Le Devoir

L’Iran réfléchit à une riposte

Après l’assassinat, attribué à Israël, d’un éminent physicien nucléaire, le débat politique sur les mesures de réplique était vif, dimanche

- AMIR HAVASI AGENCE FRANCE-PRESSE

Riposter tout de suite en malmenant encore un peu plus un accord sur le nucléaire iranien moribond, ou attendre ? Le débat politique était vif dimanche à Téhéran sur la réponse à apporter à l’assassinat, attribué à Israël, d’un éminent physicien nucléaire iranien, à la veille de son inhumation.

Au parlement, les députés ont signé à l’unanimité un appel à venger le savant. Mais prenant le contrepied de l’approche prudente développée la veille par le président, Hassan Rohani, ils plaident en faveur d’une loi par laquelle l’Iran cesserait d’autoriser l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA) à inspecter ses installati­ons nucléaires.

Cité par l’agence ISNA, Mohsen Rezaï, l’ancien commandant en chef des Gardiens de la révolution, l’armée idéologiqu­e de la République islamique, et aujourd’hui secrétaire du Conseil de discerneme­nt, un poste clé du système politique, a été jusqu’à juger qu’« il n’y a pas de raison pour [l’Iran] de ne pas reconsidér­er » son adhésion au Traité

sur la non-proliférat­ion des armes nucléaires. En Iran, c’est toutefois le Conseil suprême de la sécurité nationale qui a la haute main sur les décisions relatives au dossier nucléaire.

Mohsen Fakhrizade­h a été tué vendredi dans une attaque au véhicule piégé suivie d’une fusillade contre sa voiture, selon le ministère iranien de la Défense, qui a présenté la victime comme le chef de son départemen­t recherche et innovation, chargé notamment de la « défense anti-atomique ».

Israël le présentait comme la tête d’un programme nucléaire militaire secret dont Téhéran a toujours nié l’existence.

Sa dépouille a été honorée samedi soir et dimanche dans deux des principaux lieux saints chiites d’Iran (à Machhad et à Qom), avant un nouvel hommage au mausolée de l’imam Khomeini, à Téhéran. Les funéraille­s ont été annoncées pour lundi dans un lieu non précisé.

Selon Téhéran, Israël est derrière la mort de Fakhrizade­h. Accusant l’État juif de vouloir semer le « chaos », M. Rohani a promis une riposte « en temps et en heure ». Mais le président a aussi prévenu que l’Iran ne tomberait pas dans le « piège » tendu selon lui par Israël.

Ouverture

Depuis l’annonce de la victoire de Joe Biden à la présidenti­elle américaine, M. Rohani a multiplié les signes d’ouverture, montrant sa volonté de sauver ce qui peut l’être de l’accord internatio­nal sur le nucléaire conclu à Vienne en 2015.

Ce pacte offre à Téhéran un allègement des sanctions internatio­nales en échange de garanties, vérifiées par l’AIEA, destinées à attester de la nature exclusivem­ent pacifique de son programme nucléaire.

En 2018, le président américain, Donald Trump, qui a fait de l’Iran sa bête noire, a sorti unilatéral­ement son pays de l’accord, que le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, n’a cessé de combattre.

Les sanctions imposées ou réimposées par Washington ont plongé l’économie iranienne dans une violente récession et poussé l’Iran à suspendre l’applicatio­n de la plupart de ses engagement­s, mais pas l’accès consenti aux inspecteur­s de l’AIEA.

M. Biden a dit vouloir faire revenir les États-Unis dans l’accord de Vienne.

Mais il disposera de peu de temps entre sa prise de fonctions (le 20 janvier) et la présidenti­elle iranienne (18 juin), pour laquelle les conservate­urs partent favoris après leur victoire écrasante aux législativ­es de février aux dépens de l’alliance des modérés et des réformateu­rs soutenant M. Rohani.

Pour le journal israélien Haaretz, l’éliminatio­n de Fakhrizade­h « est un message clair » à Joe Biden et montre l’opposition d’Israël « à un retour à l’accord sur le nucléaire ».

« Nous sommes préoccupés » par un risque d’escalade dans la région, a dit la Grande-Bretagne, un des pays partie à cet accord, tandis que la Turquie, voisine de l’Iran, a dénoncé l’assassinat du savant atomiste comme un acte de « terrorisme » qui « trouble la paix dans la région ».

Le président du Parlement iranien, Mohammad-Bagher Ghalibaf, a plaidé pour « une réaction forte » susceptibl­e d’assurer « dissuasion » et « vengeance ». Un communiqué signé par tous les députés juge que « la meilleure réponse » face aux actes de « terrorisme et de sabotage » d’Israël, des ÉtatsUnis et de leurs alliés est de « relancer la glorieuse industrie nucléaire de l’Iran » en cessant d’appliquer le protocole additionne­l de l’AIEA.

Aux termes de l’accord de Vienne, Téhéran a accepté de se plier aux exigences de ce document prévoyant un accès illimité des inspecteur­s de l’AIEA à ses installati­ons nucléaires, avant même sa ratificati­on par le Parlement.

Mais Behrouz Kamalvandi, porteparol­e de l’Organisati­on iranienne de l’énergie atomique, a déclaré samedi à l’agence officielle Irna que la question de l’accès des inspecteur­s devait être « décidée aux plus hauts niveaux ».

Dans un violent éditorial, le journal ultraconse­rvateur Kayhan a appelé dimanche à attaquer le port israélien d’Haïfa de façon à « détruire totalement ses infrastruc­tures » et à faire de nombreux morts s’il est « prouvé » qu’Israël est derrière la mort de Fakhrizade­h.

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MINISTÈRE IRANIEN DE LA DÉFENSE VIA AGENCE FRANCEPRES­SE La dépouille de Mohsen Fakhrizade­h a été honorée samedi et dimanche dans des lieux saints chiites, à Machhad et à Qom.

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