Demain matin, Montréal attend Rosalie Vaillancourt, qui raconte et chante une histoire d’amour qui ne veut pas mourir
L’humoriste chante dans sa nouvelle comédie musicale son amour et son dégoût du show-business québécois
Les esprits chagrins qui disent détester les comédies musicales, sous prétexte que personne, dans la vraie vie, ne se met spontanément à pousser la chansonnette au beau milieu d’une phrase ? Jugement sans appel de Rosalie Vaillancourt : « Ce sont des gens qui n’ont pas d’âme », tranche-t-elle au téléphone, en dramatisant (peut-être un peu) le diagnostic. « Moi, en tout cas, ça m’arrive tout le temps de commencer à chanter pendant que je parle. »
Il y a un petit moment déjà que la fervente admiratrice de Michel Tremblay songeait à transposer à l’écran Rosalie — la comédie musicale, un spectacle (coécrit avec Sandrine Viger et Charles-Alex Durand, composé par Jean-Sébastien Houle) qu’elle présentait au Zoofest en 2016, alors qu’elle sortait à peine de l’École nationale de l’humour. Il fallait évidemment y voir un pastiche de ces autobiographies de vedettes instantanées, échafaudées sur pas grand-chose. « Ça me faisait rire de faire une comédie musicale qui porte mon nom quand j’étais encore zéro connue ! T’as 25 ans ! Qu’est-ce qui s’est passé de si marquant, de si important que ça dans ta vie ? »
Bien qu’il s’agisse indubitablement d’un alter ego, la blonde ingénue qui entonne de guillerettes ritournelles au coeur d’un univers encore plus boule de gomme que le vidéoclip de la chanson Barbie Girl d’Aqua (avec un soupçon de Demain matin, Montréal m’attend) n’est pas sans point commun avec sa créatrice, qui a elle-même longtemps rêvé de quitter son SaintHyacinthe natal, afin de respirer l’air raréfié des cimes du vedettariat.
Fable aussi polissonne que colorée sur cette machine à broyer les jeunes femmes qu’est le show-business, Rosalie — La comédie musicale (réalisé par Olivier Landry) fait ainsi le procès, en embrassant les clichés pour mieux les malmener, d’un milieu artistique sclérosé par l’hypocrisie, le conformisme et les violences dites ordinaires. Même sa facture visuelle, à la fois aveuglante et manifestement artificielle (la série a été tournée devant un écran vert et les décors, créés numériquement, en postproduction), traduit bien l’aspect factice des piédestaux sur lesquels s’édifient bien des glorioles locales. Pierre-François Legendre (avec une barbichette hideuse), Katherine Levac et la drag queen Rita Baga sont de la distribution.
« C’est une critique très comédie musicale, c’est dans l’exagération, mais il y a quand même une partie de vrai », reconnaît l’artiste de 28 ans, qui se souvient d’avoir rapidement déchanté en constatant tout ce qui grouille de putride sous les visages lisses et les sourires «Pepsodent».
« Veux, veux pas, quand tu deviens populaire, les gens s’arrachent ta présence, il faut que tu fournisses, que tu sois partout. Et comme on nous dit qu’il faut tout faire, qu’on est donc ben chanceux, on accepte de faire des choses qu’on n’aime pas, de participer à des émissions même si on sait que l’animateur est bizarre avec les femmes. Alors, la pression de fournir, oui, je l’ai vécue, parce que j’avais peur de manquer des occasions. Mais quand tu finis par être full fatiguée, mentalement et physiquement, tu réalises que ce n’est pas grave de ne pas la faire, la publicité de café. J’ai arrêté de penser que le showbiz, c’est la chose la plus importante au monde. Travailler tout le temps, c’est aliénant. »
Amour et dégoût
Après le succès de ses deux précédentes webséries (Rosalie en 2015 et Avant d’être morte en 2017), l’humoriste s’était imaginé qu’un diffuseur ou un producteur accueillerait à bras ouverts son nouveau projet, un espoir qui s’est heurté, dit-elle, à la volonté de certaines télés d’expurger ses blagues.
« Les patrons entendaient une chanson et ils me disaient : “Ah ouain, tu veux vraiment dire ‘Je pensais que tous les gars sentaient le smegma’ ?” Ils voulaient aseptiser la série et, pour moi, c’était un gros non », confie celle pour qui le mélange d’obscénités langagières et de critique sociale acérée des Simpson ou de South Park demeure une référence. « Je ne sais pas si c’est parce que je suis vulgaire ou parce que je suis une femme, mais c’est toujours fâchant, quand je passe à la télé, qu’on me dise : “On veut que tu sois toi… mais tu sais qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire, han ?” Le pire, c’est que ceux qui me disent ça, ce sont les mêmes qui vont employer des gens qui font des blagues homophobes ou qui disent le mot en n. »
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR
Financé en grande partie à partir de la propre poche de sa star, Rosalie — La comédie musicale aura aussi bénéficié de commanditaires privés (un détaillant d’appareils électroniques et une chaîne de rôtisseries), qui versent des fonds en amont de la diffusion de la série, ainsi qu’en aval, au regard du nombre de visionnements que récoltera chacun des six épisodes d’une durée de plus ou moins dix minutes. Un modèle encore jeune au Québec, que l’humoriste aimerait voir fleurir. « Je trouve ça le fun qu’il y ait des entreprises qui souhaitent encourager les créateurs québécois, au lieu d’envoyer un produit à un influenceur et lui donner 4000 $ ou 5000 $ juste pour faire un post. »
C’est donc à la fois la chronique d’une histoire d’amour qui ne veut pas mourir et de la perte d’une innocence que raconte (et chante !) Rosalie Vaillancourt, qui s’étonne encore d’avoir rencontré de la résistance chez certains de ses collègues, lorsqu’elle les mettait en garde contre les gestes de Julien Lacroix, avec qui elle avait choisi de ne plus collaborer (comme elle l’expliquait au Devoir en juillet dernier, dans un texte de notre journaliste Améli Pineda recueillant plusieurs témoignages de présumées victimes de l’humoriste).
« J’ai de la misère avec le milieu, mais en même temps, je l’adore. C’est difficile de comprendre pourquoi certains producteurs, à propos de qui on m’a dit de me méfier dès le début de ma carrière, travaillent encore. Pourquoi ? Ce n’est pas normal. Mais en même temps, j’aime vraiment ça faire des spectacles, j’adore le public. Alors, je vais continuer de faire ce que j’aime, mais je vais continuer de refuser d’aller contre mes valeurs. Je ne veux pas que le fait d’être connue me change. C’est une de mes plus grandes peurs. »