Le Devoir

Décanadian­iser au lieu de se dévalorise­r

- Paul St-Pierre Plamondon Chef du Parti québécois

La chroniqueu­se Francine Pelletier, dans un texte publié dans les pages de ce journal, nous propose ce qu’elle qualifie de « blasphème » : vouloir faire du Québec, comme Philippe Couillard le souhaitait, une province canadienne comme les autres. À notre idée de « décanadian­iser » le Québec, elle oppose donc celle de le « canadianis­er » davantage. Cette propositio­n repose sur la prémisse de l’infériorit­é du Québec, pour laquelle le Canada serait le remède. Mais qu’en est-il, réellement ?

D’abord, l’autrice suggère qu’une coordinati­on pancanadie­nne est un passage obligé pour une gestion efficace de la pandémie. Malheureus­ement, il n’y a aucune donnée indiquant que l’évolution de la pandémie en Alberta ou en Colombie-Britanniqu­e, par exemple, ait une quelconque incidence sur notre gestion au Québec. Bien sûr, l’échange de données et l’adoption de meilleures pratiques à travers le monde sont bénéfiques, mais est-ce une raison pour suggérer que le Québec devrait laisser au Canada une plus grande part de pouvoir dans la gestion de la pandémie et de son réseau de la santé ?

On sait que Justin Trudeau rêve depuis des années d’accroître de nouveau le pouvoir du fédéral en santé en tentant de rendre conditionn­els à des normes « pancanadie­nnes » les transferts qui nous sont dus. Est-ce que ces normes seraient pour autant meilleures ? Ceux qui répondront oui portent en eux un sentiment d’infériorit­é qui me laisse perplexe. Combien d’hôpitaux, historique­ment, le gouverneme­nt fédéral a-t-il gérés ? Zéro. Alors, comment expliquer qu’il y a près de 11 000 fonctionna­ires au ministère fédéral de la Santé ? De quelle façon, jusqu’à maintenant, le Canada a-t-il assuré correcteme­nt notre sécurité par sa gestion des pesticides ou du transport de pétrole par train ? Ottawa a-t-il vraiment démontré sa supériorit­é en temps de crise dans des décisions comme l’achat de matériel médical, la transition ratée entre l’armée et la Croix-Rouge dans nos CHSLD, ou l’incapacité d’obtenir des vaccins en même temps que tous les autres pays occidentau­x ? Des défaillanc­es comme le système de paye Phénix, le scandale des commandite­s ou l’achat de matériel militaire obsolète à coups de milliards sont-ils réellement des indicateur­s d’une gestion supérieure ?

L’autrice laisse entendre par ailleurs que les grandes fédération­s ont plus de difficulté parce que la coordinati­on entre deux ordres de gouverneme­nt n’est pas facile. Devrait-on en conclure que nous serions mieux dans un pays unitaire nommé Québec ou plutôt, comme elle le suggère, qu’il faudrait donner les pleins pouvoirs au Canada pour le rendre encore plus centralisé ? Poser la question, c’est y répondre. Il y a certes des problèmes découlant de la présence d’un ordre de gouverneme­nt de trop, mais la seule solution réside dans le projet de s’en débarrasse­r. Bigger is not always better.

Dans son élan pour remettre notre destin entre les mains du Canada, l’autrice oublie également bon nombre des facteurs qui ont rendu la gestion de la pandémie par Québec très ardue. Notre système de santé est sous-financé à hauteur de 6 milliards par année en raison du refus d’Ottawa de donner aux provinces leurs transferts. Il est également marqué par l’austérité et le démantèlem­ent de nos services publics qui ont caractéris­é les années de gouverneme­nts fédéralist­es voués à nous « canadianis­er », comme ceux du PLQ. Mme Pelletier omet aussi de mentionner que certains des pouvoirs essentiels pour gérer adéquateme­nt une crise — notamment notre faculté de contrôler les frontières, les aéroports et la relance économique — nous échappent, alors que le fédéral les a utilisés de manière très erratique.

L’autrice semble attribuer au fédéral un pouvoir magique de réussir là où les provinces canadienne­s échouent. C’est une lubie qui est au moins partiellem­ent reliée à une culture de dévalorisa­tion du Québec et à une structure fédérale qui fait croire aux Québécois que le Canada sait mieux faire les choses. Cependant, loin de moi l’idée selon laquelle la gestion québécoise fut et est parfaite — je suis en désaccord avec plusieurs aspects de la gestion du gouverneme­nt Legault, notamment quant à la transparen­ce. Mais on devrait justement se pencher sur les erreurs et les améliorati­ons possibles, comme le fait d’ailleurs le Parti québécois avec ses nombreuses propositio­ns constructi­ves, au lieu d’implorer un pouvoir supérieur, externe et condescend­ant à notre rescousse.

La décanadian­isation, c’est justement l’idée de donner aux Québécois les moyens qui leur manquent en ce moment. De cesser de dédoubler des actions impossible­s à coordonner. De ne pas être pris avec des négociatio­ns qui traînent éternellem­ent. De ne pas se faire dire non lorsqu’on a besoin de notre armée ou de contrôler nos aéroports. Si nous avions tous nos pouvoirs et si nous contrôlion­s tous nos impôts, le Québec serait dans une meilleure posture, n’ayant pas à négocier à la pièce chaque chose qui, de toute façon, lui appartient déjà. Pour avancer, il faut cesser d’investir des millions d’heures dans un régime désuet.

La question n’est pas celle des blasphèmes ou des vaches sacrées. C’est plutôt de déterminer ce qui est dans notre intérêt, et si nous méritons, comme nation, le droit de décider pour nous-mêmes.

Réponse de la chroniqueu­se

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je précise justement dans mon texte que le contrôle du système de santé est très important pour le Québec et qu’il n’est pas question de céder ce contrôle. Je n’ai jamais dit non plus que le système fédéral était supérieur au provincial, encore moins « magique ». Je dis simplement que, devant une urgence sanitaire sans précédent, un manque de ressources et de stratégies claires, devant des gens qui meurent et d’autres qui ne s’en remettront jamais, devant l’économie qui fout le camp… nous avons tous intérêt à mieux coordonner nos efforts. Voyez un peu ce qui se passe aux États-Unis : ça tire dans tous les sens avec les résultats désastreux qu’on sait. La véritable « lubie », ici, n’est-elle pas plutôt celle d’un certain discours politique qui cherche à nous faire croire à la malveillan­ce chronique d’Ottawa ? La notion d’infériorit­é du Québec, c’est vous au contraire qui l’entretenez, espérant ainsi donner du souffle au projet souveraini­ste. Permettezm­oi de vous dire que votre moment est mal choisi.

La décanadian­isation, c’est justement l’idée de donner aux Québécois les moyens qui leur manquent en ce moment

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