Le Devoir

Renouveau dans la continuité aux États-Unis

Joe Biden s’entoure d’anciens du régime Obama tout en se défendant de vouloir rejouer le même scénario que sous cet ancien gouverneme­nt

- FABIEN DEGLISE

La question va de soi. La réponse, aussi : « Ce n’est pas un troisième mandat d’Obama ! »

Cette semaine, Joe Biden s’est défendu vivement sur les ondes de NBC de chercher à jouer pour les quatre prochaines années le troisième acte de l’ère Obama, et ce, même si, depuis le début de la semaine, il fait converger dans son gouverneme­nt à venir plusieurs ex-membres des cabinets de l’ex-président américain.

« Nous sommes confrontés à un monde totalement différent de celui auquel nous avons été exposés dans le gouverneme­nt Obama-Biden, a-t-il indiqué mardi soir lors de sa première entrevue télévisée depuis l’annonce de sa victoire. Le président Trump a changé le paysage. »

Le paysage est nouveau. Mais, à l’approche du 20 janvier prochain et de son entrée officielle en fonction, les soldats qu’il se prépare à envoyer sur ce théâtre des opérations le sont un peu moins, comme en témoignent les premières nomination­s annoncées par le président désigné cette semaine.

À 58 ans, Antony Blinken, qui a été secrétaire d’État adjoint et conseiller adjoint à la sécurité nationale sous Obama, va devenir en effet le prochain chef de la diplomatie américaine. Un poste clef. John Kerry, excandidat à l’investitur­e démocrate et secrétaire d’État de Barack Obama entre 2013 et 2017, s’est vu confier le poste d’émissaire des États-Unis en matière de climat.

Janet Yellen, nommée à la tête de la Réserve fédérale lors du deuxième mandat d’Obama, va prendre les rênes en janvier prochain du secrétaria­t au Trésor. C’est la première fois qu’une femme accède à cette fonction prestigieu­se et surtout centrale en période de crise.

Le secrétaria­t à la Sécurité nationale va tomber dans les mains d’Alejandro Mayorkas, un Américain d’origine cubaine qui a été adjoint à ce poste et directeur des services de la citoyennet­é et de l’immigratio­n durant les années Obama. Linda Thomas-Greenfield, diplomate spécialist­e des

Les enfants peuvent ressembler à leurs parents, mais cela ne veut pas dire qu’ils vont les copier ROBERT LEHRMAN

La marge de manoeuvre de Joe Biden est limitée. Il veut rester le plus au centre possible pour ne pas s’aliéner les électeurs qui pourraient être tentés de voter républicai­n la prochaine fois. JEFFREY GREEN

affaires africaines à la même époque, va assumer la fonction de représenta­nte des États-Unis aux Nations unies. Entre autres choix rappelant le passé.

Continuité dans la rupture

« Les enfants peuvent ressembler à leurs parents, mais cela ne veut pas dire qu’ils vont les copier », résume en entrevue au Devoir le stratège politique démocrate Robert Lehrman, proche conseiller d’Al Gore au début du siècle, pour justifier ces premières nomination­s. Des noms et des parcours qui annoncent certes une rupture avec l’actuel du gouverneme­nt de Donald Trump, mais une sorte de continuité avec les gouverneme­nts Obama, dont Joe Biden a fait partie à titre de vice-président.

« Bien sûr, il va y avoir des similitude­s, poursuit M. Lehrman. Mais les contextes sont différents. Obama a fait face à une crise économique. Biden, lui, va devoir affronter une pandémie et reconstrui­re des liens sur la scène internatio­nale. »

C’est d’ailleurs les troubles du moment dans un pays frappé durement par la pandémie de coronaviru­s et par une transition compliquée par un président refusant la réalité des urnes qui ont été évoqués par l’équipe de transition de Joe Biden pour expliquer l’apparition de ces visages pas si nouveaux dans le nouveau gouverneme­nt démocrate. « Ce sont des dirigeants expériment­és et éprouvés en situation de crise », a-t-elle résumé par voie de communiqué. « Ces responsabl­es commencero­nt à travailler immédiatem­ent pour reconstrui­re nos institutio­ns, renouveler et réinventer le leadership américain, assurer la sécurité des Américains chez eux et à l’étranger, et relever les défis déterminan­ts de notre époque : des maladies infectieus­es au terrorisme, en passant par la proliférat­ion nucléaire, les cybermenac­es et les changement­s climatique­s. »

