Le Devoir

Arts visuels

Une murale hommage à Joyce Echaquan dénonce subtilemen­t le racisme systémique

- JÉRÔME DELGADO À JOLIETTE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Les outils et les pots d’acrylique se trouvaient encore pêlemêle sur la table, preuve que la murale commandée par le Musée d’art de Joliette (MAJ) pour rendre hommage à Joyce Echaquan venait d’être terminée. Après quatre jours de travail, l’artiste Eruoma Awashish attendait l’entrevue, devant l’oeuvre intitulée Mackwisiwi­n — « la force » en attikamek.

« Je viens de la signer. La peinture est encore fraîche », commente-t-elle, en guise de bienvenue.

« La force, c’est ce que Joyce nous a légué. La force de continuer à lutter pour lui rendre justice, pour combattre toutes les injustices qui existent dans notre pays, dans notre province », résume la peintre, dont l’oeuvre placée pour « au moins un an » dans le cube vitré du MAJ est visible de la rue. Pas besoin d’attendre la fin du confinemen­t pour l’apercevoir.

Plus d’un mois s’est écoulé depuis le décès de Joyce Echaquan, victime de racisme à l’hôpital de Joliette. Situé à 2,5 km du centre hospitalie­r, le MAJ a voulu faire résonner la voix des Attikameks et a invité le Centre d’amitié autochtone de la région à lui faire une propositio­n.

De là est venue l’idée d’une murale signée Eruoma Awashish. Née en 1980 d’une mère francophon­e et d’un père attikamek, l’artiste était déjà connue du MAJ. Elle y avait exposé en janvier 2019 dans le cadre de l’exposition collective De tabac et de foin

d’odeur, du commissair­e wendat Guy Sioui Durand.

La principale intéressée assure avoir été ravie de l’invitation et en même temps angoissée, tant elle voulait que la famille de la victime apprécie. Finalement, elle est surtout soulagée d’avoir absorbé le choc. Parce que oui, affirme-t-elle, la communauté est encore bouleversé­e. La blessure sera longue à guérir.

« Depuis le début, je voulais faire quelque chose, mais je me sentais démunie. Je ne savais pas comment. C’est le sentiment de la plupart des gens, l’impuissanc­e face à ce drame », concède Eruoma Awashish.

« Joyce a mis un visage sur quelque chose qu’on savait qui existait. Elle est une héroïne, poursuit-elle. Je ne sais pas pourquoi le premier ministre [François Legault] ne veut pas ouvrir les yeux et admettre ce que tous les autres chefs de parti ont admis. »

Un vote pour la reconnaiss­ance du racisme

Eruoma Awashish ne fait pas de la politique, mais elle assure être autant militante qu’artiste. L’art autochtone, dit-elle, en substance, c’est de l’art engagé, indissocia­ble de l’affirmatio­n identitair­e ou territoria­le.

Elle avait songé à étudier en droit, comme son père. « Je voulais défendre nos droits, m’impliquer. Je me suis rendu compte que j’étais plus efficace comme artiste, pour passer des messages », dit celle qui termine une maîtrise en art, volet recherche et création à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Eruoma Awashish ne transpire pas la révolte. Bien au contraire. Elle est de nature pacifique, tel son prénom, amour à l’envers et un « e » en sus. Une trouvaille de son père. « Ma mère croyait que ça voulait dire “Je t’aime” en attikamek », confie, rieuse, la femme de 40 ans. Elle admet appartenir à la génération d’autochtone­s voulant « briser le cycle de la souffrance » liée au passé des pensionnat­s. Elle croit aux échanges et au métissage, à l’instar des cultures des Premières Nations, ouvertes, accueillan­tes.

Si elle doit porter le flambeau des revendicat­ions, elle le fait. Y compris pendant la semaine qu’elle a passée à Joliette. Sa murale rend autant hommage à Joyce Echaquan qu’elle dénonce le racisme systémique. La

La force, c’est ce que Joyce nous a légué. La force de continuer à lutter pour lui rendre justice, pour combattre toutes les injustices qui existent dans notre pays, dans notre province.

ERUOMA AWASHISH

gent politique l’a compris : ce sont les députés fédéraux (ceux du Bloc québécois) et provinciau­x (ceux de la région, y compris le premier ministre) qui ont financé la réalisatio­n de Mackwisiwi­n.

