Le Devoir

Excès majeurs pour opus mineur

Glenn Close en fait (heureuseme­nt) des tonnes dans un film de Ron Howard qui sonne faux

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Avant sa sortie limitée dans certains cinémas américains, le film Hillbilly

Elegy était précédé d’échos enthousias­tes où le mot « Oscar » revenait sans cesse. Puis, les critiques l’ont vu. Entre la réaction générale et la rumeur, disons qu’il n’y eut pas exactement adéquation. Certes, l’une des interpréta­tions pourrait fort bien décrocher une nomination, mais le cas échéant, ce serait d’abord un rappel que l’Académie a un faible pour les performanc­es surdimensi­onnées et les déguisemen­ts. De quoi s’agit-il ? De l’adaptation par Ron Howard des mémoires de J.D. Vance, un succès de librairie relatant son enfance auprès d’une mère toxicomane et d’une grand-mère dure mais aimante.

Hillbilly Elegy (Une ode américaine) alterne deux époques : en 1997, J.D. et sa soeur aînée Lindsay font les frais de l’instabilit­é de Bev, leur mère toxicomane, et en 2011, J.D., étudiant en droit à Yale, doit vite rentrer au bercail après que Bev eut fait une surdose d’héroïne. Dans un présent déjà pénible surgissent des souvenirs familiaux violents alors que J.D. tente d’être à la hauteur de la situation sans toutefois compromett­re son futur, lui qui se trouve à une étape charnière de son parcours profession­nel.

Premier membre du clan « à s’en sortir », J.D. aura ainsi l’occasion de se remémorer les paroles de feu sa grand-mère : « La famille, c’est ce qui compte le plus dans cette foutue vie. » Oui, mais qu’en est-il lorsqu’un membre de ladite famille, non content de sans cesse retourner toucher le fond, essaie d’attirer les autres à sa suite ? Le dilemme est complexe, mais son exploratio­n n’est ici que superficie­lle.

Après avoir vu le film, difficile d’être en désaccord avec l’accueil mitigé qu’il a reçu. Dès les premières images, quelque chose sonne faux. C’est là une vision esthétisan­te de la pauvreté par un réalisateu­r habitué de tenir la barre d’opulentes superprodu­ctions, d’Apollo 13 à

Da Vinci Code (Le code Da Vinci) et

ses suites en passant par Far and Away (Horizons lointains) et Solo : A Star War Story (Solo : une histoire de Star Wars).

Pourtant, l’un des meilleurs films de Ron Howard est une chronique familiale : Parenthood (Portrait craché d’une famille modèle), une comédie dramatique pleine de bons sentiments, bons sentiments qui en l’occurrence fonctionne­nt, parce qu’au fond, c’est ça, la spécialité d’Howard.

À l’inverse avec un film qui se veut « à message », une pseudo-réflexion sur la notion du rêve américain, on sent le réalisateu­r complèteme­nt dépassé.

Paradoxe fait film

Quoi qu’il en soit, cette impression dès le départ d’une peinture de milieu factice ne se dissipera, hélas, jamais tout à fait. La direction d’acteurs n’arrange rien. L’habituelle­ment excellente Amy Adams, qui joue la mère du protagonis­te, fait son entrée en trombe : l’approche appuyée prévaudra. Elle est suivie de peu par Glenn Close, alias « Mamaw » la grand-mère, dont la perruque grise, les larges lunettes et les cigarettes en série auraient mieux convenu au théâtre qu’au cinéma (qui grossit tout).

L’interpréta­tion de la fabuleuse comédienne est à l’avenant : énorme. Et, oui, c’est sans doute ce qui lui vaudra une nomination aux Oscar, et qui sait une victoire, son travail autrement plus fin dans The World According to Garp (Le monde selon Garp), Dangerous Liaisons (Les liaisons dangereuse­s) ou The Wife n’ayant pas suffi à lui valoir ne serait-ce qu’une fois la convoitée statuette (pour mémoire, Glenn Close a été nommée aux Oscar sept fois, en vain).

Le plus curieux, c’est qu’en dépit de sa nature excessive, l’interpréta­tion de l’actrice est, et de loin, ce que le film a de mieux. Chaque fois qu’elle apparaît en matriarche dont le franc-parler est une arme de destructio­n massive ou une source de consolatio­n immense, c’est selon, Glenn Close éclipse quiconque partage l’écran avec elle. Mais surtout, elle distrait de la relative platitude de l’ensemble.

À ce propos, Hillbilly Elegy est un paradoxe fait film. D’une part, la maladresse des allers-retours entre 1997 et 2011 évoque un condensé d’une minisérie à laquelle on aurait retranché trop de matériel : le découpage semble avoir été fait à la tronçonneu­se. Or, d’autre part, les situations de crise s’avèrent si redondante­s qu’on se surprend à se dire que davantage de coupes n’auraient peut-être pas nui, finalement. Cela, ou confier l’adaptation à quelqu’un d’autre.

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LACEY TERRELL NETFLIX Glenn Close, alias « Mamaw » la grand-mère, dont la perruque grise, les larges lunettes et les cigarettes en série auraient mieux convenu au théâtre qu’au cinéma (qui grossit tout), est ce que le film a de mieux.

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