Le Devoir

Une seconde dose qui pourrait se faire attendre

La nouvelle stratégie de vaccinatio­n soulève des questions

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

L’effort de vaccinatio­n contre la COVID19 se poursuit au Québec, alors que la nouvelle stratégie, qui consiste à retarder l’administra­tion de la deuxième dose pour immuniser un plus grand nombre de personnes, soulève des questions. Le ministère de la Santé a fait l’annonce de ce changement de cap la veille du jour de l’An.

Il s’agit d’une bonne nouvelle, selon Benoît Mâsse, professeur et chercheur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Il faut augmenter la cadence, a-t-il dit. On ne peut pas se permettre d’avoir 80 000 doses dans des congélateu­rs au Québec, surtout avec les décisions déchirante­s qu’on a à prendre parce qu’on n’a pas le contrôle de cette deuxième vague-là. »

La nouvelle a également été bien accueillie par deux des trois partis d’opposition. « Le gouverneme­nt a bien fait de suivre les recommanda­tions du Comité sur l’immunisati­on du Québec », a dit le co-porte-parole solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois. « La transparen­ce au sujet de la campagne de vaccinatio­n doit être totale, il faut que le gouverneme­nt suive à la lettre les avis des experts de la Santé publique. »

« On ne peut pas être négligent dans la deuxième dose, c’est une évidence », a constaté le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon. Il présume que les experts de la Santé publique sont « très confiants » et « qu’ils ont vérifié la disponibil­ité des deuxièmes doses dans un délai raisonnabl­e ».

« En d’autres mots, si les gens reçoivent leur deuxième dose au 24e jour, tout le monde va convenir que le risque est très faible, mais il ne faudrait pas qu’ils reçoivent la deuxième dose dans six mois », a-t-il ajouté.

Six mois, peut-être pas… mais trois mois, c’est possible. Le Québec attend

On ne peut pas se permettre d’avoir 80 000 doses dans des congélateu­rs au Québec, surtout avec les décisions déchirante­s qu’on a à prendre parce qu’on n’a pas le contrôle de cette »

deuxième vague-là BENOÎT MÂSSE

1,3 million de doses d’ici la fin mars. Le Comité sur l’immunisati­on du Québec (CIQ) lui a recommandé de toutes les utiliser pour vacciner les personnes qui font partie des six groupes prioritair­es, soit les résidents de CHSLD, les travailleu­rs de la santé, les personnes en résidences privées pour aînés, les résidents de communauté­s isolées et éloignées, les personnes âgées de 80 ans et plus et enfin les septuagéna­ires.

« La 2e dose serait offerte en fonction de la disponibil­ité des vaccins et selon la durée observée de l’efficacité de la 1re dose », écrit le comité dans l’avis publié sur le site de l’Institut national de santé publique, qui suivra la situation de près.

« Je suis un peu surpris qu’ils attendent aussi longtemps pour redonner la deuxième dose, s’est étonné Benoît Mâsse. Avec un vaccin qui est moins efficace, il faut tenir des mesures de confinemen­t partielles plus longtemps. »

Deux doses par personne, administré­es dans un intervalle de 21 jours sont nécessaire­s pour que le vaccin de PfizerBioN­Tech soit pleinement efficace. Ce délai est de 28 jours pour le vaccin de Moderna. Ces deux vaccins ont une efficacité de plus de 90 %, 14 jours après la première dose. Or, la durée de cette immunité demeure une grande inconnue, et la seconde dose sert surtout à la prolonger.

Le Royaume-Uni a adopté la même stratégie que le Québec la semaine dernière en utilisant toutes ses doses. L’Allemagne et le Danemark y songent, mais pas les États-Unis. En entrevue à CNN le 1er janvier, le Dr Anthony Fauci, qui supervise la lutte contre la COVID-19 en sol américain, a dit qu’il était en désaccord

avec cette approche et qu’il valait mieux suivre les recommanda­tions des fabricants.

Le Québec dispose depuis la semaine dernière d’un total de 87 500 doses — 55 000 de Pfizer-BioNTech, 32 500 de Moderna — et attend d’autres livraisons au cours des prochaines semaines.

Quelque 1711 doses ont été administré­es selon le bilan publié par le gouverneme­nt lundi, ce qui porte leur nombre total à 30 473 depuis le 14 décembre. Les doses qu’il gardait en réserve la semaine dernière ont été acheminées aux sites de vaccinatio­n. « Nous [avons bon espoir] que le rythme soutenu que nous avons maintenu dès le départ de l’opération sera au rendez-vous cette semaine », a indiqué l’attachée de presse du ministre de la Santé, Christian Dubé.

Des renforts en attente

Il ne semble pas, par ailleurs, que le gouverneme­nt manque de personnel pour donner le vaccin puisque certains profession­nels attendent toujours qu’on les sollicite pour apporter leur aide. « On est sur la ligne de départ, on attend le go », expliquait lundi le président de l’Ordre des physiothér­apeutes, Denis Pelletier.

Avec le délestage dans les hôpitaux et l’annulation de nombreuses chirurgies, « des milliers » de physiothér­apeutes du réseau public sont désormais disponible­s pour venir prêter main-forte à l’opération de vaccinatio­n, selon ses estimation­s.

Il leur est déjà possible de s’inscrire sur la plateforme « Je contribue » pour offrir leurs services, mais le président de l’Ordre attend le signal du ministère pour les mobiliser en grand nombre.

Avec les dentistes, les orthophoni­stes et plusieurs autres, les physiothér­apeutes font partie des profession­nels désormais autorisés à donner des vaccins en vertu d’un décret adopté au début du mois de décembre.

Afin de les préparer, le ministère de la Santé a mis en ligne à la mi-décembre un parcours de formation, mais les porteparol­e du ministère n’étaient pas en mesure de dire, ces derniers jours, combien de personnes pourraient ainsi être recrutées.

Avec un vaccin qui est moins efficace, il faut tenir des mesures de confinemen­t partielles plus longtemps

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