Le Devoir

Joon : des effluves du Caucase malgré la pandémie

- VÉRONIQUE LEDUC COLLABORAT­ION SPÉCIALE, CARIBOUMAG.COM

Après des années à travailler dans les cuisines de restaurant­s ici et ailleurs, lorsqu’est venu le temps de lancer son projet à elle, la cheffe Erin Mahoney a voulu offrir quelque chose qui allait se démarquer dans le paysage de la restaurati­on montréalai­se. Voilà comment est né Joon en pleine pandémie, apportant des effluves du Caucase dans la Petite Italie.

Il est 16 h un jeudi d’automne. Boulevard Saint-Laurent, la nouvelle salle à manger du Joon est vide, mais dans la cuisine, à l’arrière du restaurant, il y a beaucoup d’action. En effet, depuis le début d’octobre, les plats prêts à manger inspirés de l’Arménie, de l’Iran et de la Géorgie que propose Erin Mahoney sont très demandés.

Justement, la cheffe des lieux termine une cuisson et s’assure auprès de ses cuisiniers que tout va bien avant de venir s’installer au long comptoir qui fait face à la cuisine ouverte. Le Joon devait exister dès le printemps dernier, mais son ouverture, à cause des circonstan­ces, a été retardée. « Après des délais pour la rénovation du local, nous avons finalement ouvert le 26 septembre… au moment où le gouverneme­nt annonçait que les salles à manger devaient fermer de nouveau le 1er octobre », explique la femme de 40 ans qui porte un t-shirt bleu sur lequel le nom de son restaurant est inscrit en lettres attachées.

Une cuisine réconforta­nte

Erin est née à Montréal et a des racines irlandaise­s et italiennes… contrairem­ent à ce que pourrait laisser croire sa cuisine. Son amour pour les plats du Caucase lui vient plutôt de l’enfance, étant donné qu’elle a grandi dans Notre-Dame-de-Grâce, où plusieurs immigrants de ce coin du monde se sont installés. « Dès mon jeune âge, on allait en famille dans des épiceries et des restaurant­s iraniens. Pour moi, le contact avec cette nourriture était normal. Je me souviens même que, quand j’ai eu ma première paye, j’ai sorti ma mère dans un resto iranien », raconte Erin. Et quand on dit que la nourriture de notre enfance est celle qui nous touche le plus, elle en est la preuve. « C’est une cuisine que je trouve extrêmemen­t réconforta­nte et pour laquelle j’ai souvent des envies irrépressi­bles. »

La découverte s’est continuée auprès de son amoureux des 13 dernières années, aussi partenaire dans l’aventure du Joon, Ilya Daftari, né en Iran, arrivé au Québec alors qu’il était enfant. Puis, Erin a poursuivi sa connaissan­ce des spécialité­s de cette région de l’Asie de l’Ouest grâce à des voyages et à des stages. « C’est une cuisine parfumée aux saveurs variées, mais très accessible pour les gens d’ici », assure la sympathiqu­e cheffe avant de parler avec amour des pains, des fromages et des braisés de viandes et de fruits que l’on savoure dans ces pays.

C’est justement toute la richesse de cette cuisine méconnue des Québécois que celle qui a oeuvré pendant plusieurs années au Saint-Urbain et à la Bête à pain à Montréal veut faire connaître. « Je voulais me différenci­er des autres restos perses, qui sont peut-être intimidant­s pour les gens qui ne s’y connaissen­t pas. Je veux que tout le monde soit à l’aise de venir ici. »

Pains plats, trempette aux betteraves, feta maison, soupe traditionn­elle iranienne, lentilles braisées, koofteh d’agneau et de veau farci de fruits séchés, cuisse de canard braisée avec sauce à la pomme grenade… voilà le genre de mets que peuvent présenteme­nt découvrir ceux qui commandent des plats prêts à manger au Joon, qui adaptera son menu selon les saisons. « C’est ce qu’on fait en Arménie, en Iran ou en Géorgie : on suit les arrivages. Je voulais le faire aussi et m’adapter en cuisinant avec des ingrédient­s du Québec des plats de là-bas. Erin achète son safran et quelques épices directemen­t d’Iran, mais privilégie pour le reste les ingrédient­s d’ici, qu’elle rêve un jour de faire pousser dans une ferme près de la ville.

La carte du Joon est complétée par des vins nature grecs, géorgiens, italiens et slovènes, qu’Erin a choisis avec soin. En attendant la réouvertur­e Bien sûr, la cheffe montréalai­se a hâte de pouvoir recevoir des clients, mais, positive, elle voit un bon côté à la situation actuelle. « C’est moi qui reçois les commandes et qui donne leurs plats aux clients. Je prends le temps de leur parler et de développer un lien, ce que j’aurais moins le temps de faire normalemen­t », explique la cheffe du Joon, un mot en vieux farsi qui signifie « vie » et « esprit », mais qui exprime aussi de la tendresse quand on l’appose à côté du prénom d’un proche. Un nom à l’image de l’affection que porte Erin à cette cuisine.

Pensive, elle ajoute : « C’est fou parce que, quand tu veux ouvrir un resto, tu travailles pendant des années, tu réfléchis à chaque aspect afin que tout soit parfait et, finalement, en quelques jours, une situation hors de ton contrôle fait que tu dois te revirer de bord et tout changer : trouver des contenants pour emporter, revoir ton menu, organiser les tâches différemme­nt… » Mais le jeu en aura valu la chandelle puisque, depuis quelques semaines, les gens viennent de partout à Montréal, mais aussi des alentours pour goûter les plats d’Erin, lui prouvant que la demande et la curiosité qu’elle avait imaginées pour cette cuisine étaient bien réelles. restojoon.ca

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© FABRICE GAËTAN
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