Odile Tremblay
La langue et la culture sont des soeurs siamoises, qui vivent ou meurent l’une de l’autre. Et quand l’école ne parvient pas à former des citoyens maîtrisant leur langue maternelle, tout le corps vital s’affaiblit. Comment améliorer les choses ? Les rouages du français s’acquièrent au primaire et au secondaire, en principe, avant de se développer plus tard à travers la lecture. Au fait, combien d’adultes lisent tant que ça au Québec ? Avec toutes ces séries américaines si palpitantes, avec ce vieux fond d’illettrisme hérité de générations enfouies, le rejet se construit aussi de l’intérieur. Pas seulement du dehors. Combattre pour la culture devient dès lors un pari sur l’avenir.
Je sais, il ne faut pas complexer les Québécois : grand mot d’ordre. Mais cette envie des gouvernants de rassurer leur tribu pour s’en faire aimer est un piège qui emprisonne. Tous les peuples ont besoin d’aspirations plus hautes que les barreaux de leur quotidien. Autant les amener à rêver grand. L’apprentissage de mots nouveaux, l’acquisition de connaissances, la lecture d’oeuvres qui fécondent l’esprit — car tout est lié — sont à la portée de tous.
Nos chefs n’ont guère trop appelé sur la place publique à secouer nos puces, de peur de froisser des susceptibilités tremblantes. Du coup, les idéaux de consommation occupent trop de place dans la psyché collective. Mais pourquoi les Québécois se verraient-ils condamnés à un petit pain linguistique ?
Ça faisait longtemps que le sort du français n’avait pas suscité de tels branle-bas passionnés. Ces derniers temps, le brûlot linguistique s’est frayé un passage dans l’espace médiatique, ondes et papier, par le biais du pouvoir politique forcé de s’ajuster.
Oui, le français recule bel et bien à Montréal. Ça se voit, ça s’entend. Ainsi, le gouvernement de la CAQ va réviser la loi 101 afin de forcer des commerces à lutter contre l’unilinguisme anglophone et de protéger notre véhicule de travail et de communication. À Ottawa, Mélanie Joly prépare un livre blanc sur la modernisation des langues officielles, histoire d’offrir quelques remparts à notre français malmené. Délicat dossier, nourri d’affrontements historiques et de combats pour la souveraineté qui font encore frémir le Canada.
L’État, à un palier ou l’autre, ne cherchera sans doute pas à secouer le prunier des francophones pour autant. Et que faire avec ces jeunes et moins jeunes dans nos rangs qui adaptent leur langage à celui du commerçant, sans éprouver le besoin d’imposer une culture propre ? Ou avec ceux qui méconnaissent un français pour lequel ils prétendent se battre si fort ? Dans la crainte de perdre un jour son usage, on vise de précieux barrages à construire en négligeant la flamme vive à entretenir.
Les trésors du dictionnaire
Petit îlot menacé dans une mer anglophone et jusque dans ses terres, le Québec paraît condamné à l’excellence, sans vouloir s’y résoudre. Mieux vaudrait pour lui se montrer exemplaire côté langue et culture pour rayonner à la ronde, fouetter si possible l’intérêt des générations montantes et séduire des immigrants… On ne changera pas notre condition de minoritaires sur le continent, mais améliorer le niveau collectif demeure un but à portée de main. Se battre contre l’assaut d’une langue dominante devrait se doubler d’un désir de rehausser la sienne.
Face au péril de cet anglais en reprise de terrain, par-delà les nécessaires clôtures à ériger, qui invitera la population à mieux aimer sa langue pour ses beautés et ses complexités ?
On le parle en général bien mal, ce français-là. Que se perpétuent l’accent national et les mots d’ici ! Reste que ce vocabulaire restreint, ces défauts de syntaxe, ce manque de curiosité linguistique désolent. La situation piétine, là où elle devrait s’affiner avec l’éducation pour tous. Comme si, au fond du coeur, plusieurs ne reconnaissaient comme langue maternelle que le québécois (lequel varie selon les régions et peine à se définir) et non le français à sa base. Pourtant, les voyages, les trésors du dictionnaire, un sentiment de fierté invitent à se déployer.
Les mots d’usage à la maison n’empêchent personne d’explorer les richesses de cette source vive coulant à travers la francophonie. On peut reprocher aux Français de multiplier les emprunts à l’anglais. Reste qu’ils maîtrisent beaucoup mieux leur langue que nous, et c’est normal. On vient d’une société rurale. Mais des efforts se sont perdus en route. Le rêve d’apprentissage devrait surgir d’en haut, d’en bas, du gouvernement et des médias. De tous ceux qui ont failli à insuffler ce désir collectif d’un envol. À quand une aspiration à l’excellence dans le champ du français et de la culture, puissant mur coupe-feu contre le « speak white » qui retentit partout ?