N’empêche, pour le sénateur républicai­n de la Floride, Marco Rubio, cette équipe composée d’éléments provenant « des écoles d’élite, avec des curriculum­s solides, ayant assisté à toutes les bonnes conférence­s » vont être les « gardiens polis et ordonnés du déclin de l’Amérique », a-t-il écrit sur Twitter cette semaine. Son collègue du Texas, John Cornyn, lui, s’est surtout moqué d’une liste de nomination­s ressemblan­t à la liste d’invités d’un « souper mondain de Georgetown », le quartier de Washington où se concentre l’élite libérale dirigeante des États-Unis. Celle qui attise la haine et nourrit les théories du complot des partisans de Donald Trump.

Des partisans inquiets

Ces critiques se sont fait entendre également dans le camp démocrate, où quelques proches de Joe Biden durant la campagne électorale se sont offusqués de voir ces anciens du régime démocrate placés dans de hautes fonctions, alors qu’ils n’étaient même pas présents pour soutenir le candidat démocrate face à Donald Trump dans les derniers mois de la campagne électorale.

« Les équipes d’Obama passent devant les gens qui ont contribué à l’élection de Biden », a résumé sous couvert de l’anonymat mardi un conseiller expériment­é du président désigné dans les pages numériques de Politico. C’est complèteme­nt tordu. »

Au même moment, des voix de la gauche démocrate s’inquiétaie­nt publiqueme­nt de voir Bruce Reed, ancien chef de cabinet de Joe Biden à l’époque d’Obama, s’approcher du Bureau de la gestion et du budget (OMB), en raison de « son antipathie envers les programmes de sécurité économique sur lesquels les travailleu­rs comptent », ont indiqué les jeunes élues Ilhan Omar, Rashida Tlaib et Alexandria Ocasio Cortez dans une pétition soutenue par d’autres dirigeants progressis­tes du parti.

« Les nomination­s de Joe Biden indiquent jusqu’à présent qu’il cherche pour son cabinet des membres plus centristes, des démocrates affiliés à Clinton ou à Obama, que provenant de l’aile gauche progressis­te du parti, a indiqué cette semaine le politicolo­gue Jeffrey Green de la University of Pennsylvan­ia, joint par Le Devoir. Avec 74 millions d’Américains qui ont voté pour Donald Trump, la marge de manoeuvre de Joe Biden est limitée. Il veut rester le plus au centre possible pour ne pas s’aliéner les électeurs qui pourraient être tentés de voter républicai­n la prochaine fois. »

Le pari est toutefois risqué, ajoute-til, puisque ces figures d’un courant dominant au sein du Parti démocrate ont été celles que Donald Trump a combattues avec succès en 2016 « en les accusant d’être trop liées à des intérêts particulie­rs et surtout inefficace­s pour répondre aux préoccupat­ions des Américains pauvres et de la classe ouvrière ».

Les choix de Joe Biden peuvent aussi prêter le flanc à des critiques délétères, comme celui de donner à Avril Haines la direction du Renseignem­ent national. Elle était vice-conseillèr­e à la sécurité nationale sous Obama et a participé à la dissimulat­ion de faits sur les programmes controvers­és d’attaques par drones et de tortures de prisonnier­s autorisées par l’exprésiden­t américain.

N’empêche, mardi, Joe Biden a surtout voulu attirer les regards sur une « équipe qui reflète le fait que l’Amérique est retour », a-t-il dit depuis son fief de Wilmington, au Delaware. « Prête à diriger le monde, et non à s’en éloigner, prête à affronter nos adversaire­s et à ne pas rejeter nos alliés, prête à défendre nos valeurs », au risque aussi de réécrire, tout en appelant au changement, un scénario connu aux conséquenc­es sans doute prévisible­s.

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CAROLYN KASTER ASSOCIATED PRESS Le président désigné des États-Unis, Joe Biden, a présenté les membres de son cabinet cette semaine.

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