Le Devoir

Un plan flou pour compenser le coût climatique

Le projet d’usine de liquéfacti­on de gaz naturel pourrait occasionne­r des « dommages » environnem­entaux supérieurs à 1,6 milliard de dollars

- ALEXANDRE SHIELDS

Il est inadmissib­le de produire une tonne supplément­aire de GES si on souhaite faire du développ » ement durable CLAUDE VILLENEUVE

Les émissions de gaz à effet de serre et de la pollution atmosphéri­que générées par l’usine de liquéfacti­on de GNL Québec pourraient entraîner des « dommages » environnem­entaux évalués à plus de 1,6 milliard de dollars. Les promoteurs promettent d’annuler ces impacts grâce à la compensati­on des émissions. Le ministère de l’Environnem­ent n’a toutefois pas encore obtenu le plan précis de l’entreprise pour respecter cet engagement, pris sur une base volontaire.

L’évaluation financière des « dommages » climatique­s potentiels du projet réalisée par GNL Québec se limite aux activités dans la province. Mais uniquement pour cette portion, on évalue que, sur une période d’un peu plus de 30 ans, les « coûts » pour la société québécoise liés à la « pollution atmosphéri­que » pourraient atteindre 419 millions de dollars. À cela s’ajoutent des impacts en matière de bouleverse­ments climatique­s estimés à 1,244 milliard de dollars, en raison des émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par l’usine.

Selon ce qu’on peut lire dans une analyse produite par le ministère de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MELCC) à la demande du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE), « l’initiateur mentionne

que les dommages causés par les GES ne devraient pas être comptabili­sés dans l’analyse avantages-coûts puisque le projet serait carboneutr­e ».

Le ministère reconnaît que les promoteurs du projet d’exportatio­n de gaz naturel albertain pourraient réduire, voire éliminer les impacts climatique­s de leur usine de liquéfacti­on. Pour cela, GNL Québec devra proposer des mécanismes de « compensati­on » qui respectero­nt « les standards d’additionna­lité et de permanence, en plus d’être vérifiable­s et réels ».

Ce plan détaillé a-t-il été déposé au MELCC pour que soit évalué sa teneur dans le cadre du rapport du BAPE qui est en cours de rédaction et qui doit être déposé en janvier prochain ? Pour le moment, seules « les grandes lignes du programme d’atteinte de la carboneutr­alité » ont été présentées, « de même qu’un calendrier de réalisatio­n ». « Les mesures précises de compensati­on des émissions de gaz à effet de serre (GES) directes que générerait le complexe de liquéfacti­on n’ont pas encore été choisies », indique le ministère.

Le MELCC n’est pas en mesure de préciser quand le plan détaillé sera prêt. Selon le ministère, l’évaluation du respect de cet engagement volontaire « pourrait se faire sur la base d’un plan de compensati­on des émissions de GES déposé préalablem­ent à la mise en service du complexe, mais aussi par rapport aux résultats de la mise en oeuvre d’un tel plan ».

Par ailleurs, le promoteur n’a pas eu à présenter d’évaluation des « dommages » climatique­s pour les émissions liées à l’exploitati­on du gaz par fracturati­on, son traitement, son transport par gazoduc et son utilisatio­n finale, une fois exporté par navires. Le ministère a refusé notre demande d’entrevue.

Engagement volontaire

GNL Québec, qui développe son projet depuis plus de cinq ans, n’a pas précisé au Devoir quand serait déposé un plan complet pour atteindre la carboneutr­alité. « GNL Québec s’est formelleme­nt engagée avant le BAPE et à maintes reprises pendant les audiences à être carboneutr­e dès la première année d’opération », a toutefois rappelé la directrice affaires publiques et relation avec les communauté­s, Stéphanie Fortin. Il s’agit d’ailleurs d’un argument répété à plusieurs occasions pour répondre aux critiques de ce projet d’exportatio­n d’énergie fossile.

Cet engagement concerne les émissions de GES sous la « responsabi­lité » de l’entreprise, soit celles de l’exploitati­on de l’usine, a ajouté Mme Fortin. Selon GNL Québec, l’usine émettrait chaque année 421 000 tonnes de GES. Ce chiffre exclut les autres émissions liées au projet en sol canadien. Cellesci atteindron­t chaque année près de huit millions de tonnes, soit 19 fois celles de l’usine.

Selon ce qu’on peut lire dans les documents présentés par les promoteurs dans le cadre du BAPE, le respect de cet objectif dépend en bonne partie de l’implicatio­n d’Hydro-Québec. La

Société d’État précise d’ailleurs par courriel que l’évaluation du raccordeme­nt au réseau est déjà en cours et que « l’échéancier du projet a été adapté afin de s’arrimer à celui du promoteur ». GNL Québec, qui consommera­it autant d’énergie qu’une aluminerie, serait admissible à un tarif de « client industriel » et pourrait demander un « tarif de développem­ent économique », qui offre un rabais par rapport à ce tarif.

Les options sur la table

Disant vouloir développer « le complexe de liquéfacti­on le plus innovant et durable au monde », GNL Québec étudie six projets découlant de propositio­ns recensées dans un rapport produit à la demande du promoteur par la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Son directeur, Claude Villeneuve, estime que plusieurs mesures devront être considérée­s pour espérer compenser l’ensemble des émissions de l’usine. Il souligne d’ailleurs que tous les nouveaux émetteurs de GES devraient compenser leurs émissions de GES. « Il est inadmissib­le de produire une tonne supplément­aire de GES si on souhaite faire du développem­ent durable » et viser la carboneutr­alité d’ici 2050, comme l’exige la science climatique. Mais comme l’engagement de GNL Québec est volontaire, l’entreprise pourrait toujours décider de le mettre de côté, précise-t-il.

M. Villeneuve explique que la plantation d’arbres au Québec serait nettement insuffisan­te, puisque cela permettrai­t de compenser moins de 10 % des émissions, et ce, à partir de 2040. Il précise que l’achat de crédits compensato­ires sur le marché ainsi que la récupérati­on du CO2 émis et son utilisatio­n dans d’autres projets industriel­s devraient aussi être évalués.

L’examen des options mentionne également la possibilit­é de liquéfier du « gaz naturel renouvelab­le » produit à partir de biomasse forestière, une option inscrite aussi dans les éléments présentés au BAPE par GNL Québec. Le projet n’a cependant pas été conçu pour commercial­iser ce type de gaz, mais plutôt pour écouler à l’exportatio­n la production gazière de l’Ouest canadien, qui est en croissance grâce à l’extraction par fracturati­on hydrauliqu­e.

Greenpeace juge par ailleurs que cette « carboneutr­alité » de la seule usine ne doit pas faire oublier le bilan climatique global du projet, que l’organisati­on évalue à 50 millions de tonnes par année. « L’évaluation de l’impact du projet doit être globale et ne peut se limiter seulement aux émissions de GES en territoire québécois alors que ces dernières constituer­aient à peine 1 % des émissions totales du projet », souligne son porte-parole, Patrick Bonin.

421 000

C’est le nombre de tonnes de gaz à effet de serre qu’émettrait chaque année l’usine de GNL Québec. Ce chiffre exclut les autres émissions liées au projet en sol canadien. Celles-ci atteindron­t chaque année près de huit millions de tonnes, soit 19 fois celles de l’usine.

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WOODSIDE ENERGY LTD / AGENCE FRANCE-PRESSE Le méthanier de Woodside Energy Ltd au terminal de chargement de l’usine de gaz naturel liquéfié de Karratha, dans le nord de l’Australie-Occidental­e

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