Le Devoir

Ceux qui nourrissen­t l’âme crient famine

- Texte collectif*

En ces temps durs et moroses, réjouisson­s-nous d’une annonce porteuse de lumière : la ministre de la Culture et des Communicat­ions lance le processus de révision des deux lois sur le statut de l’artiste. À juste titre, le milieu culturel québécois réclame cette réforme depuis des décennies. La pandémie confirme l’urgence d’agir. Nos membres souffrent de la situation et se voient, plus que jamais, forcés de renoncer à leur domaine de création, épuisés de vivre au seuil de la pauvreté. La crise sanitaire braque les projecteur­s sur leur précarité constante, pour ne pas dire leur détresse.

[…]

Les données colligées par l’Observatoi­re de la culture et des communicat­ions du Québec et de l’Institut de la statistiqu­e du Québec sont implacable­s. Malgré un niveau de scolarité souvent supérieur à celui de l’ensemble de la population, les artistes subissent des disparités importante­s de revenu. En 2016, leur revenu médian était d’environ 19 000 $, comparativ­ement à 36 000 $ pour l’ensemble des travailleu­ses et des travailleu­rs québécois. Depuis la pandémie, c’est le gouffre. Les contrats annulés en cascade deviennent des tickets pour les programmes d’aide gouverneme­ntale.

De plus, alors que la grande majorité des artistes sont travailleu­rs autonomes, comparativ­ement à 12 %

Depuis la pandémie, c’est le gouffre. Les contrats annulés en cascade deviennent des tickets pour les programmes d’aide gouverneme­ntale.

pour l’ensemble de la population active expériment­ée, nos membres sont surreprése­ntés parmi ceux qui n’ont aucune protection, aucun filet social. C’est pourquoi les lois qui encadrent le statut des artistes doivent être modernisée­s.

Nos membres, qui sont l’essence même de la création culturelle et artistique, doivent être placés au centre des préoccupat­ions dans le cadre de cette révision des lois. Le chantier de la réforme est vaste. C’est l’occasion parfaite d’agir pour améliorer de façon durable et concrète les conditions de vie des artistes, des créateurs et des profession­nels du milieu culturel québécois. Au sortir de la crise sanitaire, nos membres doivent pouvoir aspirer à des conditions de pratique artistique plus stables et sécurisant­es.

À titre d’exemple, il faut rapidement rééquilibr­er le rapport de force entre les écrivains et les producteur­s. Comment expliquer qu’en trente ans de législatio­n, il a été impossible de conclure la moindre entente collective avec les producteur­s, malgré les nombreuses tentatives ? Encore aujourd’hui, les écrivaines et écrivains ne peuvent s’appuyer sur aucune condition de pratique minimale, ce qui laisse toute la place aux iniquités de traitement et aux atteintes à leurs droits d’auteur et à leurs droits moraux.

Comment cautionner plus longuement la loi du silence qui gangrène notre milieu en matière de harcèlemen­t psychologi­que ou sexuel ? Sans mécanisme de prévention ou de règlement des situations d’abus, les victimes demeurent vulnérable­s et s’abstiennen­t trop souvent de dénoncer les situations problémati­ques qu’elles subissent afin d’éviter de se mettre à dos ceux qui les font travailler. Nos membres doivent avoir accès à des recours qui assureront des milieux de travail sains.

Tous les artistes doivent avoir accès aux conditions minimales de travail reconnues par la Loi sur les normes du travail. Toutefois, la réalité est tout autre. Il n’y a aucune contrainte légale pour un producteur de respecter les conditions de travail minimales des artistes s’il n’est pas membre d’une associatio­n de producteur­s ou s’il n’est pas lié à une entente collective, et ce, même si sa production est financée par des subvention­s ou crédits d’impôt accordés par les différente­s autorités gouverneme­ntales.

Plus que jamais, le monde prend conscience du rôle essentiel des arts et de la culture, surtout en temps de crise. Paradoxale­ment, ceux qui nourrissen­t l’âme crient famine et jettent un regard sombre et inquiet sur leur avenir.

Nous avons hâte de proposer à la ministre Nathalie Roy nos solutions pour que les lois sur le statut de l’artiste deviennent véritablem­ent efficaces. Pour le rayonnemen­t et la pérennité de la culture québécoise, mais aussi par souci de dignité, nous avons collective­ment le devoir de mettre un terme à la précarité des artistes, des créateurs et des profession­nels de la culture et des arts.

*Retrouvez la liste complète des signataire­s sur nos plateforme­s numériques.

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