La vraie vie
André Aciman donne une suite bouleversante à Appelle-moi par ton nom avec Trouve-moi
L’an dernier, douze ans après la parution de Call Me by Your Name (Appellemoi par ton nom), et deux ans après la sortie du film que le roman a inspiré à James Ivory et Luca Guadagnino, André Aciman donnait enfin une suite à l’histoire d’Elio et Oliver. Le livre, qui s’intitule Trouve-moi et vient d’être publié aux Éditions Grasset, nous permet de renouer avec les deux hommes qui découvrirent la passion sous le soleil de l’Italie à la fin des années 1980, mais aussi avec Samuel, l’attendrissant père d’Elio.
« Le temps est toujours le prix à payer pour la vie qui n’a pas été vécue. » Pendant 20 ans, Elio et Oliver se sont pour ainsi dire perdus de vue. Le premier est devenu professeur de piano à Paris. Le second, marié et père de deux fils, enseigne dans une université du New Hampshire. Mais le souvenir persiste, l’attente se poursuit, le désir subsiste et le voeu d’être retrouvé par l’autre ne cesse d’être silencieusement formulé. « Tout ce que je puis faire quand je suis seul est de murmurer son nom dans l’obscurité. »
L’action se déroule de la fin des années 1990 au début des années 2000, d’abord en Italie, puis en France, ensuite aux États-Unis et finalement en Égypte. Dans une prose toujours sublime, ronde et délicate, mesurée et pourtant souple, posant une à une les pièces d’une structure narrative plus élaborée que celle d’Appelle-moi par
ton nom, Aciman prépare patiemment le terrain, met savamment la table pour donner plus d’ampleur et de résonance à ce qui va se jouer dans les cinquante dernières pages.
Passions souveraines
Avant d’entrer dans le vif du sujet, donc, l’auteur prend le temps d’élargir sa réflexion sur la disparité d’âge dans les relations amoureuses. C’est ainsi qu’il expose ses personnages au coup de foudre, des passions si souveraines que sous leur influence tout le reste, ou presque, devient secondaire. Est-il nécessaire de préciser que l’oeuvre s’adresse aux incorrigibles romantiques ? Pour celles et ceux qui ne cultivent pas le cynisme, la lecture sera tout simplement bouleversante.
Il y a d’abord Samuel, le père d’Elio, dont la vie sera à tout jamais chamboulée par sa rencontre avec Miranda. « Deux personnes ayant passé en tout moins de quatre heures ensemble pouvaient-elles avoir si peu de secrets l’une pour l’autre ? » Puis ce sera au tour d’Elio de voir son existence transformée par le surgissement de Michel. « Il m’avait aussi aidé à laisser derrière moi tout ce que j’avais apporté cette nuit-là, mes pensées, ma musique, mes rêves, mon nom, mes amours, mes scrupules, mon vélo… »
Dans tout le roman, la musique est omniprésente, notamment celle de Bach, avec qui Oliver a, un soir de beuverie, un échange aussi lucide qu’improbable. « La musique n’est rien d’autre que l’écho de nos regrets dont la cadence nous donne l’illusion du plaisir et de l’espoir », affirme le compositeur allemand avant d’ajouter, comme pour encourager son interlocuteur à se ressaisir : « La musique est la vie qui n’a pas été vécue. Tu n’as pas vécu la vraie vie, mon ami, et presque dénaturé celle qu’il t’a été donné de vivre. »