Le Devoir

L’accord peut-il encore être sauvé ?

Le pays a repris l’enrichisse­ment d’uranium à hauteur de 20 %

- NUCLÉAIRE IRANIEN ANNE BEADE À VIENNE AGENCE FRANCE-PRESSE

La reprise par l’Iran de l’enrichisse­ment d’uranium à hauteur de 20 % fragilise toujours plus l’accord sur le nucléaire iranien signé à Vienne en 2015, après les nombreuses entorses de ces deux dernières années.

Cette décision est cependant « réversible », laissant donc une marge de manoeuvre, bien qu’étroite, aux grandes puissances impliquées dans ce dossier, selon des experts interrogés par l’AFP. L’Iran a désormais repris ses activités d’enrichisse­ment au taux pratiqué avant la signature de l’accord : c’est le désengagem­ent le plus grave depuis le retrait des États-Unis en 2018 et le rétablisse­ment de sanctions.

Toutefois, il laisse les inspecteur­s de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA) faire leur travail pour s’assurer de la nature pacifique de son programme. Le gouverneme­nt n’a pas pour l’heure ordonné l’arrêt de ces vérificati­ons, même si le Parlement iranien dominé par les conservate­urs en a récemment fait la requête.

Et à 20 %, on est loin du niveau requis de 90 % pour fabriquer une bombe. Ellie Geranmayeh, du Conseil européen des relations internatio­nales, appelle à ne pas dramatiser.

« C’est préoccupan­t, mais l’Iran aurait pu prendre des mesures bien plus provocatri­ces », affirme-t-elle. Selon elle, il s’agit surtout d’une « réponse » à « la pression croissante qu’exerce le gouverneme­nt Trump ».

Le gouverneme­nt iranien doit aussi donner des gages aux partisans d’une ligne dure face à Washington.

Ces derniers en appellent à la « vengeance », après l’assassinat par les ÉtatsUnis il y a un an du général Qassem Soleimani, puis l’attentat ayant récemment visé un physicien nucléaire, que Téhéran a attribué à Israël.

Que reste-t-il des engagement­s passés ?

En 2019, l’Iran a commencé à dépasser la limite autorisée des 300 kilogramme­s d’uranium (équivalent UF6) faiblement enrichi. Selon le dernier rapport de l’AIEA publié en novembre, le stock accumulé dépasse désormais douze fois ce plafond.

La même année, le pays a relancé les activités d’enrichisse­ment dans l’usine de Fordo (180 km au sud de Téhéran).

Début 2020, il a décidé d’augmenter le nombre de ses centrifuge­uses : elles sont passées de 5060 en 2015 à quelque 6400 aujourd’hui.

Téhéran a en outre mis en service des machines de technologi­e avancée proscrites par l’accord sur son important site de Natanz (centre).

Culminant avec le processus d’enrichisse­ment à 20 %, ces mesures rapprochen­t un peu plus la République islamique de la bombe, qu’elle a toujours

Selon Ellie Geranmayeh, du Conseil européen des relations internatio­nales, il s’agit surtout d’une réponse à la pression croissante qu’exerce le gouverneme­nt Trump

nié vouloir assembler, même si l’AIEA avait établi le contraire en 2011.

« Les tensions de ces derniers jours montrent à quel point l’accord se trouve sur le fil du rasoir », souligne Naysan Rafati, analyste de l’Internatio­nal Crisis Group.

Les pays signataire­s (Allemagne, Chine, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni) en ont bien conscience, et l’UE a promis mardi de « redoubler d’efforts » pour préserver ce pacte malgré la décision « regrettabl­e » des autorités iraniennes.

Tous les espoirs reposent sur les épaules du nouveau président américain, Joe Biden, investi le 20 janvier, si les tensions ne dégénèrent pas d’ici la fin du mandat de Donald Trump.

« Par sa dernière action, l’Iran envoie un message à Biden et aux capitales européenne­s, pour signaler qu’il ne restera pas les bras croisés » et qu’il faut résoudre « la dispute nucléaire de manière urgente », décrypte Mme Geranmayeh.

« Le temps presse », poursuit-elle, « au vu de l’impact majeur des sanctions américaine­s et des conséquenc­es économique­s de la pandémie de COVID-19, sans oublier l’élection présidenti­elle qui approche » en Iran.

Négocier un nouvel accord ?

« Il n’est pas forcément nécessaire de repartir sur un tout nouvel accord, estime M. Rafati. À la fois l’équipe de Joe Biden et les Iraniens peuvent utiliser le texte qui existe déjà comme base initiale pour désamorcer le conflit. »

Le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, avait plaidé début décembre pour un « accord nucléaire plus », qui interdirai­t le développem­ent d’armes nucléaires, mais aussi les fusées balistique­s « menaçant toute la région ».

« Les dirigeants iraniens ont rejeté l’idée d’une renégociat­ion du JCPOA, mais ils n’ont pas fermé la porte à des discussion­s plus larges une fois l’accord nucléaire stabilisé », indique Ellie Geranmayeh.

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