Excès majeurs pour opus mineur
Glenn Close en fait (heureusement) des tonnes dans un film de Ron Howard qui sonne faux
Avant sa sortie limitée dans certains cinémas américains, le film Hillbilly
Elegy était précédé d’échos enthousiastes où le mot « Oscar » revenait sans cesse. Puis, les critiques l’ont vu. Entre la réaction générale et la rumeur, disons qu’il n’y eut pas exactement adéquation. Certes, l’une des interprétations pourrait fort bien décrocher une nomination, mais le cas échéant, ce serait d’abord un rappel que l’Académie a un faible pour les performances surdimensionnées et les déguisements. De quoi s’agit-il ? De l’adaptation par Ron Howard des mémoires de J.D. Vance, un succès de librairie relatant son enfance auprès d’une mère toxicomane et d’une grand-mère dure mais aimante.
Hillbilly Elegy (Une ode américaine) alterne deux époques : en 1997, J.D. et sa soeur aînée Lindsay font les frais de l’instabilité de Bev, leur mère toxicomane, et en 2011, J.D., étudiant en droit à Yale, doit vite rentrer au bercail après que Bev eut fait une surdose d’héroïne. Dans un présent déjà pénible surgissent des souvenirs familiaux violents alors que J.D. tente d’être à la hauteur de la situation sans toutefois compromettre son futur, lui qui se trouve à une étape charnière de son parcours professionnel.
Premier membre du clan « à s’en sortir », J.D. aura ainsi l’occasion de se remémorer les paroles de feu sa grand-mère : « La famille, c’est ce qui compte le plus dans cette foutue vie. » Oui, mais qu’en est-il lorsqu’un membre de ladite famille, non content de sans cesse retourner toucher le fond, essaie d’attirer les autres à sa suite ? Le dilemme est complexe, mais son exploration n’est ici que superficielle.
Après avoir vu le film, difficile d’être en désaccord avec l’accueil mitigé qu’il a reçu. Dès les premières images, quelque chose sonne faux. C’est là une vision esthétisante de la pauvreté par un réalisateur habitué de tenir la barre d’opulentes superproductions, d’Apollo 13 à
Da Vinci Code (Le code Da Vinci) et
ses suites en passant par Far and Away (Horizons lointains) et Solo : A Star War Story (Solo : une histoire de Star Wars).
Pourtant, l’un des meilleurs films de Ron Howard est une chronique familiale : Parenthood (Portrait craché d’une famille modèle), une comédie dramatique pleine de bons sentiments, bons sentiments qui en l’occurrence fonctionnent, parce qu’au fond, c’est ça, la spécialité d’Howard.
À l’inverse avec un film qui se veut « à message », une pseudo-réflexion sur la notion du rêve américain, on sent le réalisateur complètement dépassé.
Paradoxe fait film
Quoi qu’il en soit, cette impression dès le départ d’une peinture de milieu factice ne se dissipera, hélas, jamais tout à fait. La direction d’acteurs n’arrange rien. L’habituellement excellente Amy Adams, qui joue la mère du protagoniste, fait son entrée en trombe : l’approche appuyée prévaudra. Elle est suivie de peu par Glenn Close, alias « Mamaw » la grand-mère, dont la perruque grise, les larges lunettes et les cigarettes en série auraient mieux convenu au théâtre qu’au cinéma (qui grossit tout).
L’interprétation de la fabuleuse comédienne est à l’avenant : énorme. Et, oui, c’est sans doute ce qui lui vaudra une nomination aux Oscar, et qui sait une victoire, son travail autrement plus fin dans The World According to Garp (Le monde selon Garp), Dangerous Liaisons (Les liaisons dangereuses) ou The Wife n’ayant pas suffi à lui valoir ne serait-ce qu’une fois la convoitée statuette (pour mémoire, Glenn Close a été nommée aux Oscar sept fois, en vain).
Le plus curieux, c’est qu’en dépit de sa nature excessive, l’interprétation de l’actrice est, et de loin, ce que le film a de mieux. Chaque fois qu’elle apparaît en matriarche dont le franc-parler est une arme de destruction massive ou une source de consolation immense, c’est selon, Glenn Close éclipse quiconque partage l’écran avec elle. Mais surtout, elle distrait de la relative platitude de l’ensemble.
À ce propos, Hillbilly Elegy est un paradoxe fait film. D’une part, la maladresse des allers-retours entre 1997 et 2011 évoque un condensé d’une minisérie à laquelle on aurait retranché trop de matériel : le découpage semble avoir été fait à la tronçonneuse. Or, d’autre part, les situations de crise s’avèrent si redondantes qu’on se surprend à se dire que davantage de coupes n’auraient peut-être pas nui, finalement. Cela, ou confier l’adaptation à quelqu’un d’autre.