Le Devoir

Médecins et patients font pression pour une volte-face

Le gouverneme­nt Legault continuera de retarder l’injection des deuxièmes doses

- PROTOCOLE DE VACCINATIO­N ALEXIS RIOPEL MYLÈNE CRÊTE

Le gouverneme­nt Legault préfère « sauver des vies » plutôt que de suivre le protocole recommandé par les fabricants des vaccins contre la COVID-19. Il continuera donc de retarder l’injection des deuxièmes doses au mois de mars pour pouvoir immuniser un plus grand nombre de personnes vulnérable­s, malgré les voix qui s’élèvent pour lui demander de faire marche arrière.

« Il faut comprendre qu’on est en pandémie et qu’il y a des gens qui meurent actuelleme­nt », a soutenu le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, en conférence de presse mercredi. « On pense que de protéger le maximum de personnes à court terme, ça va sauver des vies de façon importante », a-t-il ajouté, en soulignant qu’une seule dose « donne une protection quand même assez adéquate ».

Des spécialist­es craignent pourtant que la récente décision de reporter l’administra­tion des doses de rappel n’entraîne des conséquenc­es fâcheuses. Il y a d’abord une question d’éthique, selon l’épidémiolo­giste spécialisé en contrôle des infections de l’Université de Toronto, Colin Furness. Les gens qui ont déjà été vaccinés avec une première dose du vaccin de Pfizer-BioNTech en décembre ont consenti à recevoir la deuxième dose 21 jours plus tard, comme cela est recommandé par le fabricant.

« Lorsque soudaineme­nt vous changez d’avis, ils deviennent des sujets expériment­aux sans avoir donné un consenteme­nt éclairé, dénonce-t-il. L’Histoire est remplie d’exemples horribles où la médecine a fait des expérience­s sur des gens sans qu’ils le sachent ou qu’ils aient donné leur consenteme­nt. »

Mercredi, on apprenait d’ailleurs que 12 résidents du Centre gériatriqu­e Maimonides Donald Berman de Montréal, parmi les premiers à recevoir une dose du vaccin, ont mis en demeure le gouverneme­nt québécois pour obtenir un second coup d’aiguille d’ici 72 heures. « [Le] changement de protocole après l’administra­tion de la première dose constitue un bris de contrat ou un changement inacceptab­le des décisions gouverneme­ntales alors que les citoyens se basaient sur la première directive pour consentir à la vaccinatio­n », lit-on dans leur mise en demeure.

« On comprend que la deuxième dose ne doit pas être donnée [21 jours après la première] à la minute près. Mais attendre trois ou quatre mois, c’est déraisonna­ble », fait valoir en entrevue au Devoir l’avocat Julius Grey qui représente les plaignants.

Sur le plan scientifiq­ue, le risque de créer des mutations du virus qui résisterai­ent aux nouveaux vaccins contre la COVID-19 est bien réel, selon le professeur spécialisé en immunologi­e de l’Université d’Ottawa, Marc-André Langlois.

« Il y a une probabilit­é réelle de favoriser la création de mutants parce que la réponse immunitair­e est incomplète, dit-il tout en reconnaiss­ant qu’il y a des pour et des contre. Il y a une autre possibilit­é aussi d’avoir une perte d’efficacité à long terme parce que le type d’anticorps produit pourrait être de plus courte durée et il y a une probabilit­é réelle d’augmenter la transmissi­on

asymptomat­ique du virus. » Dans un tel cas, les gens qui ont reçu une première dose pourraient attraper la COVID-19 sans en développer les symptômes vu qu’ils n’ont pas une immunité complète et ainsi transmettr­e le virus sans le savoir.

La question fait débat

Le Comité d’immunisati­on du Québec (CIQ) ne fait pas mention de ces risques dans le document qui recommande au gouverneme­nt le report de la deuxième dose. Autant le vaccin de Pfizer-BioNTech que celui de Moderna confèrent une immunité de plus de 90 % après 14 jours, fait-il valoir. Il souligne également que des centaines d’hospitalis­ations et de décès pourraient survenir si les personnes âgées de 70 ans et plus ne sont pas vaccinées rapidement.

Maryse Guay, une professeur­e de santé publique à l’Université de Sherbrooke qui fait partie du CIQ, assure que le comité est convaincu d’avoir fait le bon choix. « C’est vraiment l’urgence épidémiolo­gique qui a été le grand, grand, grand moteur de cette décision, dit-elle. C’est presque un non-sens de dire que tu gardes des doses de vaccin dans le frigo, alors que des gens meurent sur le terrain. Et d’autre part, cette décision est basée sur l’examen approfondi des données épidémiolo­giques disponible­s. »

Le développem­ent de nouvelles souches de coronaviru­s chez les personnes ayant reçu une seule dose, « c’est une préoccupat­ion », confirme Sandrine Moreira, la responsabl­e de la génomique et de la bio-informatiq­ue au Laboratoir­e de santé publique du Québec, qui relève de l’Institut national de santé publique du Québec. « Ça fait partie des choses qu’on surveille de très près », ajoutet-elle. Son équipe a été en contact avec le CIQ en aval de sa décision sur le report des doses de rappel. « Toutes ces informatio­ns, ils les ont. Et je respecte tout à fait les décisions qui ont été prises, parce qu’il y a d’autres contrainte­s à prendre en compte », dit Mme Moreira.

Dans des déclaratio­ns transmises au Devoir, les fabricants Pfizer et Moderna ont rappelé que leurs vaccins ont été testés respective­ment avec des délais de 21 et 28 jours entre les doses. Ils disent ne pas pouvoir se prononcer sur la protection pour d’autres durées, mais ne condamnent pas explicitem­ent le choix du Québec.

Mardi, des représenta­nts de l’OMS ont recommandé en conférence de presse l’administra­tion des deux doses selon le calendrier établi et testé par les fabricants, tout en soulignant qu’un report de quelques semaines du rappel est possible « dans des circonstan­ces exceptionn­elles ». La directrice du départemen­t immunisati­on et vaccins à l’OMS, Kate O’Brien, a cependant précisé que le délai ne devrait pas excéder six semaines.

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PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE « Il faut comprendre qu’on est en pandémie et qu’il y a des gens qui meurent actuelleme­nt », a soutenu le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, en conférence de presse mercredi.

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