Le Devoir

Le décrochage de l’Occident ?

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com

On a vu ici la semaine dernière que les chiffres comparés de l’Orient (Asie du Nord-Est) et de l’Occident face à la COVID-19 sont accablants pour les anciens « maîtres du monde » d’Amérique du Nord et d’Europe. Bien des nuances doivent être faites devant ce bilan contrasté, entre d’une part la France ou les États-Unis, toujours enlisés dans la flambée des nouveaux cas (y compris mortels) de COVID — pays en outre déchirés par de puissants clivages idéologiqu­es sur la façon d’affronter le mal —, et d’autre part une certaine Asie (Chine, Japon, Corée du Nord, Taïwan) apparemmen­t plus « discipliné­e », qui en cette fin 2020 a pratiqueme­nt retrouvé une vie normale.

Par exemple : il semble bien que la Chine et Taïwan, frères ennemis de l’identité historique « chinoise », n’aient plus de COVID et ont retrouvé le chemin de la normalité économique. À tel point que ces deux pays figureront, en 2020, parmi les très rares à avoir conservé, sur douze mois, une croissance économique positive.

Mais en même temps, le Japon et la Corée du Sud, bien qu’infiniment moins touchés que le Québec, l’Italie ou les États-Unis, ont connu en novembre de petites « flambées de retour » aboutissan­t, à Tokyo et à Séoul, à la réimpositi­on de certaines restrictio­ns.

Il convient de ne pas généralise­r, ni d’accorder une importance exagérée au « facteur culturel asiatique » : discipline, obéissance, confuciani­sme et tutti quanti… Il n’y a pas ici de « magie de l’Orient ».

D’autres parties de cette région du monde — l’Asie du Sud-Est — ont été beaucoup plus touchées par la pandémie. Et dans le Pacifique Sud, il y a la réussite d’une petite nation, petit pays insulaire qui, malgré sa localisati­on, appartient à l’espace politique et culturel « occidental » : la Nouvelle-Zélande.

La Nouvelle-Zélande, justement, a suivi les traces de Taïwan, appliquant des recettes gagnantes sans rapport avec le confuciani­sme ou le « respect atavique de l’autorité » : contrôle des frontières, traçage sévère, plan détaillé prêt d’avance, action immédiate dès les premiers signes du mal…

Toutes ces nuances faites, le constat reste, évident et lourd de conséquenc­es : de façon générale, l’Asie, « l’Asie qui compte » — les pays précités —, laisse loin, loin derrière elle un Occident empêtré dans la crise de 2020.

Déjà visible au printemps, le fossé grandissan­t, sur le plan sanitaire, entre Orient et Occident, s’est approfondi cet automne. En France, la COVID-19 a tué, en octobre et en novembre, presque autant qu’en mars et en avril. À quelques semaines près, idem aux États-Unis pour le nombre de décès.

Pendant que le confinemen­t s’abat à nouveau sur Londres ou Toronto, la vie a recommencé à Wuhan, à Séoul, à Taïpei… où une Gay Pride bien serrée et (presque) sans masques s’est déroulée le 31 octobre, comme en 2019 et en 2018 !

Le grand basculemen­t de l’économie mondiale, de l’ouest vers l’est du monde, était en marche bien avant la pandémie. Mais cet immense accident de l’Histoire aura eu pour effet d’accélérer la tendance et de ramener — des siècles plus tard — la Chine et sa périphérie comme poids lourd des affaires du monde.

Un Xi Jinping triomphant, arrogant et menaçant n’a même plus besoin de forcer le trait quand il évoque la « décadence de l’Occident ». La faillite sanitaire sonnet-elle le glas de l’Occident ? Le krach de 2008 avait exposé les failles du capitalism­e financier. La COVID-19, quant à elle, se superpose à une crise de légitimité des démocratie­s libérales, blessées par la montée du populisme, apparemmen­t incapables d’une réaction cohérente et efficace.

La tendance s’accentuera-t-elle en 2021 ? Déjà, des pays orientaux s’emploient à retisser entre eux des circuits de voyages et d’échanges économique­s en tenant à l’écart l’Europe et l’Amérique du Nord, pestiférée­s.

Il est toujours hasardeux de faire de grandes prédiction­s. Le pire n’est jamais sûr. Mais l’Occident de l’après-COVID — un après-COVID qu’on attend toujours — aura une lourde côte à remonter, pour éviter ou limiter cette nouvelle hégémonie venue d’Orient.

La pandémie est un « test global », qui met cruellemen­t à l’épreuve les systèmes politiques, les sociétés, les économies.

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