Le Devoir

Femmes de bonne volonté

Happiest Season serait une comédie des Fêtes classique si ce n’était qu’il met en vedette un couple de femmes

- CRITIQUE FRANÇOIS LÉVESQUE

Abby et Harper s’aiment follement. Après plusieurs mois de fréquentat­ion, les deux jeunes femmes viennent d’emménager ensemble, et dans leur quotidien tout n’est que félicité. Or, Noël approche, et pour Abby qui a perdu ses parents durant cette période, la saison des Fêtes rime, par choix, avec travail plutôt qu’avec célébratio­ns. Mais Harper aimerait tellement que son amoureuse l’accompagne chez ses parents pour le réveillon qu’Abby cède de bon gré. Seulement voilà, Harper ne s’attendait pas réellement à ce qu’Abby y consente. Et c’est fort embêtant.

Pourquoi ? Parce que, contrairem­ent à ce que Harper (Mackenzie Davis, très juste) a affirmé à son amoureuse, ses parents n’ont pas « super bien réagi » à l’annonce de son homosexual­ité ainsi qu’à celle de son bonheur auprès d’Abby (Kristen Stewart, très touchante). Cela, pour la simple et bonne raison que Harper n’a dans les faits pas encore dit à ses parents qu’elle est lesbienne. Tout cela se déroule au cours des premières minutes de la comédie Happiest

Season (Notre plus belle saison), dont l’essentiel de la teneur humoristiq­ue repose sur la mystificat­ion mise en place par Harper et à laquelle se prête Abby, devenue une « colocatair­e », par amour.

S’ensuivent complicati­ons et quiproquos à mesure que Harper maintient son mensonge, voire s’y complaît, au grand désarroi d’Abby. Cet aspect donne lieu pour le compte à d’intéressan­tes considérat­ions. On pense entre autres à cette séquence où Abby, désenchant­ée à raison, confie à son meilleur ami, John (Dan Levy, qui reprend peu ou prou son rôle de

Schitt’s Creek, et c’est fabuleux), que non seulement elle ne reconnaît plus son amoureuse, mais qu’elle ignore au surplus qui elle est vraiment. Ce constat la bouleverse.

Écrit (en collaborat­ion avec Mary Holland) et réalisé par Clea DuVall, qui semble-t-il a mis énormément d’elle-même dans le personnage d’Abby,

Happiest Season regorge de ce genre d’observatio­ns qui résonneron­t de manière accrue auprès des membres de la communauté LGBTQ+. Toute la dimension de la « représenta­tion », c’est-à-dire ce personnage différent que l’on devient, parfois, dans un contexte familial (ou profession­nel, selon le cas) dès lors qu’on craint le désamour (ou l’ostracisme).

Bref, il y a énormément d’acuité dans le film de Clea DuVall, qu’on a d’abord connue comme — excellente — actrice souvent associée à des rôles d’attachante­s marginales (The Faculty, But I’m a Cheerleade­r, Girl, Interrupte­d, la série Carnivàle).

Un film politique

En revanche, on dénombre presque autant, sinon de clichés, à tout le moins de développem­ents prévisible­s. On sait pas mal où ça s’en va, et comment. En l’occurrence, ce n’est pas déplaisant. Et ce n’est pas davantage un hasard. Dans son entretien avec Kristen Stewart, ouvertemen­t bisexuelle, la journalist­e de Variety résume parfaiteme­nt le beau paradoxe que constitue Happiest Season.

« C’est tellement un film intelligen­t. Parce qu’il est si convention­nel, en matière de comédie romantique et de comédie des Fêtes. Mais le simple fait qu’il s’agit d’un film lesbien des Fêtes, ça devient politique et important. »

On ne saurait être plus d’accord. D’autant qu’il est des passages vraiment forts, comme lorsque John rappelle à Abby que les histoires de coming out de chacune et chacun sont uniques, et aussi valables et importante­s les unes que les autres : celle d’Abby, qui fut heureuse et sans heurt, la sienne, qui fut malheureus­e, celle de Harper, qui est compliquée…

Refus de simplifier

D’ailleurs, le film marque encore des points dans son refus de simplifier la situation de Harper, jeune femme élevée dans un environnem­ent où elle a de tout temps senti qu’elle devait être en compétitio­n avec ses deux soeurs (Alison Brie et Mary Holland) pour l’approbatio­n — et l’amour — de Ted (Victor Garber) et Tipper (Mary Steenburge­n), leurs parents conservate­urs hyperattac­hés aux apparences.

À cet égard, on regrette la géométrie variable à l’oeuvre dans la conception des personnage­s. En effet, certaines partitions s’en tiennent à des contours somme toute réalistes, tandis que d’autres relèvent de la caricature, de telle sorte qu’on observe d’étranges collisions de niveau de jeu dans certaines scènes. Idem pour le ton général, qui oscille entre retenue et farce.

Qui plus est, le dénouement heureux, avec toutes les chicanes et rancoeurs réglées en un tournemain narratif, s’avère hautement improbable dans sa soudaineté. Sauf que… bizarremen­t, non seulement ça fonctionne, mais on ne voudrait pour rien au monde qu’il en soit autrement. Au fond, c’est peut-être aussi pour des films comme Happiest Season que fut inventée l’expression « miracle de Noël ».

Notre plus belle saison

(V.F. de Happiest Season)

1/2

Comédie romantique de Clea DuVall. Avec Kristen Stewart, Mackenzie Davis, Dan Levy, Mary Steenburge­n, Victor Garber. États-Unis, 2020, 102 minutes.

Sur la plupart des plateforme­s VSD.

 ?? SONY PICTURES ?? Il y a énormément d’acuité dans le film de Clea DuVall. En revanche, on dénombre presque autant, sinon de clichés, à tout le moins de développem­ents prévisible­s.
SONY PICTURES Il y a énormément d’acuité dans le film de Clea DuVall. En revanche, on dénombre presque autant, sinon de clichés, à tout le moins de développem­ents prévisible­s.

Newspapers in French

Newspapers from Canada