Le Devoir

Tollé contre la directive de nonréanima­tion

- ISABELLE PARÉ

Le maintien jusqu’en septembre dernier d’une directive visant à cesser la réanimatio­n de certains patients en arrêt cardioresp­iratoire dans la métropole a suscité de vives réactions des partis d’opposition, lundi à Québec, et des critiques quant à l’acceptabil­ité sociale et à l’éthique d’une telle mesure.

Par la voix de son attaché de presse, le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’est défendu en faisant valoir que la directive controvers­ée avait été soumise à l’attention de sa prédécesse­ure, l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann, avant son entrée en poste. « Nous tenons à rassurer la population : cette directive n’existe plus dans le réseau », a souligné l’attachée de presse du ministre, Marjaurie Côté-Boileau.

« La pandémie a engendré des décisions administra­tives qui sont crève-coeur, a-t-elle ajouté par écrit. Dans le contexte, il a fallu agir pour contrôler le mieux possible les personnes qui entrent aux unités de soins intensifs et assurer un certain contrôle avant de modifier les directives. »

Toujours pas de données

La Dre Élyse Berger, la directrice médicale nationale qui a établi cette directive, a pour sa part défendu bec et ongles en entrevue au Devoir cette mesure, adoptée après discussion avec les directeurs médicaux régionaux et le Collège des médecins pour prévenir la contaminat­ion des ambulancie­rs et une surcharge des unités de soins intensifs. Seule la région de Montréal l’a toutefois mise en vigueur, d’avril à septembre, ciblant les patients en arrêt cardioresp­iratoire en état d’asystolie depuis deux minutes (sans pouls).

« Au début de la pandémie, on s’est imaginé devoir réanimer des cas qui allaient mourir de toute façon à l’hôpital », a-t-elle expliqué. Cet « arrêt de manoeuvres intensifié­es » n’aurait touché qu’un nombre infime de patients, selon la Dre Berger, qui concède ne pas disposer encore de chiffres à ce sujet. « On n’a enlevé des soins à personne », dit-elle. Il s’agissait plutôt « d’arrêter précocemen­t des soins chez quelqu’un n’ayant plus de chance de survie ».

Dans les cas visés par la directive, le temps des manoeuvres de réanimatio­n prodiguées par les ambulancie­rs a ainsi été ramené de 10 minutes à 2 minutes, dit-elle.

La directive s’inspirait de la même logique que le protocole de triage pour l’accès aux soins intensifs, élaboré par un comité de sages le printemps dernier pour déterminer qui devait avoir priorité aux soins en cas de manque de ressources. Or ce protocole n’a jamais eu à être appliqué dans les urgences jusqu’à maintenant. Malgré tout, la directive est restée en place jusqu’en septembre, le temps que les données démontrent « que la 2e vague serait moins importante », selon la directrice médicale nationale.

Des sources médicales ont toutefois affirmé au Devoir que, même au plus fort de la pandémie, la capacité des soins intensifs à recevoir des patients n’a jamais été dépassée à Montréal.

Pour Bryn William-Jones, directeur des programmes de bioéthique et professeur au Départemen­t de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la genèse et le processus d’adoption de cette directive témoignent de nombreux écueils éthiques.

« C’est une farce, on n’a même pas les données en main pour réévaluer cette directive en cours de route. Sans données, on ne peut réviser. Quand des directives impliquent le décès de gens, il y a une obligation de vérifier constammen­t s’il est pertinent qu’une telle politique soit maintenue au fil du temps. »

Cet éthicien estime qu’à sa face même, la directive pose un problème d’acceptabil­ité sociale. « On le voit bien dans la détresse de certains ambulancie­rs qui devaient l’appliquer. On peut agir éthiquemen­t, même en situation d’urgence », dit-il, déplorant qu’aucun comité d’experts n’ait été consulté, comme ce fut le cas pour élaborer le protocole concernant un éventuel guide de triage aux soins intensifs.

Selon le professeur William-Jones, la non-transparen­ce de telles décisions « érode la confiance des gens dans le système ». « Tout le monde peut comprendre qu’il y ait des choix déchirants à faire, il faut en comprendre le raisonneme­nt. C’est injuste, car ce sont les citoyens qui vivent les conséquenc­es de ça. Pour garder la confiance en démocratie, il faut dévoiler les informatio­ns à la base des politiques. »

Critiques à Québec

À Québec, les trois partis d’opposition, choqués d’apprendre l’existence de cette directive, ont tour à tour invité le ministre de la Santé, Christian Dubé, à s’expliquer. « Je n’ose pas imaginer la détresse et la colère des proches et le poids très lourd à porter pour les ambulancie­rs », a réagi la députée libérale Marie Montpetit dans une déclaratio­n écrite.

« Le ministre doit expliquer ce qui justifiait la mise en place de cette directive et surtout pourquoi elle a été maintenue durant tout l’été alors que la situation ne l’exigeait pas », a-t-elle ajouté.

Pour Québec solidaire (QS), ce nouvel exemple démontre la « déconnexio­n entre le gouverneme­nt de François Legault et la réalité du terrain ». « La question qu’on se pose c’est : est-ce que des gens n’ont pas reçu des soins auxquels ils avaient droit ? », a affirmé le co-porte-parole de QS Gabriel Nadeau-Dubois.

Le député péquiste Joël Arseneau ne réclame quant à lui rien de moins qu’une enquête pour savoir combien de personnes ont été touchées par cette directive. « Est-ce que le ministre a appuyé cette approche, s’est-il questionné ? Pourquoi n’a-t-on pas suspendu la procédure lorsque la situation est revenue à la normale ? »

La directive s’inspirait de la même logique que le protocole de triage pour l’accès aux soins intensifs, élaboré au printemps dernier pour déterminer qui devait avoir priorité aux soins en cas de manque de ressources

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La directive visant à cesser la réanimatio­n de certains patients en arrêt cardioresp­iratoire a été adoptée, après discussion avec les directeurs médicaux régionaux et le Collège des médecins, pour prévenir la contaminat­ion des ambulancie­rs et une surcharge des unités de soins intensifs.

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