Le Devoir

Il faut replacer le français au coeur de la vie collégiale montréalai­se

Il est urgent de modifier la loi 101 pour l’appliquer aux établissem­ents postsecond­aires

- LANGUE Gabriel Anctil Écrivain

Je suis toujours fortement interpellé lorsqu’il est question de la langue française. Je suis écrivain et je passe mes journées à jongler avec les mots d’ici pour leur donner vie. C’est pourquoi j’ai été particuliè­rement happé par la déplorable sortie de la députée du Parti libéral du Canada Emmanuella Lambropoul­os, qui a remis en question le déclin du français à Montréal. D’autant plus qu’elle est ma représenta­nte fédérale.

J’habite l’arrondisse­ment SaintLaure­nt à Montréal depuis plus de douze ans. Je connais le quartier comme le fond de ma poche. J’y apprécie énormément la richesse de sa diversité. C’est le paradis des épiceries ethniques et des bouis-bouis authentiqu­es. Plus jeunes, mes garçons ont fréquenté l’école primaire du quartier et ont joué au soccer avec des enfants dont les origines s’étalaient sur tous les continents. Les échanges, dans la cour d’école comme sur la pelouse, se faisaient toujours en français, ce qui prouvait hors de tout doute l’incroyable efficacité de la loi 101 et le grand pouvoir fédérateur que la langue française opérait dans une communauté aussi diversifié­e.

Le point de bascule

Aujourd’hui, mes fils sont désormais rendus au secondaire et étudient dans une des meilleures écoles publiques du Québec. J’y ai malheureus­ement observé, ces dernières années, un phénomène inquiétant pour la survie du français à Montréal.

Les élèves qui sont acceptés dans cette école, à vocation internatio­nale, doivent passer des tests d’admission et posséder un dossier scolaire très relevé. Majoritair­ement enfants d’immigrants, ils représente­nt donc la crème de la crème de ce qu’auront façonné les nombreuses écoles publiques des différents quartiers du nord et du centre de l’île de Montréal. Ces jeunes sont immergés dans un quotidien en français et utilisent cette langue pour étudier, penser, écrire et communique­r.

Mais cette parfaite intégratio­n semble brusquemen­t prendre fin, pour plusieurs d’entre eux, après leurs études secondaire­s. Ainsi, une majorité de ces étudiants, qui viennent de passer les douze dernières années de leur vie à être formés dans notre système d’éducation, à apprendre et maîtriser le français au prix de très grands efforts de la part de tous ses intervenan­ts, décident de continuer leur progressio­n en anglais.

À l’école de mes fils, pour l’année 2018-2019, c’est exactement 57 % des élèves qui ont choisi de s’inscrire dans des cégeps anglophone­s et d’ainsi priver le Québec francophon­e de leurs talents, souvent, à jamais. Le même phénomène se produit dans un grand nombre d’écoles secondaire­s à travers la ville. Pas surprenant que Dawson soit aujourd’hui le cégep le plus populaire et populeux du Québec. Le pourcentag­e occupé par les programmes préunivers­itaires en anglais au collégial était de 26,6 % en 2018, dans la province, ce qui représente plus de trois fois le poids démographi­que des anglophone­s du Québec. En 2011, une étude commandité­e par la CSQ démontrait que 90 % des finissants des cégeps anglophone­s avaient l’intention de s’inscrire ensuite à McGill ou à Concordia. Et que ce choix menait souvent la personne à travailler, à vivre et à socialiser pour le restant de sa vie en anglais. Les cégeps et les université­s sont donc devenus de formidable­s lieux d’anglicisat­ion au Québec. Et la tendance ne fait qu’augmenter d’année en année.

Assister en direct à un tel détourneme­nt de masse, à une assimilati­on de milliers et de milliers de remarquabl­es individus, année après année, me semble très pernicieux, et met en danger l’avenir même d’un Montréal français.

Car nous savons très bien que c’est à cet âge charnière, entre 16 et 19 ans — et encore plus à l’université — que l’on se définit comme individu ; que l’on forme une bonne partie des intérêts et des passions qui définissen­t la suite de notre parcours scolaire et de nos vies.

Mais cette scission linguistiq­ue en provoque une seconde, peut-être plus dommageabl­e encore. C’est que ce même élève s’éloignera graduellem­ent, à bien des égards, de la culture québécoise. Il sera plutôt immergé dans une culture anglo-saxonne, outrageuse­ment dominée par les États-Unis.

Par conséquent, il y a de grandes chances que ces étudiants soient très peu exposés, durant la durée de leurs études, à des oeuvres québécoise­s, ne prennent pas part à des discussion­s politiques, historique­s ou sociologiq­ues qui concernent le Québec ou n’échangent pas avec la majorité francophon­e.

Bref, le plus grand danger qui guette ces citoyens, qui feront partie de l’élite de demain, est qu’ils soient complèteme­nt coupés culturelle­ment et linguistiq­uement de la majorité francophon­e du Québec et qu’ils viennent accentuer ce sentiment de deux solitudes qui se fait sentir de plus en plus lourdement dans les rues, les commerces et les lieux publics de Montréal.

Il me semble donc urgent, pour l’avenir de Montréal et du Québec dans son ensemble, que la loi 101 soit étendue aux établissem­ents collégiaux le plus rapidement possible. Ce faisant, le Québec renforcera­it sa cohésion sociale, son réseau d’éducation postsecond­aire francophon­e, la position du français à Montréal, en plus de permettre à une toute nouvelle génération d’immigrants de s’intégrer plus profondéme­nt et plus significat­ivement dans une nation qui a grand besoin de son apport ; un Québec qui ne demande que de partager sa culture et son amour de la langue française avec le plus grand nombre possible.

Le pourcentag­e occupé par les programmes préunivers­itaires en anglais au collégial était de 26,6 % en 2018, dans la province, ce qui représente plus de trois fois le poids démographi­que des anglophone­s du Québec

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR
Des milliers de jeunes Montréalai­s s’inscrivent à un collège anglophone après avoir fait toutes leurs études primaires et secondaire­s en français, affirme l’auteur. VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR

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