Le Devoir

Spécial jeunesse

Des éditeurs nous racontent l’effet de la pandémie sur le milieu jeunesse

- MARIE FRADETTE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Survol du meilleur en littératur­e pour petits et grands enfants.

La nouvelle réalité pandémique oblige beaucoup d’éditeurs et d’auteurs jeunesse à revoir leur calendrier et à faire preuve d’inventivit­é pour avancer, pour toucher les enfants là où ils sont. Quatre éditeurs jeunesse nous livrent leur réalité et leur vision de cette étrange période.

Chez les jeunes pousses

L’année 2020 devait permettre à la maison d’édition D’eux — fondée en 2016 par Yves Nadon et France Leduc — d’être rentable. « Mais on vient de se la faire voler », raconte Nadon au bout du fil depuis Sherbrooke. « On est dans un genre de gouffre alors que ça aurait dû être une année où on se serait enfin versé des salaires. » L’éditeur affirme ainsi que la fermeture des librairies et le manque de subvention­s ont causé des torts difficilem­ent réparables.

« Aussitôt que les librairies ont fermé, ça a eu des répercussi­ons sur les ventes. C’est le tiers de notre chiffre d’affaires qui est parti en fumée. Et ça a eu pour effet qu’on a retardé des sorties et changé le calendrier parce qu’on ne peut pas sortir un livre quand les librairies sont fermées. Et quand elles se mettent à rouvrir, on ne peut pas inonder tout le monde de nouveautés et se dire qu’on va se rattraper. Pour moi, ce sont des gains perdus. C’est comme pour le resto. On n’ira pas quatre fois au resto parce qu’on y serait allé quatre fois pendant qu’il était fermé. Il y a des choses qui ne se rattrapent pas. »

Selon l’éditeur, raconter que les ventes en librairie vont bien relève d’ailleurs d’une fausse nouvelle. « Si on me dit que la littératur­e jeunesse s’est rattrapée, je veux bien y croire, mais qu’est-ce qui s’est vendu ? Si c’est plus d’Astérix que d’habitude, c’est le fun, mais ça n’a pas d’impact sur les petits éditeurs qui rament. Comment on fait pour faire connaître

On est dans un genre de gouffre alors que ça aurait dû être une année où on se serait enfin versé des salaires

YVES NADON

une nouveauté quand il n’y a plus les libraires ? Quand quelque chose est brisé dans la chaîne, c’est clair que tout le monde en est affecté »

Pour la petite maison Monsieur Ed fondée en 2015, l’impact de la pandémie est similaire à celui sur la maison d’édition D’eux. « C’est une situation vraiment stressante. Financière­ment, 2020 était et est encore une année charnière pour notre survie. Nous ne sommes pas encore agréés, donc nous n’avons eu droit à aucune des aides des différents ordres de gouverneme­nt. Nous ne faisons pas de ventes directes, car ce n’est pas dans nos valeurs. Nous devons donc absolument faire des ventes en librairie », explique l’éditrice, Margot Cittone.

D’eux n’a d’ailleurs pas eu l’aide espérée des subvention­neurs et assure que, sans les ventes de la France, elle ne sait pas où elle en serait. « On va passer au travers, mais j’ai l’impression qu’on s’est soi-même empêchés de se noyer. Personne n’est venu nous aider parce qu’on rentre dans un no man’s land. Comme on n’a pas de salariés, pas de loyer, qu’on n’est pas là depuis longtemps, on est dans une zone qu’ils n’ont pas prévue. Ça aurait été bien, par exemple, que le Conseil des arts nous demande quelles étaient nos pertes, qu’on nous aide avec ça. Ce n’est pas comme si je faisais de mauvais livres. Nos pertes n’ont rien à voir avec ça, mais avec le fait qu’ils ont fermé les librairies ! »

Et du côté des éditeurs établis

Chez Soulières, la chose est quelque peu différente. Bien installé dans le milieu depuis plus de vingt ans, l’éditeur n’a pas connu de véritable déclin et a pu compter sur l’aide des différents subvention­neurs (SODEC, Conseil des arts, Patrimoine Canada) pour avancer dans toute cette étrange période. Toutefois, il affirme que tout est plus compliqué.

« On fait beaucoup affaire avec les écoles, les bibliothèq­ues, mais j’ai l’impression qu’en ce moment les enseignant­s et les écoles ont la tête ailleurs que dans la littératur­e et l’achat de livres. Et c’est normal. Mais le lien privilégié avec les écoles n’est plus là. On n’a plus d’animation, plus de salon, ce qui fait qu’on ne rencontre plus les jeunes physiqueme­nt. Les tirages baissent et les ventes aussi. Les neuf premiers mois, on a perdu 20 000 $ brut. Ce n’est pas dramatique, mais ce sont quand même des pertes que je n’ai pas d’habitude. »

Par ailleurs, l’éditeur compte baisser ses tirages prochainem­ent, en raison, dit-il, « de l’offensive numérique, de la COVID et de Scholastic, qui n’achètera plus de livres pour son club de livres ».

Même son de cloche à La courte échelle, où Carole Tremblay constate, malgré tout, la solidité de la maison. « Après une légère baisse pendant ce que j’appelle maintenant le “grand confinemen­t”, les ventes ont repris et sont même en progressio­n […] Au printemps, quand les librairies et les distribute­urs étaient fermés, on s’est évidemment inquiétés, mais on a décidé d’être optimistes et de poursuivre le travail sur nos programmes de parution à venir comme si tout était normal […] Avec le recul, on est contents de l’avoir fait […] D’une manière générale, avec tous les réaménagem­ents qu’a provoqués la pandémie, je dirais qu’en ce moment on a l’impression de rouler avec une roue de secours. Ce n’est pas l’idéal, et on ne voudrait pas faire tout le voyage avec ça, mais pour le moment, ça nous permet d’avancer jusqu’à ce qu’on ait des pneus neufs. »

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 ??  ?? Illustrati­on tirée du livre Ours et le murmure du vent, de Marianne Dubuc
Illustrati­on tirée du livre Ours et le murmure du vent, de Marianne Dubuc

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