Il faut replacer le français au coeur de la vie collégiale montréalaise
Il est urgent de modifier la loi 101 pour l’appliquer aux établissements postsecondaires
Je suis toujours fortement interpellé lorsqu’il est question de la langue française. Je suis écrivain et je passe mes journées à jongler avec les mots d’ici pour leur donner vie. C’est pourquoi j’ai été particulièrement happé par la déplorable sortie de la députée du Parti libéral du Canada Emmanuella Lambropoulos, qui a remis en question le déclin du français à Montréal. D’autant plus qu’elle est ma représentante fédérale.
J’habite l’arrondissement SaintLaurent à Montréal depuis plus de douze ans. Je connais le quartier comme le fond de ma poche. J’y apprécie énormément la richesse de sa diversité. C’est le paradis des épiceries ethniques et des bouis-bouis authentiques. Plus jeunes, mes garçons ont fréquenté l’école primaire du quartier et ont joué au soccer avec des enfants dont les origines s’étalaient sur tous les continents. Les échanges, dans la cour d’école comme sur la pelouse, se faisaient toujours en français, ce qui prouvait hors de tout doute l’incroyable efficacité de la loi 101 et le grand pouvoir fédérateur que la langue française opérait dans une communauté aussi diversifiée.
Le point de bascule
Aujourd’hui, mes fils sont désormais rendus au secondaire et étudient dans une des meilleures écoles publiques du Québec. J’y ai malheureusement observé, ces dernières années, un phénomène inquiétant pour la survie du français à Montréal.
Les élèves qui sont acceptés dans cette école, à vocation internationale, doivent passer des tests d’admission et posséder un dossier scolaire très relevé. Majoritairement enfants d’immigrants, ils représentent donc la crème de la crème de ce qu’auront façonné les nombreuses écoles publiques des différents quartiers du nord et du centre de l’île de Montréal. Ces jeunes sont immergés dans un quotidien en français et utilisent cette langue pour étudier, penser, écrire et communiquer.
Mais cette parfaite intégration semble brusquement prendre fin, pour plusieurs d’entre eux, après leurs études secondaires. Ainsi, une majorité de ces étudiants, qui viennent de passer les douze dernières années de leur vie à être formés dans notre système d’éducation, à apprendre et maîtriser le français au prix de très grands efforts de la part de tous ses intervenants, décident de continuer leur progression en anglais.
À l’école de mes fils, pour l’année 2018-2019, c’est exactement 57 % des élèves qui ont choisi de s’inscrire dans des cégeps anglophones et d’ainsi priver le Québec francophone de leurs talents, souvent, à jamais. Le même phénomène se produit dans un grand nombre d’écoles secondaires à travers la ville. Pas surprenant que Dawson soit aujourd’hui le cégep le plus populaire et populeux du Québec. Le pourcentage occupé par les programmes préuniversitaires en anglais au collégial était de 26,6 % en 2018, dans la province, ce qui représente plus de trois fois le poids démographique des anglophones du Québec. En 2011, une étude commanditée par la CSQ démontrait que 90 % des finissants des cégeps anglophones avaient l’intention de s’inscrire ensuite à McGill ou à Concordia. Et que ce choix menait souvent la personne à travailler, à vivre et à socialiser pour le restant de sa vie en anglais. Les cégeps et les universités sont donc devenus de formidables lieux d’anglicisation au Québec. Et la tendance ne fait qu’augmenter d’année en année.
Assister en direct à un tel détournement de masse, à une assimilation de milliers et de milliers de remarquables individus, année après année, me semble très pernicieux, et met en danger l’avenir même d’un Montréal français.
Car nous savons très bien que c’est à cet âge charnière, entre 16 et 19 ans — et encore plus à l’université — que l’on se définit comme individu ; que l’on forme une bonne partie des intérêts et des passions qui définissent la suite de notre parcours scolaire et de nos vies.
Mais cette scission linguistique en provoque une seconde, peut-être plus dommageable encore. C’est que ce même élève s’éloignera graduellement, à bien des égards, de la culture québécoise. Il sera plutôt immergé dans une culture anglo-saxonne, outrageusement dominée par les États-Unis.
Par conséquent, il y a de grandes chances que ces étudiants soient très peu exposés, durant la durée de leurs études, à des oeuvres québécoises, ne prennent pas part à des discussions politiques, historiques ou sociologiques qui concernent le Québec ou n’échangent pas avec la majorité francophone.
Bref, le plus grand danger qui guette ces citoyens, qui feront partie de l’élite de demain, est qu’ils soient complètement coupés culturellement et linguistiquement de la majorité francophone du Québec et qu’ils viennent accentuer ce sentiment de deux solitudes qui se fait sentir de plus en plus lourdement dans les rues, les commerces et les lieux publics de Montréal.
Il me semble donc urgent, pour l’avenir de Montréal et du Québec dans son ensemble, que la loi 101 soit étendue aux établissements collégiaux le plus rapidement possible. Ce faisant, le Québec renforcerait sa cohésion sociale, son réseau d’éducation postsecondaire francophone, la position du français à Montréal, en plus de permettre à une toute nouvelle génération d’immigrants de s’intégrer plus profondément et plus significativement dans une nation qui a grand besoin de son apport ; un Québec qui ne demande que de partager sa culture et son amour de la langue française avec le plus grand nombre possible.
Le pourcentage occupé par les programmes préuniversitaires en anglais au collégial était de 26,6 % en 2018, dans la province, ce qui représente plus de trois fois le poids démographique des anglophones du Québec