Le Devoir

Plus d’un milliard en 10 ans pour l’industrie porcine

Les subvention­s distribuée­s au Québec dans ce secteur ne vont pas à l’encontre de l’objectif d’autonomie alimentair­e, selon certains

- AGRICULTUR­E ALEXIS RIOPEL

Alors qu’on parle plus que jamais d’autonomie alimentair­e, l’industrie porcine du Québec bénéficie d’importante­s subvention­s. En dix ans, cette filière orientée essentiell­ement vers l’exportatio­n a obtenu plus d’un milliard de dollars des gouverneme­nts, selon des données rassemblée­s par Le Devoir.

La plus grande partie de cet argent provient du programme d’assurance stabilisat­ion des revenus agricoles (ASRA) de la Financière agricole du Québec.

Cette caisse, alimentée par les cotisation­s des producteur­s et en partie par Québec, verse des compensati­ons établies en fonction des aléas du marché. De 2009 à 2018, la différence entre les compensati­ons et les cotisation­s — qui correspond donc à la contributi­on du gouverneme­nt — totalise 808 millions, selon les données publiques les plus récentes.

D’autres programmes administré­s par la Financière agricole (Agri-stabilité et Agri-investisse­ment) ont vu les gouverneme­nts fédéral et provincial injecter 25 millions par année en moyenne sur 10 ans, selon une porteparol­e de l’organisati­on. En une décennie, cela correspond donc à 250 millions.

Le ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on du Québec (MAPAQ) subvention­ne aussi des initiative­s environnem­entales ou économique­s et offre des crédits de taxes foncières. De 2011 à 2018, des sommes de 57 millions ont été consacrées au secteur porcin, selon des données fournies par le ministère.

Finalement, Ottawa subvention­ne les producteur­s porcins du Québec par l’entremise de plusieurs programmes (Agri-innovation, Agri-science, etc.). Des enveloppes échelonnée­s de 2013 à 2023, dirigées directemen­t vers le secteur porcin québécois, totalisent 33 millions. Trente-sept millions supplément­aires financent des programmes nationaux dont le Québec bénéficie.

Ces dernières semaines, le titulaire du MAPAQ, André Lamontagne, a annoncé une série de mesures visant à accroître l’autonomie alimentair­e du Québec. Les importante­s subvention­s accordées au secteur porcin sont-elles cohérentes avec ces visées ? Sachant que la province produit quatre fois plus de porc qu’elle n’en mange, les sommes seraient-elles mieux investies ailleurs ?

Sylvain Charlebois, professeur en distributi­on agroalimen­taire à l’Université Dalhousie, souligne que le Québec n’est pas le seul à subvention­ner son secteur porcin, qui est par ailleurs très cyclique et risqué pour les producteur­s. « Cela dit, c’est une production qui pollue énormément — il y a des normes à suivre, évidemment —, et on produit beaucoup pour le marché internatio­nal. C’est un peu paradoxal. Est-ce que l’ASRA, qui est lourdement financé par les fonds publics, bénéficie aux Québécois ? Je ne sais pas. Mais je me suis toujours posé la question. »

M. Charlebois pense que subvention­ner l’industrie porcine n’est pas une mauvaise idée en elle-même, mais à condition que des indicateur­s de performanc­e concernant l’environnem­ent, le développem­ent de marchés et la recherche soient pris en compte.

« Je ne vois pas d’incohérenc­e là-dedans », note de son côté le professeur retraité de l’Université de Laval Daniel Mercier-Gouin, un spécialist­e du secteur porcin. Selon lui, d’autres types de production, comme l’agneau, « ne se suffisent jamais » et dépendent plus étroitemen­t des subvention­s de l’ASRA. La raison pour laquelle on parle du porc, c’est à cause de son grand volume. « Le porc, quand ça dérape, ça coûte cher », explique-t-il.

Invité à se prononcer sur les subvention­s au secteur porcin dans le contexte de l’autonomie alimentair­e, le cabinet du ministre Lamontagne répond que les exportatio­ns agroalimen­taires font partie des orientatio­ns gouverneme­ntales.

« Dans le cadre de la Politique bioaliment­aire 2018-2025, écrit-on dans un courriel, le gouverneme­nt du Québec s’est donné comme cible d’accroître de 6 milliards de dollars les exportatio­ns bioaliment­aires internatio­nales de la province. Le secteur porcin représente près de 20 % des exportatio­ns bioaliment­aires. »

Les Éleveurs de porcs du Québec pensent eux aussi que l’accroissem­ent de l’autonomie alimentair­e est compatible avec un soutien financier « soutenu » aux filières exportatri­ces. Un porte-parole ajoute que l’élevage porcin génère plus de retombées économique­s que d’autres secteurs tout autant subvention­nés, comme celui des fruits et légumes.

Selon le MAPAQ, la filière du porc entraîne des retombées annuelles directes de 4 milliards, réparties sur le territoire du Québec. Elle compte par ailleurs plus de 16 000 emplois directs, et des milliers d’autres indirects.

En considéran­t son cycle de vie complet, la production d’un kilo de porc produit des émissions de 4,2 kg de CO2 équivalent. La pollution des cours d’eau et les mauvaises odeurs font partie des préoccupat­ions récurrente­s au sujet de l’élevage porcin.

Le Québec s’est donné comme cible d’accroître de 6 milliards de dollars les exportatio­ns bioaliment­aires internatio­nales de la province

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