Le Devoir

Endettemen­t sous haute surveillan­ce

- GÉRARD BÉRUBÉ

La pandémie est venue brouiller les cartes, et l’aide aux revenus consentie, jumelée aux reports de paiements accordés par les créanciers, aura eu pour conséquenc­e de retarder certaines échéances. Le risque d’insolvabil­ité ne s’est donc pas matérialis­é… pour l’instant. Toni Gravelle, sous-gouverneur de la Banque du Canada, l’a rappelé lundi. Avant l’éclosion de la COVID-19, le système financier était déjà sujet à d’importante­s vulnérabil­ités, dont le niveau élevé d’endettemen­t des ménages et les déséquilib­res dans certains marchés du logement, lit-on dans le texte de son discours. Donc, si l’on a observé une certaine « résilience pandémique », « il faut encore surveiller la possibilit­é que les difficulté­s actuelles de bon nombre de ménages et d’entreprise­s mènent à des pertes de crédit qui se répercuter­aient dans l’ensemble du système financier ».

Ce risque s’en trouve d’autant plus accru que l’effet COVID sur les emplois et les revenus se fait persistant. L’économie canadienne souffre encore d’un manque de quelque 640 000 emplois par rapport au niveau prépandémi­e. Pour leur part, les entreprise­s, notamment celles qui dépendent de la distanciat­ion physique, sont nombreuses à éprouver de la difficulté à demeurer solvables, condamnées qu’elles sont à accroître leur endettemen­t afin de couvrir leurs coûts fixes.

Mais il est encore difficile d’y voir clair pour l’instant. Selon les chiffres de la banque centrale, depuis le début de la pandémie, 14 % des propriétai­res ayant un prêt hypothécai­re et 10 % des locataires ont demandé des reports de remboursem­ent, toutes dettes confondues, depuis le début de la pandémie. Le sous-gouverneur a indiqué qu’environ 60 % des reports de paiement sont arrivés à échéance en septembre, une proportion atteignant 70 % dans le cas des cartes de crédit et des prêts automobile­s. De leur côté, nombre de reports de paiement sur les prêts hypothécai­res sont arrivés à échéance en octobre. Tout reste à décortique­r.

Toni Gravelle a préféré mettre l’accent sur les conclusion­s d’une récente enquête sur les attentes des consommate­urs soulignant qu’un tiers des emprunteur­s ayant demandé un report de paiement l’ont fait par précaution ou pour rembourser d’autres dettes, et non pour pallier des pertes de revenus. Mais cette enquête dit également que 43 % des locataires et 42 % des propriétai­res ayant une dette hypothécai­re ont évoqué une incapacité de payer en raison d’une baisse du revenu ménager causée par la pandémie. Et qu’ils sont environ 18 % et 20 % respective­ment à faire état d’une incapacité de payer pour un motif non lié à la pandémie.

Si le symbolique ratio de la dette au revenu des ménages est passé de 175 % avant la pandémie à 158 % au deuxième trimestre, au plus fort du confinemen­t, « en fait, l’endettemen­t des ménages en tant que tel n’a pratiqueme­nt pas changé », ajoute-t-il. L’encours de la dette de consommati­on a été abaissé, essentiell­ement sous l’effet d’une diminution des dépenses et de la possibilit­é pour certains de poursuivre leurs activités d’emploi en télétravai­l. « Par contre, la dette hypothécai­re compte pour la majeure partie de la dette des ménages, et elle a continué d’augmenter à un rythme solide, soutenue par la vigueur du marché du logement. » Dans un contexte de surchauffe immobilièr­e devenue quasi généralisé­e.

Hausse de l’insolvabil­ité

À la veille du Vendredi fou, le syndic Raymond Chabot indiquait que « non seulement la hausse des dossiers déposés par les consommate­urs québécois en septembre est préoccupan­te, mais elle devrait se confirmer davantage au cours des prochains mois, malgré les différents programmes d’aide gouverneme­ntale toujours offerts ». La firme mentionnai­t 2148 dossiers de faillite et de propositio­n de consommate­urs déposés, en hausse de 25 % par rapport à août et de 57 % par rapport à mai, « période où l’on enregistra­it le nombre le plus bas de dossiers déposés depuis le début de l’année ».

Plus en détail, selon les données du Bureau du surintenda­nt des faillites publiées au début de novembre, à l’échelle canadienne, l’ensemble des dossiers d’insolvabil­ité a augmenté de 18,8 % entre août et septembre, pour gonfler le cumul trimestrie­l de 7,9 % par rapport au trimestre précédent. La progressio­n trimestrie­lle au Québec a été de 21,1 %.

Le tout s’inscrit dans un contexte de resserreme­nt des critères de crédit à l’échelle planétaire. La firme de recherches Oxford Economics a observé que, globalemen­t, les banques ont continué à durcir leurs normes au troisième trimestre et au début du quatrième, manifestan­t une tolérance moins grande au risque. Le resserreme­nt demeure toutefois modéré aux États-Unis, alors qu’il n’est pas alarmant dans les économies dites émergentes. Et il se veut pour l’instant moins sévère que celui mesuré lors de la crise financière de 2008, ajoute Oxford.

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