Le Devoir

Les surdoses font des victimes inattendue­s au Québec

La Santé publique fait fausse route en parlant d’une crise des opioïdes, disent des organismes

- SANTÉ JESSICA NADEAU

Alors que le nombre de surdoses augmente au Québec, une nouvelle étude démontre que le profil type des personnes qui en meurent n’est pas celui auquel les acteurs du milieu s’attendaien­t.

« Le profil des personnes décédées était surprenant et va à l’encontre de l’image que l’on a », affirme la chercheuse André-Anne Parent, de l’École de travail social de l’Université de Montréal, qui a analysé 340 rapports de coroner de personnes québécoise­s décédées par surdoses en 2017.

« Ce qui surprend tout le monde, c’est l’âge », précise Chantal Morency, coordonnat­rice générale de l’Associatio­n québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatri­ces de drogue, organisme qui a commandé l’étude. « On a tous cette vision d’une personne jeune qui vit dans la rue, mais ce n’est pas ça le visage des gens qui font des surdoses. »

En effet, l’étude démontre que l’âge moyen des victimes de surdoses est de 46 ans, et que les femmes qui décèdent de surdoses sont plus âgées que les hommes. « L’année de naissance médiane est de 1972 pour les hommes et de 1966 pour les femmes », souligne la chercheuse.

Au-delà des opioïdes

Selon plusieurs organismes réunis lundi pour la présentati­on de ce rapport, la Santé publique fait fausse route en parlant d’une crise des opioïdes.

Et les données semblent leur donner raison. En effet, 65 % des surdoses en 2017 étaient attribuabl­es à une polyintoxi­cation. Et dans « au moins 300 rapports » sur 340, on rapporte la présence d’entre 2 et 12 substances dans les analyses toxicologi­ques. « Ça va donc bien au-delà de la question des opioïdes », affirme Mme Parent.

« Les substances les plus citées pour les hommes sont les méthamphét­amines, les amphétamin­es, la cocaïne et l’alcool. Chez les femmes, il s’agit plutôt de méthamphét­amines, d’amphétamin­es, d’alcool et de quétiapine, un antipsycho­tique courant. »

Le rapport démontre également que plusieurs des personnes décédées de surdose avaient un diagnostic de maladie chronique — problèmes cardiaques, vasculaire­s ou pulmonaire­s —, ainsi que des douleurs chroniques et des troubles de santé mentale. Plusieurs avaient également fait des tentatives de suicide dans le passé et souffraien­t de détresse psychologi­que.

« On peut penser que la prise en charge de ces problèmes n’est pas optimale et que les inégalités sociales de santé se dressent en trame de fond du phénomène des surdoses », affirme la chercheuse.

« On dit que tout le monde peut décéder de surdose, mais, dans les faits, ce n’est pas tout le monde qui en décède, soutient Mme Parent. Et quand on fait l’analyse, on voit très bien qu’une partie des gens qui en sont décédés ont cumulé différents problèmes tout au long de leur vie et décèdent à un âge assez élevé. »

« On dirait The Walking Dead »

Si les données datent de 2017 — seule année pour laquelle les données étaient complètes au moment où les chercheurs ont entamé leur étude —, André-Anne Parent estime que « le portrait n’a pas tellement changé, malgré l’augmentati­on du nombre des surdoses ».

Les organismes communauta­ires se réjouissen­t d’avoir enfin accès à des données tangibles, mais ils s’inquiètent de cette augmentati­on importante des psychoses et des surdoses, surtout depuis le début de la pandémie. « Je n’ai jamais vu autant de psychoses toxiques, affirme Hugo Bissonnett­e, de la clinique Santé Amitié. Les gens sont vraiment tout croches. Dans la rue, on dirait The Walking Dead.»

Son collègue Jean-François Mary, directeur général de Cactus Montréal, réclame de l’aide. « Pour donner un ordre d’idée, quand on a commencé à travailler sur ce rapport-là, on avait une personne de notre entourage par mois qui décédait de surdose. Actuelleme­nt, on en a plusieurs par semaine. Pourtant, on n’a pratiqueme­nt aucun soutien. Quand le nombre de morts va-t-il être suffisant pour qu’on commence enfin à agir ? »

On a tous cette vision d’une personne jeune qui vit dans la rue, mais ce n’est pas ça le visage des gens qui font des surdoses

CHANTAL MORENCY

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