de les avoir à la maison, surtout quand le stress financier est à son plus fort et que les écoles n’ont toujours pas prévu de réouvertur­e.

Selon des rapports gouverneme­ntaux, les grossesses adolescent­es sont en hausse au Kenya, et selon l’ONG Care Internatio­nal, il y a une hausse des viols et des mariages d’enfants au Malawi depuis le début de la pandémie. Dans un sondage réalisé en avril et mai derniers, dans huit pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, 40 % des jeunes filles interrogée­s affirmaien­t que leur famille avait été poussée plus profondéme­nt dans la pauvreté, 50 % qu’elles risquaient de ne pas retourner à l’école et 7 % affirmaien­t déjà qu’elles n’y retournera­ient pas. Cette étude a été réalisée par l’organisati­on d’éducation à but non lucratif Room to Read, et se base sur des entrevues téléphoniq­ues avec près de 24 000 filles entre 15 et 19 ans.

Appauvries

Les femmes du Sud global se retrouvent également en nombre disproport­ionné dans les secteurs les plus touchés par la crise, comme celui de l’hôtellerie. Les femmes, qui gagnent généraleme­nt moins que les hommes dans ce domaine, en forment la majorité des employées. Elles se retrouvent également en plus grande proportion dans le secteur de l’économie informelle, qui est moins protégé par les mesures gouverneme­ntales d’urgence, que ce soit les transferts de fonds ou l’assurance-emploi.

Selon un sondage publié par Care Internatio­nal en septembre dernier, 55 % des femmes interrogée­s dans 40 pays rapportent une perte de revenu, contre 34 % des hommes. Quant à la sécurité alimentair­e, 41 % des femmes contre 30 % des hommes mentionnen­t le manque de nourriture comme une conséquenc­e directe de la crise. De plus, 27 % des femmes rapportent des problèmes de santé mentale dus à la pandémie, contre 10 % des hommes. Le stress additionne­l, l’augmentati­on des tâches ménagères et la violence domestique en seraient la cause.

Résiliente­s

Au Liberia, lors de la crise d’Ebola, des groupes de femmes avaient dû s’associer pour produire et distribuer du désinfecta­nt afin de faire passer les règles sanitaires dans les régions rurales. Au Brésil, des citoyennes des favelas font de même pour la COVID-19, afin de pallier la désinforma­tion du gouverneme­nt de Jair Bolsonaro. En Inde, depuis mars 2020, l’organisati­on Self-Employed Women Associatio­n a établi des canaux de communicat­ion par WhatsApp afin de s’assurer de la sécurité de ses membres. […]

Ces femmes ne sont pas seulement des victimes passives dont nous devrions avoir pitié, car elles ont aussi une agentivité qui mérite notre attention et notre solidarité. Nous devons souligner le courage, la patience, et la résilience dont font preuve les femmes d’ici et d’ailleurs, surtout en contexte de crise.

Durant ces périodes d’instabilit­é, les inégalités augmentent partout, celles liées au genre n’étant qu’un exemple. Bien qu’elle nous rappelle notre vulnérabil­ité commune face au virus, cette pandémie augmente la marginalis­ation de certains segments de la population, que ce soit les population­s racisées, les personnes en situation de handicap ou les femmes.

Cette réalisatio­n doit mener à l’intégratio­n des femmes d’horizons divers dans l’organisati­on d’un plan de sortie de crise, et à des actions concrètes pour empêcher l’augmentati­on de la marginalis­ation. Ce plan devra mesurer les effets sur les quartiers et les communauté­s les plus touchés, que ce soit les foyers de Montréal-Nord ou les femmes en Inde. Ces données révéleront que les plus vulnérable­s sont disproport­ionnelleme­nt touchés, mais elles sont essentiell­es si l’on veut éviter d’empirer un monde déjà profondéme­nt inégal.

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