Le clown qui avait les blues
Belushi trace un portrait doux-amer de l’humoriste culte décédé à 33 ans
Il n’avait pas son pareil pour imiter Joe Cocker. Son personnage du samouraï qu’il incarnait dans Saturday Night Live, dont il fut l’un des pionniers et piliers, est entré dans l’histoire à sa première apparition. De même que le sketch du restaurateur répétant « cheeseburger, cheeseburger », inspiré de son père taciturne. Ou celui des beignes au chocolat, son secret pour remporter un décathlon. Sans parler de ses rôles marquants chez John Landis, Bluto dans National Lampoon’s Animal House (1978) et Joliet Jake dans The Blues Brothers (1980), au côté de son grand ami Dan Aykroyd.
Comme le démontre avec plusieurs extraits d’archives le documentaire Belushi, de R.J. Cutler, si certains de ses numéros et de ses personnages ont pris un sérieux coup de vieux, la légende de John Belushi, elle, n’a pas pris une ride. D’ailleurs, les spectateurs n’ayant pas connu les premières années de SNL trouveront certainement fascinant d’y découvrir les origines de cette émission de variétés créée en 1975 par le producteur Lorne Michaels et d’y constater l’influence de Belushi sur les générations suivantes.
L’étoffe d’une star
Né en 1949, à Wheaton, banlieue à quelques kilomètres de Chicago, de modestes immigrants albanais, John Belushi a su très tôt qu’il n’allait pas reprendre le restaurant de son père pour gagner sa vie. Fasciné par les humoristes Jonathan Winters et Bob Newhart qu’il découvre à la télévision, le jeune garçon se plaît à écrire de petits numéros qu’il teste auprès de sa famille et de ses camarades de classe. Grâce à ses talents de footballeur, de batteur et d’imitateur, le charismatique Belushi est d’ailleurs la coqueluche de son école.
Or, s’il se démarque rapidement au sein de la troupe d’improvisation Second City et qu’il se taille une place de choix dans l’émission de radio The
National Lampoon Show, sa première saison à SNL ne se déroule pas comme il l’aurait souhaitée puisqu’il est éclipsé par Chevy Chase. Son tempérament fougueux, son manque d’esprit d’équipe, son indiscipline et son arrogance à l’endroit de Lorne Michaels lors de son audition ne sont sans doute pas étrangers à ses débuts difficiles au petit écran. Il est vrai que John Belushi était plus grand que nature…
Seul au sommet
Accro à la cocaïne, à l’héroïne et à l’alcool dans les dernières années de sa courte existence, le génie comique, aux prises avec d’insurmontables démons, a mené une vie remplie de clichés comme celle d’une rockstar. Or, si le réalisateur R.J. Cutler (A Perfect Candidate, The September Issue) n’omet pas d’aborder la dimension rebelle de l’artiste, il a surtout voulu mettre l’accent sur sa personnalité attachante. Ponctué d’entrevues inédites du cher disparu, Belushi retrace de manière conventionnelle le destin et la carrière de cet homme complexe à travers le regard bienveillant de ses amis, de son frère Jim Belushi, qui se démarqua avec moins d’éclat à SNL, et de la femme de sa vie, Judith Belushi-Pisano. Sans la présence chaleureuse de cette dernière, qui a donné accès aux archives de son mari, le documentaire n’aurait certainement pas eu cet aspect intimiste.
Grâce à la voix de Bill Hader (le Stefon de SNL), celle de Belushi se fait entendre à travers son journal intime et les lettres d’amour envoyées à sa femme qu’il surnomme Jutes. Ainsi découvre-t-on l’amoureux tendre et l’ami complice, de même que le clown triste et l’artiste torturé. Jusqu’à sa mort par surdose au mythique Château Marmont, en 1982, Belushi a brûlé la chandelle par les deux bouts, comme en témoignent ses proches, dont la regrettée Carrie Fisher, qui a aussi vécu le cycle infernal de la toxicomanie, le regretté Harold Ramis et, bien sûr, Dan Aykroyd.
Plutôt que d’enchaîner les têtes parlantes, R.J. Cutler a préféré illustrer certains témoignages à l’aide d’effets visuels de Stefan Nadelman et de séquences d’animation de Robert Valli, où l’humoriste apparaît souvent sous les traits d’un enfant. Fort de ces quelques touches d’originalité, Belushi s’avère un portrait doux-amer qui rend justice au talent hors-norme et à l’imagination débridée de cette figure légendaire de l’humour américain.