Le Devoir

Demain matin, Montréal attend Rosalie Vaillancou­rt, qui raconte et chante une histoire d’amour qui ne veut pas mourir

L’humoriste chante dans sa nouvelle comédie musicale son amour et son dégoût du show-business québécois

- DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR Rosalie — La comédie musicale Un nouvel épisode tous les lundis sur YouTube

Les esprits chagrins qui disent détester les comédies musicales, sous prétexte que personne, dans la vraie vie, ne se met spontanéme­nt à pousser la chansonnet­te au beau milieu d’une phrase ? Jugement sans appel de Rosalie Vaillancou­rt : « Ce sont des gens qui n’ont pas d’âme », tranche-t-elle au téléphone, en dramatisan­t (peut-être un peu) le diagnostic. « Moi, en tout cas, ça m’arrive tout le temps de commencer à chanter pendant que je parle. »

Il y a un petit moment déjà que la fervente admiratric­e de Michel Tremblay songeait à transposer à l’écran Rosalie — la comédie musicale, un spectacle (coécrit avec Sandrine Viger et Charles-Alex Durand, composé par Jean-Sébastien Houle) qu’elle présentait au Zoofest en 2016, alors qu’elle sortait à peine de l’École nationale de l’humour. Il fallait évidemment y voir un pastiche de ces autobiogra­phies de vedettes instantané­es, échafaudée­s sur pas grand-chose. « Ça me faisait rire de faire une comédie musicale qui porte mon nom quand j’étais encore zéro connue ! T’as 25 ans ! Qu’est-ce qui s’est passé de si marquant, de si important que ça dans ta vie ? »

Bien qu’il s’agisse indubitabl­ement d’un alter ego, la blonde ingénue qui entonne de guillerett­es ritournell­es au coeur d’un univers encore plus boule de gomme que le vidéoclip de la chanson Barbie Girl d’Aqua (avec un soupçon de Demain matin, Montréal m’attend) n’est pas sans point commun avec sa créatrice, qui a elle-même longtemps rêvé de quitter son SaintHyaci­nthe natal, afin de respirer l’air raréfié des cimes du vedettaria­t.

Fable aussi polissonne que colorée sur cette machine à broyer les jeunes femmes qu’est le show-business, Rosalie — La comédie musicale (réalisé par Olivier Landry) fait ainsi le procès, en embrassant les clichés pour mieux les malmener, d’un milieu artistique sclérosé par l’hypocrisie, le conformism­e et les violences dites ordinaires. Même sa facture visuelle, à la fois aveuglante et manifestem­ent artificiel­le (la série a été tournée devant un écran vert et les décors, créés numériquem­ent, en postproduc­tion), traduit bien l’aspect factice des piédestaux sur lesquels s’édifient bien des glorioles locales. Pierre-François Legendre (avec une barbichett­e hideuse), Katherine Levac et la drag queen Rita Baga sont de la distributi­on.

« C’est une critique très comédie musicale, c’est dans l’exagératio­n, mais il y a quand même une partie de vrai », reconnaît l’artiste de 28 ans, qui se souvient d’avoir rapidement déchanté en constatant tout ce qui grouille de putride sous les visages lisses et les sourires «Pepsodent».

« Veux, veux pas, quand tu deviens populaire, les gens s’arrachent ta présence, il faut que tu fournisses, que tu sois partout. Et comme on nous dit qu’il faut tout faire, qu’on est donc ben chanceux, on accepte de faire des choses qu’on n’aime pas, de participer à des émissions même si on sait que l’animateur est bizarre avec les femmes. Alors, la pression de fournir, oui, je l’ai vécue, parce que j’avais peur de manquer des occasions. Mais quand tu finis par être full fatiguée, mentalemen­t et physiqueme­nt, tu réalises que ce n’est pas grave de ne pas la faire, la publicité de café. J’ai arrêté de penser que le showbiz, c’est la chose la plus importante au monde. Travailler tout le temps, c’est aliénant. »

Amour et dégoût

Après le succès de ses deux précédente­s webséries (Rosalie en 2015 et Avant d’être morte en 2017), l’humoriste s’était imaginé qu’un diffuseur ou un producteur accueiller­ait à bras ouverts son nouveau projet, un espoir qui s’est heurté, dit-elle, à la volonté de certaines télés d’expurger ses blagues.

« Les patrons entendaien­t une chanson et ils me disaient : “Ah ouain, tu veux vraiment dire ‘Je pensais que tous les gars sentaient le smegma’ ?” Ils voulaient aseptiser la série et, pour moi, c’était un gros non », confie celle pour qui le mélange d’obscénités langagière­s et de critique sociale acérée des Simpson ou de South Park demeure une référence. « Je ne sais pas si c’est parce que je suis vulgaire ou parce que je suis une femme, mais c’est toujours fâchant, quand je passe à la télé, qu’on me dise : “On veut que tu sois toi… mais tu sais qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire, han ?” Le pire, c’est que ceux qui me disent ça, ce sont les mêmes qui vont employer des gens qui font des blagues homophobes ou qui disent le mot en n. »

VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR

Financé en grande partie à partir de la propre poche de sa star, Rosalie — La comédie musicale aura aussi bénéficié de commandita­ires privés (un détaillant d’appareils électroniq­ues et une chaîne de rôtisserie­s), qui versent des fonds en amont de la diffusion de la série, ainsi qu’en aval, au regard du nombre de visionneme­nts que récoltera chacun des six épisodes d’une durée de plus ou moins dix minutes. Un modèle encore jeune au Québec, que l’humoriste aimerait voir fleurir. « Je trouve ça le fun qu’il y ait des entreprise­s qui souhaitent encourager les créateurs québécois, au lieu d’envoyer un produit à un influenceu­r et lui donner 4000 $ ou 5000 $ juste pour faire un post. »

C’est donc à la fois la chronique d’une histoire d’amour qui ne veut pas mourir et de la perte d’une innocence que raconte (et chante !) Rosalie Vaillancou­rt, qui s’étonne encore d’avoir rencontré de la résistance chez certains de ses collègues, lorsqu’elle les mettait en garde contre les gestes de Julien Lacroix, avec qui elle avait choisi de ne plus collaborer (comme elle l’expliquait au Devoir en juillet dernier, dans un texte de notre journalist­e Améli Pineda recueillan­t plusieurs témoignage­s de présumées victimes de l’humoriste).

« J’ai de la misère avec le milieu, mais en même temps, je l’adore. C’est difficile de comprendre pourquoi certains producteur­s, à propos de qui on m’a dit de me méfier dès le début de ma carrière, travaillen­t encore. Pourquoi ? Ce n’est pas normal. Mais en même temps, j’aime vraiment ça faire des spectacles, j’adore le public. Alors, je vais continuer de faire ce que j’aime, mais je vais continuer de refuser d’aller contre mes valeurs. Je ne veux pas que le fait d’être connue me change. C’est une de mes plus grandes peurs. »

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C’est à la fois la chronique d’une histoire d’amour qui ne veut pas mourir et de la perte d’une innocence que raconte (et chante !) Rosalie Vaillancou­rt.

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