La reconquête, la chronique de Michel David
Au départ, il n’était pas question de rouvrir la loi 101, mais simplement de la faire respecter. « Il y a déjà dans la loi des articles qui permettent de sévir, commençons par l’appliquer », disait en 2018 la ministre responsable du dossier linguistique, Nathalie Roy. Mme Roy se disait déjà « préoccupée » par l’anglicisation de Montréal, mais François Legault n’entendait pas aller au-delà d’une application plus stricte de la loi. Le rapport présenté en 2016 par la députée d’Iberville, Claire Samson, proposait une nouvelle « politique nationale de francisation » pour mieux intégrer les immigrants, mais s’en tenait à des mesures incitatives.
Quand il a pris la relève de Mme Roy, à l’automne 2019, Simon Jolin-Barrette parlait de « mesures costaudes », mais toujours pas de renforcer la loi 101. À l’Assemblée nationale, son parti s’était opposé à une motion présentée par le PQ affirmant que « la promotion et la protection de la langue française passent par des modifications à la Charte de la langue française » et demandant au gouvernement de déposer un projet de loi en ce sens.
C’est seulement l’été dernier que M. Jolin-Barrette s’est ravisé, quand une enquête menée par l’Institut de la statistique du Québec a révélé que 63 % des entreprises de la région de Montréal (40 % dans l’ensemble du Québec) et 20 % des municipalités et arrondissements faisaient de la connaissance de l’anglais une condition d’embauche. Il a confirmé mardi qu’un projet de loi serait bel et bien présenté, mais qu’il était reporté au début de 2021.
S’il est vrai que les signes d’une détérioration du français se multiplient, et le gouvernement est sans doute sincèrement désireux de corriger la situation, cette nouvelle détermination répond aussi à des impératifs politiques. À la CAQ comme dans les autres partis, on pense déjà à la prochaine élection, même si elle a lieu seulement dans deux ans, et à la plateforme qu’il faudra alors présenter à la population.
Les choses étaient plus simples en 2018. Il suffisait de prononcer le mot « austérité », de rappeler la corruption des années Charest et de prétendre incarner le changement. Quand on est au gouvernement, agiter des épouvantails ne suffit plus. Il faut donner aux électeurs des raisons de lui renouveler leur confiance. En 2018, le PLQ n’a pas réussi à en trouver. Philippe Couillard disait vouloir transformer le Québec, mais il n’a jamais pu expliquer en quoi consisterait cette transformation.
Les gouvernements des provinces où des élections sont survenues pendant la pandémie ont largement bénéficié du principe selon lequel on ne change pas de capitaine au milieu de la tempête, mais à l’automne 2022, la crise sanitaire devrait normalement être chose du passé. Le rythme de la reprise économique demeure un point d’interrogation et certains dommages seront irréparables. La carte maîtresse de la CAQ sera plutôt la langue. On proposera aux Québécois de rétablir le français dans ses droits et d’en faire véritablement la pierre d’assise de la nation. Une sorte de reconquête.
Encore faudra-t-il que la « nouvelle loi 101 » soit à la hauteur de la situation. Il est bien possible que la proximité de l’élection fédérale, qui se jouera en bonne partie au Québec, amène Ottawa à accepter de soumettre les entreprises sous autorité fédérale aux exigences de la loi 101 dans leurs activités en territoire québécois, mais l’impact sera relativement marginal. Elles ne représentent que 4 % de la main-d’oeuvre et plusieurs des plus importantes d’entre elles ont déjà adhéré volontairement au processus de francisation prévu par la loi. Il faudra faire beaucoup plus pour mettre un frein à l’anglicisation en cours.
Le pouvoir d’attraction des établissements d’enseignement postsecondaire anglais est plus inquiétant. On a voulu voir une rebuffade dans la fin de non-recevoir que le premier ministre Legault a opposé à l’extension des dispositions la loi 101 au niveau collégial, alors que M. Jolin-Barrette se disait toujours « en réflexion ». En réalité, la position de M. Legault a toujours été claire et son ministre le savait très bien.
Afin de limiter le nombre croissant d’étudiants francophones et surtout allophones qui fréquentent les cégeps anglais, on envisagerait plutôt de moduler leur financement de façon plus proportionnelle au poids de la population anglophone de souche, sans nécessairement les affamer pour autant. À l’évidence, les projets d’agrandissement du collège Dawson sont sans commune mesure avec ce que devrait être sa vocation.
Le père de la loi 101, Camille Laurin, avait coutume de dire que le meilleur amendement à y apporter serait de faire du Québec un État souverain. Cela faciliterait sans doute bien des choses, mais il n’est pas prévu que la reconquête caquiste aille jusque-là.
S’il est vrai que les signes d’une détérioration du français se multiplient, et le gouvernement est sans doute sincèrement désireux de corriger la situation, cette nouvelle détermination répond aussi à des impératifs politiques. À la CAQ comme dans les autres partis, on pense déjà à la prochaine élection.