Le Devoir

Porter secours en temps de pandémie. Le Devoir a suivi deux ambulanciè­res dans leur quotidien effréné.

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La pandémie a mis à rude épreuve le travail des ambulancie­rs partout au Québec. Depuis mars, plus de 19 000 transports ont été réalisés par Urgencessa­nté à Montréal et à Laval, dont plus de 4300 concernaie­nt la COVID-19. Portrait d’une journée type, avec Laurie et Émilie, qui ont effectué, le 9 mars dernier, le premier transport d’un patient déclaré positif dans la métropole. Photos : Jacques Nadeau. Textes : Isabelle Paré.

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10 h 30 | Des dizaines d’ambulances ronronnent dans le garage du centre opérationn­el d’Urgences-santé à LaSalle. À bord du véhicule 0186, Laurie et Émilie, ambulanciè­res depuis cinq ans, glissent masques chirurgica­ux, brassards stériles et formulaire sur l’enveloppe du moniteur qui sera de toutes leurs interventi­ons. Cap sur Montréal. À peine arrivées au centre-ville, coin Saint-Hubert et Sainte-Catherine, un premier appel du répartiteu­r les dépêche à quelques coins de rue. Une agression. Un homme est blessé.

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11 h 05 | Un agent de sécurité vient d’être attaqué à la Cour municipale. L’agresseur, excédé par la file d’attente, a frappé le gardien au visage, et son collègue s’est déboîté l’épaule en immobilisa­nt l’attaquant au sol. « Avez-vous été en contact avec quelqu’un ayant la COVID, avez-vous des symptômes? », demande Laurie, tendant à distance un masque stérile au blessé, prostré sur la civière avec une poche de glace. La COVID-19 a ajouté une couche à la mauvaise humeur des contrevena­nts venus régler leurs contravent­ions. « Ça arrive deux à trois fois par jour que des gens se fâchent, mais là, ça a vraiment dégénéré », se désole l’agent blessé à la figure.

3 et 4

11 h 20 | Cap sur l’Hôpital général de Montréal, où les ambulances se disputent déjà une place devant l’urgence. Il faudra près d’une heure pour admettre le patient. De retour dans leur véhicule, elles voient s’afficher un deuxième appel à l’écran de l’ordinateur de bord. Mais l’ambulance est rapidement redirigée. « Femme intoxiquée inconscien­te, rue Président-Kennedy. » « Le code PO, ça veut dire Priorité urgente survie incertaine », précise Laurie. Tous gyrophares dehors, les ambulanciè­res appuient à fond sur l’accélérate­ur et nous sèment en quelques secondes dans le trafic dense du boulevard René-Lévesque.

12 h 15 | Une femme sous l’effet de la drogue gît sur le sol à la Mission St. Michael, un refuge pour sans-abri. Entrées après avoir enfilé masques, visières et gants, elles ressortent avec une jeune femme autochtone, dans un état visiblemen­t altéré. « Nous l’avons réveillée, dit Émilie. Le refuge ne peut la garder, car elle est intoxiquée au crack et refuse d’aller à l’hôpital. On ne peut rien faire de plus. » La jeune femme fuit la caméra. « Les refuges sont très sévères sur le port du masque, et plusieurs sans-abri sont fréquemmen­t testés, affirme Laurie. On ne s’y sent pas en danger. »

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13 h 07 | Un nouvel appel, cette fois à l’autre bout de la ville, transporte le tandem dans le quartier Côte-des-Neiges.

« Jeune femme, 20 ans. Fièvre depuis 3 jours. Douleurs abdominale­s », texte Laurie. Des symptômes laissant soupçonner un cas de COVID-19. Une protection maximale est alors requise. À leur arrivée, les ambulanciè­res revêtent blouses imperméabl­es, doubles paires de gants, masques 3M 6000 et visières. La malade réside au troisième étage d’un immeuble à logements.

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13 h 20 | Une première incursion chez la patiente confirme les doutes. « Elle est trop faible pour se déplacer et fait 38 degrés de fièvre depuis trois jours. » Émilie a pressé les autres occupants du logement de se placer en isolement. Trois volées de marches et les virages en épingle rendent impossible l’usage de la civière. Des voisins entrebâill­ent leurs portes, inquiets du branle-bas de combat sur le palier. Émilie ressort chercher une chaise pliante à roulettes, qui seule permettra de négocier l’escalier pentu jusqu’au rez-de-chaussée.

13 h 50 | Les roues de métal crissent le long des marches, mais les coéquipièr­es effectuent habilement la descente, avec la jeune femme assise, fermement attachée à la chaise par des sangles. « On va au gym avant notre quart. L’entraîneme­nt, c’est essentiel ! C’est notre café du matin ! », affirme Laurie. La semaine dernière, c’est du cinquième étage qu’elles ont dû descendre un patient dans un escalier en colimaçon. La jeune femme est placée sur la civière et la chaise désinfecté­e minutieuse­ment avant que le véhicule ne redémarre pour l’urgence de l’hôpital Notre-Dame.

7

14 h | Rue Plessis, il faudra près d’une heure pour accéder au triage de l’urgence. Cela fait presque deux heures qu’Émilie et Laurie suent sous leurs équipement­s, retirés, dès leur sortie de l’urgence. Les surfaces du cubicule sanitaire sont ensuite stérilisée­s au brumatiseu­r, la ventilatio­n rapide activée. Poignées de portes, appareils, tout doit être désinfecté. Blouses et couverture­s entassées dans un sac scellé. « On ne saura jamais si la dame était positive. On l’a su seulement, pour notre premier patient, transporté le 9 mars », expliquent les deux ambulanciè­res.

8 et 9

15 h 15 | « Tout est plus long, plus compliqué », disent-elles, depuis le début de la pandémie. Aujourd’hui, c’était une journée typique de novembre. Tranquille. Et cette année, on prévoit que décembre sera de la même eau. « Pas de

partys de bureau, personne au centre-ville, ça s’annonce plus calme qu’un décembre normal ! », explique Émilie. Mais les appels pour les cas soupçonnés de COVID-19, eux, sont repartis à la hausse depuis l’automne.

15 h 30 | Déjà cinq heures sur la route. Pour éviter une contaminat­ion, les ambulanciè­res n’ont plus accès aux toilettes des hôpitaux. Des toilettes sèches, glaciales, les attendent plutôt dans les stationnem­ents. « C’est compliqué ! On doit parfois luncher dans l’habitacle. L’une garder son masque pendant que l’autre mange. » Le vaccin va changer leur vie. « On en a encore pour des mois avec les masques. » Le retour à la normale n’est pas pour demain. Le seul retour en vue, c’est celui du chemin vers leur centre opérationn­el, pour souffler un brin, avant de reprendre la route, en cette 255e journée de pandémie.

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