Le Devoir

La carotte, le flou et le bâton

Nous sommes nombreux à souhaiter que le gouverneme­nt joue réellement cartes sur table dans sa gestion de la pandémie

- Josiane Cossette

Conceptric­e-rédactrice et citoyenne engagée, Josianne Cossette est présidente du conseil d’établissem­ent d’une école primaire. Elle a aussi enseigné la littératur­e au collégial et collabore à la revue Lettres québécoise­s.

Ces jours-ci, le gouverneme­nt Legault joue de nouveau son éternelle rengaine communicat­ionnelle. Après avoir annoncé jeudi dernier le congé scolaire prolongé et les possibilit­és de rassemblem­ents du 24 au 27 décembre, il a tranquille­ment commencé à dissiper le flou et à resserrer les conditions pour que de pareilles rencontres puissent avoir lieu.

C’est le mardi suivant que le réel couperet est tombé, sous la forme d’une condition sine qua non : « Le nombre de nouveaux cas de COVID-19 devra diminuer sous la barre des 1000 par jour pour donner le feu vert aux rassemblem­ents restreints à Noël », a déclaré en conférence de presse Horacio Arruda, avant de mentionner une autre variable non négligeabl­e.

Impossible de respecter l’isolement volontaire de sept jours ? Impossible de se rassembler, ce qui excluait d’emblée des réunions familiales les éducateurs à la petite enfance et le personnel hospitalie­r, deux corps de métier qui sont au front depuis des mois, masqués du matin au soir ou vice-versa, épuisés, à bout. Ironiqueme­nt, ce sont surtout eux qui ramasseron­t les pots cassés au retour des Fêtes.

Bien sûr, les Québécois devront d’ici là faire plus d’efforts pour avoir droit à un semblant de Noël, a ajouté notre premier ministre, comme d’habitude.

La carotte : des fêtes en famille. Le flou : des annonces mal paramétrée­s, qui négligent d’importants cas de figure, augmentant l’insécurité chez certains et confortant ceux qui ont déjà décidé de n’en faire qu’à leur tête. Le bâton : si l’on doit annuler ces rassemblem­ents ou si les cas bondissent après les Fêtes et que le système de santé est surchargé, ce sera votre faute à vous, les individus qui n’auront pas respecté l’isolement volontaire ou le nombre de convives ou de rassemblem­ents permis.

Jamais (ou presque !) le gouverneme­nt n’inclut sa propre part de responsabi­lité quand vient le temps de bastonner. Et pourtant… Alors que les sept jours d’isolement avant et après les rassemblem­ents étaient déjà insuffisan­ts, la COVID pouvant prendre jusqu’à 14 jours après un contact pour se déclarer, le premier ministre a plus tard assoupli cette condition du « contrat moral ». Avec de tels paramètres, le terrain est malheureus­ement préparé pour que le coronaviru­s se fraie un chemin parmi les atocas dans de nombreux foyers de la province…

De plus, se rassembler à l’intérieur est risqué, même si l’on respecte les deux mètres : le gouverneme­nt doit dire aux gens d’ouvrir les fenêtres et de retirer leur masque seulement pour manger, rapidement, le plus loin possible les uns des autres. La transmissi­on par aérosols n’est pas une fiction, le taux de CO2 grimpe rapidement dans un lieu clos où l’air n’est pas renouvelé. Les intérieurs embués qui fleurent bon les saucisses dans le bacon sont des milieux parfaits pour que la COVID stagne dans la pièce et soit inhalée par une grand-mère à qui le gouverneme­nt a donné l’autorisati­on de sortir du CHSLD. Oui, certains exagéreron­t peut-être si Noël est permis. Mais la hausse des cas au retour des Fêtes risque surtout d’être le fait des asymptomat­iques qui auront contaminé toute leur famille en pensant respecter les directives gouverneme­ntales qui éludent d’importants aspects de la transmissi­on.

Assez de faux espoirs

Depuis mars dernier, la séquence carotte-flou-bâton a été utilisée un nombre incalculab­le de fois à l’occasion de « défis » dont les titres semblaient parfois avoir été pondus par un stagiaire d’Éduc’alcool. Dans quel but ? Pour amener les Québécois à se ressaisir ? Pour ne pas tuer l’espoir ? Pour préserver la santé mentale ? Pour que l’on continue à voir la lumière au bout du tunnel sans penser qu’il s’agit d’un train ?

Les Québécois sont fatigués. Las. Plusieurs, qui respectent les directives depuis le premier jour malgré leur manque de logique ou de constance, en ont marre de se faire prendre pour des enfants et de voir la carotte qu’on leur tend se faire râper jusqu’à disparitio­n. J’en suis.

Nous sommes nombreux à souhaiter que le gouverneme­nt joue réellement cartes sur table, nous dise qu’on en a pour encore des mois, et qu’il encadre les activités permises et rapports sociaux en fonction des réelles avancées de la science. Jamais les rencontres et sports à l’extérieur, là où le risque de transmissi­on est très faible, n’auraient dû être interdits. D’un autre côté, ce gouverneme­nt doit passer à l’action et s’occuper de façon urgente de la ventilatio­n dans les écoles, qui sont devenues un important vecteur de transmissi­on communauta­ire.

La clarté et la transparen­ce sont plus susceptibl­es de gagner l’adhésion des Québécois qu’une succession d’inatteigna­bles carottes. À croire que ce gouverneme­nt qui nous infantilis­e a oublié ce que c’était, d’être un enfant. Qu’estce qui est le moins dommageabl­e ? Se faire promettre un voyage à La Ronde à la fin du mois si l’on est sage et se le faire enlever parce que la moitié des manèges ont été mal entretenus ? On se fait dire qu’on ne sait vraiment pas quand La Ronde va rouvrir, mais que, le jour venu, on y ira avec grand plaisir ?

Il est temps, il me semble, qu’on cesse de brandir le châtiment collectif en rejetant la responsabi­lité sur des gens qui ont pour la plupart mis leur vie en veilleuse quand ce gouverneme­nt n’agit pas sur certains fronts essentiels.

Chez nous, les Fêtes vont se passer à l’extérieur. Pas question, pour mes proches et moi, de participer à notre insu à surcharger un système de santé dont les acteurs n’auront pas eu le luxe de célébrer ni de se reposer. Je l’expliquera­i en toute transparen­ce à mes enfants qui sauront, malgré leur bas âge, faire preuve d’une belle résilience — sans carotte ni bâton.

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