Invitée à rencontrer la ministre québécoise du Tourisme et députée de Berthier, Caroline Proulx, l’artiste a hésité, mais accepté sous les conseils d’un aîné de sa communauté. « Quand on nous tend une main, il faut la recevoir », lui a-t-on rappelé.

« J’ai voulu être honnête avec [la ministre] et lui ai dit que j’avais hésité à me faire photograph­ier en sa compagnie, parce que son parti ne reconnaît pas le racisme systémique », racontet-elle. Qu’a-t-elle répondu ? « Elle m’a écoutée surtout. Je lui ai dit que je m’engageais à aller aux communauté­s pendant les prochaines élections et sensibilis­er les gens à voter pour un parti qui reconnaît le racisme systémique. Je voulais qu’elle porte le message au premier ministre. »

Dans la peau de l’ours

Sur fond d’une couleur lumineuse, quelque part entre le jaune et le vert,

Mackwisiwi­n n’est pas plombée par la crise sociale mise au jour pas la mort de Joyce Echaquan. Plus allégoriqu­e que littérale, l’oeuvre est portée par la figure de l’ours, symbole de la force chez les Premières Nations. Peinte sur la grandeur d’un mur contournan­t un lavabo et son miroir, l’oeuvre représente la famille Echaquan : Joyce, son mari, leurs cinq enfants, leurs deux petits-enfants.

Awashish a traité du thème de la famille, « parce qu’on est rendu là, à se rassembler, malgré la pandémie ». C’est dans la peau d’une famille d’ours que les Echaquan y figurent. « Dans l’étymologie du mot mackwisiwi­n, il y a le mot maskwa, ours. Être fort, c’est être ours, être fort comme l’ours », signale l’artiste.

Fleurs, plantes, racines et coeurs, des motifs présents dans ses peintures — et sur ses bras —, complèteme­nt la compositio­n. Des choix naturels pour évoquer le positif de l’automne, malgré la tragédie du 28 septembre à l’hôpital de Joliette.

« Les fleurs, Joyce en sème. Elle a semé quelque chose de beau en nous. Le coeur représente l’unité. Il faut s’arrimer pour que nos coeurs battent au même rythme, ensemble. Joyce nous a rappelé qu’on a besoin de tout le monde dans ce combat. Les Premières Nations ne peuvent pas être seules. Les autres peuples doivent aussi être là », dit Eruoma Awashish en priant.

Mackwisiwi­n [La force]

Une murale d’Eruoma Awashish, au Musée d’art de Joliette, avec la collaborat­ion du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière et la contributi­on de députés provinciau­x et fédéraux. À noter que le jeudi 26 novembre à 12 h 30, l’artiste présentera une conférence en ligne d’une heure au sujet de sa pratique et dans laquelle il sera question de la réalisatio­n de cette murale à la mémoire de Joyce Echaquan. Cette activité organisée par le MAJ est gratuite. On s’y inscrit en ligne.

 ?? PHOTOS MUSÉE D’ART DE JOLIETTE ?? Née en 1980 d’une mère francophon­e et d’un père attikamek, l’artiste Eruoma Awashish était déjà connue du Musée d’art de Joliette. Elle y avait exposé en janvier 2019 dans le cadre de l’exposition collective De tabac et de foin d’odeur, du commissair­e wendat Guy Sioui Durand. Elle signe cette murale intitulée Mackwisiwi­n.
PHOTOS MUSÉE D’ART DE JOLIETTE Née en 1980 d’une mère francophon­e et d’un père attikamek, l’artiste Eruoma Awashish était déjà connue du Musée d’art de Joliette. Elle y avait exposé en janvier 2019 dans le cadre de l’exposition collective De tabac et de foin d’odeur, du commissair­e wendat Guy Sioui Durand. Elle signe cette murale intitulée Mackwisiwi­n.
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Plus d’un mois s’est écoulé depuis le décès de Joyce Echaquan, victime de racisme à l’hôpital de Joliette. Situé à 2,5 km du centre hospitalie­r, le MAJ a voulu faire résonner la voix des Attikameks et a invité le Centre d’amitié autochtone de la région.

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