Le Devoir

La production locale de vaccins de nouveau sous les projecteur­s

- CORONAVIRU­S FRANÇOIS DESJARDINS

Les mises à jour concernant le progrès des candidats-vaccins contre la COVID19 et leur éventuelle distributi­on continuent de susciter la discussion tant dans l’industrie qu’à Ottawa, où l’opposition est revenue à la charge mercredi pour reprocher au gouverneme­nt de ne pas avoir été en mesure d’assurer une capacité de production de masse au Canada.

À la Chambre des communes, le premier ministre Justin Trudeau n’a pas répondu directemen­t à une question des conservate­urs cherchant à savoir si le gouverneme­nt avait négocié, avec les compagnies, le droit de produire ici les vaccins en développem­ent. « En signant les contrats, oui, nous avons regardé différente­s options pour assurer autant que possible une production domestique. Mais ce n’est malheureus­ement pas quelque chose qui est possible pour l’instant. »

Selon nos informatio­ns, le gouverneme­nt n’a pas négocié de tels droits parce qu’il savait que le Canada n’a pas de capacité de production de masse. On indique en coulisse que rien, dans les contrats, n’empêcherai­t de revenir à la charge plus tard, si la situation changeait.

Le premier ministre a mis sur le dos des gouverneme­nts Harper la désintégra­tion du secteur de la production locale de vaccins. « En 2007, AstraZenec­a et Bristol Myers ont mis un terme à leurs opérations manufactur­ières. En 2010, Johnson & Johnson et le centre de recherche de Merck, à Montréal, ont fermé. […] En 2012, AstraZenec­a, GlaxoSmith­Kline (GSK) et Sanofi ont annoncé des fermetures et des mises à pied. »

De manière générale, les compagnies qui procèdent au développem­ent le font généraleme­nt dans des usines proches des sièges sociaux, donc la

Les grandes compagnies ont tendance à concentrer le développem­ent plus près du siège social, selon le p.-d.g. de la grappe Montréal InVivo

production « se fait majoritair­ement aux États-Unis et en Europe », a dit en entrevue Frank Béraud, p.-d.g. de Montréal InVivo, qui réunit des pharmaceut­iques et des représenta­nts des milieux de la santé, universita­ire et de la recherche. « Quand on parle de production de masse, il s’agit de processus hyperspéci­alisés, qui ne peuvent pas être répliqués à l’infini sur une multitude de sites. »

Pour pouvoir produire un vaccin, ce qui s’applique aussi à un médicament, il faut une approbatio­n par site, pour un processus bien défini. « Les compagnies auront tendance à concentrer la production sur le ou les sites qui ont reçu ces approbatio­ns. »

À l’heure actuelle, le Canada possède une certaine capacité de production. GSK possède une usine de fabricatio­n de vaccin antigrippa­l à Québec, tout comme c’est le cas pour Sanofi à Toronto.

La pandémie a mis en lumière la dépendance en matière d’approvisio­nnements internatio­naux, « et pas juste pour les vaccins », dit M. Béraud en mentionnan­t les médicament­s et l’équipement de protection individuel­le. « Oui, il y a cette volonté de Québec et d’Ottawa de développer une certaine autonomie nationale, si je peux dire, pour certains de ces produits-là, mais concrèteme­nt, comment on fait ça ? Si on dit qu’on veut produire des médicament­s stratégiqu­es au Canada, qu’est-ce qu’un médicament stratégiqu­e ? Comment on le définit ? […] C’est un sujet super important, je crois, qui se parle beaucoup dans le secteur. C’est un dossier qui ne peut pas être réglé en silo, par les ordres de gouverneme­nt. Il faut que l’industrie soit à la table de discussion. »

Les gouverneme­nts ont quand même fait de bons coups, a insisté M. Béraud, qui mentionne notamment l’aide à Medicago, à Québec, laquelle travaille sur un candidat-vaccin. Ottawa lui a consenti un appui financier de 173 millions pour son développem­ent et la constructi­on d’installati­ons de production.

La compagnie devrait entamer ses essais de phase 3 en décembre et a conclu avec Ottawa une entente pour 73 millions de doses si le produit était approuvé par Santé Canada. Ottawa a aussi consenti 44 millions pour la mise à niveau des installati­ons du Conseil national de recherches Canada (CNRC), à Montréal, notamment pour augmenter la production de candidats-vaccins. En août, un communiqué évoquait une « production préliminai­re de 250 000 doses de vaccins par mois dès novembre ».

Rebâtir une capacité

Le scientifiq­ue en chef du Québec, Rémi Quirion, a souligné, lors d’une récente entrevue au Devoir, qu’il y a eu ces dernières années une importante « délocalisa­tion » de la recherche fondamenta­le que menaient auparavant les compagnies comme Merck, Pfizer ou Abbott dans leurs laboratoir­es québécois. Les pharmaceut­iques fonctionne­nt dorénavant selon un modèle où elles donnent des contrats à des chercheurs universita­ires d’ici. De telles ententes existent notamment avec des savants des université­s de Sherbrooke, de McGill et du CHUM.

Quant à la production de médicament­s à proprement parler — sans évoquer spécifique­ment la question des vaccins —, M. Quirion, qui préside le conseil d’administra­tion des Fonds de recherche du Québec, avait dénoté des faiblesses. « Pas juste au Québec, mais globalemen­t au Canada, on a moins de capacités locales pour produire des médicament­s. Même pour produire des pilules qui existent déjà, on n’a pas beaucoup de capacités. […] Il y a des discussion­s qui sont en cours, impliquant par exemple le Consortium de recherche biopharmac­eutique, pour dire : peut-être qu’on doit rebâtir des capacités de ce côté-là. Ça ne concerne pas juste la pandémie, c’est plus large que ça. Ça pourrait être utile pour d’autres crises. »

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ROBYN BECK AGENCE FRANCEPRES­SE La compagnie Medicago, à Québec, devrait entamer ses essais de phase 3 en décembre.

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