Le Devoir

Prouesse au Festival Bach

La soprano Myriam Leblanc a sauvé la mise samedi soir

- CHRISTOPHE HUSS

Le Festival Bach entre dans sa dernière semaine. Comme pour les séries télévisées, le streaming sur quebecbaro­que.com permet de profiter à volonté, en décalage ou en visionnage boulimique, des concerts passés.

Samedi soir à la Maison symphoniqu­e, l’Orchestre du Festival, sous la direction de Jean-Claude Picard, donnait un programme de cantates célèbres : « Jauchzet Gott in allen Landen », BWV 51, pour soprano, « Ich will den Kreuzstab gerne tragen », BWV 56, pour basse et la Cantate BWV 32 pour soprano et basse.

Avec des aigus irradiants et maîtrisant les vocalises, Myriam Leblanc, qui n’avait jamais chanté ni la BWV 32 ni la 51, a su pallier en quelques heures la défection, le matin même, de la soprano initialeme­nt prévue. Le sourire après le dernier « Alleluia » de la Cantate BWV 51 en disait long sur la prouesse accomplie en quelques heures qui, à ce niveau, tenait en tous points (qualité, justesse, voix) du pur phénomène.

Montréal à Turin

Dans ce concert, la voix de Myriam Leblanc était plus épanouie (donc mieux captée, car c’est la même chanteuse à quelques jours d’écart !) que dans le récent Pergolèse d’I Musici. Voilà un nécessaire rappel sur la perspectiv­e potentiell­ement déformée et la prudence nécessaire dans le commentair­e de captations webdiffusé­es.

La croix (« Ich will den Kreuzstab gerne tragen ») était plus lourde à porter pour Russell Braun, dont le soutien musculaire semble avoir pâti des mois d’inactivité, engendrant un vibrato envahissan­t. Mais le timbre et l’impact vocal restent impression­nants. Les chorals finaux des Cantates BWV

et ont été chantés en duo par les deux solistes.

Nouveau chef de l’Orchestre symphoniqu­e de Trois-Rivières, Jean-Claude Picard dirigeait aussi la 1re Suite orchestral­e et donnait raison au Festival d’avoir osé inviter des non-spécialist­es de la musique baroque. Nicolas Ellis et Jean-Claude Picard ont partagé un sain enthousias­me.

Dimanche après-midi, Filippo Gorini jouait L’art de la fugue en direct de Turin. Excellente idée : la technologi­e permet à un festival qui tient à sa dimension internatio­nale d’organiser un événement « hors les murs ».

Gorini, vedette montante du piano (cf. ses disques Beethoven chez Alpha) jouait Bach dans le cadre du Musée national du cinéma de Turin, des écrans diffusant des images de films muets et autres classiques. Ce cadre devenait quasiment la vedette de la diffusion, puisque la caméra nous conviait partiellem­ent à une visite guidée du musée (parfois gauche, cf. les promenades dans le couloir des affiches de films) pendant l’exécution de la musique.

Ce louable et original point de vue s’avère contre-productif, L’art de la fugue n’étant pas une musique décorative accompagna­nt une « oeuvre cinématogr­aphique », mais l’une des partitions les plus exigeantes de l’histoire de la musique, qui requiert la plus grande concentrat­ion. Par ailleurs, et surtout, malgré une connexion Internet performant­e, nous avons subi de nombreux sauts et micro coupures sonores, rendant la prestation impropre à la consommati­on et à la critique.

La rigueur intellectu­elle de Gorini transparai­ssait d’évidence, mais le plaisir à s’y plonger se perdait. Le direct reste un grand risque, souvent bien inutile, en matière de webdiffusi­ons musicales. Le différé rendra à L’art de la fugue de Gorini. Sa stature terrassera peut-être des graves du piano instables en fin d’exécution et les distractio­ns visuelles dans lesquelles le réalisateu­r tente de nous embarquer.

Myriam Leblanc, qui n’avait jamais chanté ni la BWV 32 ni la 51, a su pallier en quelques heures la défection, le matin même, de la soprano initialeme­nt prévue

 ?? ANTOINE SAITO FESTIVAL BACH DE MONTRÉAL ?? Myriam Leblanc
ANTOINE SAITO FESTIVAL BACH DE MONTRÉAL Myriam Leblanc

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