Trois questions pour Carl Trahan
Tu fais référence à plusieurs auteurs romantiques. Quelle importance ont-ils dans ta démarche créatrice ?
Mon travail porte sur l’histoire de la modernité, plus spécifiquement sur les diverses crises qu’elle a déclenchées et sur l’érosion des certitudes qui ont fait craindre l’instauration du chaos en Occident au XIXe siècle. Les romantiques ont été parmi les premiers à chercher un remède au mal du siècle, à tenter de réparer la grande déchirure d’un monde spirituellement détruit par le matérialisme, le réalisme et la science. En même temps, leurs oeuvres témoignent parfois d’un pessimisme sombre dominé par le mal, la folie et le désespoir. Ce paradoxe m’intéresse.
En quoi ton esthétique est-elle liée aux sujets que tu abordes ?
Je souhaite que le « regardeur » établisse des liens entre le passé que j’aborde et notre présent. L’aspect visuel de mon travail reflète ce souhait. Il y a une austérité qui évoque le minimalisme et l’art conceptuel. Le noir, très présent dans mon corpus, renvoie à la fois à la nuit, au néant et au nihilisme nietzschéen. Certains de mes dessins font aussi référence aux affiches — composées uniquement de textes — de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Pourquoi ces lettres en pointillé dans tes dessins, et quel rôle la typographie joue-t-elle ?
La typographie permet une représentation visuelle du langage. Son histoire est fascinante ; elle a parfois été utilisée idéologiquement, particulièrement en Allemagne dans le cas de la Fraktur, un type d’écriture gothique que j’utilise à l’occasion. De plus, la typographie aide à situer historiquement les textes que j’emploie. J’ai utilisé les lettres en pointillé en référence aux lampes nord-africaines perforées mentionnées par Marinetti dans le
Manifeste du futurisme. J’y vois aussi un lien avec les étoiles qui illuminent le ciel nocturne, telles des lumières qui transpercent la canopée obscurcie.