Médecins et patients font pression pour une volte-face
Le gouvernement Legault continuera de retarder l’injection des deuxièmes doses
Le gouvernement Legault préfère « sauver des vies » plutôt que de suivre le protocole recommandé par les fabricants des vaccins contre la COVID-19. Il continuera donc de retarder l’injection des deuxièmes doses au mois de mars pour pouvoir immuniser un plus grand nombre de personnes vulnérables, malgré les voix qui s’élèvent pour lui demander de faire marche arrière.
« Il faut comprendre qu’on est en pandémie et qu’il y a des gens qui meurent actuellement », a soutenu le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, en conférence de presse mercredi. « On pense que de protéger le maximum de personnes à court terme, ça va sauver des vies de façon importante », a-t-il ajouté, en soulignant qu’une seule dose « donne une protection quand même assez adéquate ».
Des spécialistes craignent pourtant que la récente décision de reporter l’administration des doses de rappel n’entraîne des conséquences fâcheuses. Il y a d’abord une question d’éthique, selon l’épidémiologiste spécialisé en contrôle des infections de l’Université de Toronto, Colin Furness. Les gens qui ont déjà été vaccinés avec une première dose du vaccin de Pfizer-BioNTech en décembre ont consenti à recevoir la deuxième dose 21 jours plus tard, comme cela est recommandé par le fabricant.
« Lorsque soudainement vous changez d’avis, ils deviennent des sujets expérimentaux sans avoir donné un consentement éclairé, dénonce-t-il. L’Histoire est remplie d’exemples horribles où la médecine a fait des expériences sur des gens sans qu’ils le sachent ou qu’ils aient donné leur consentement. »
Mercredi, on apprenait d’ailleurs que 12 résidents du Centre gériatrique Maimonides Donald Berman de Montréal, parmi les premiers à recevoir une dose du vaccin, ont mis en demeure le gouvernement québécois pour obtenir un second coup d’aiguille d’ici 72 heures. « [Le] changement de protocole après l’administration de la première dose constitue un bris de contrat ou un changement inacceptable des décisions gouvernementales alors que les citoyens se basaient sur la première directive pour consentir à la vaccination », lit-on dans leur mise en demeure.
« On comprend que la deuxième dose ne doit pas être donnée [21 jours après la première] à la minute près. Mais attendre trois ou quatre mois, c’est déraisonnable », fait valoir en entrevue au Devoir l’avocat Julius Grey qui représente les plaignants.
Sur le plan scientifique, le risque de créer des mutations du virus qui résisteraient aux nouveaux vaccins contre la COVID-19 est bien réel, selon le professeur spécialisé en immunologie de l’Université d’Ottawa, Marc-André Langlois.
« Il y a une probabilité réelle de favoriser la création de mutants parce que la réponse immunitaire est incomplète, dit-il tout en reconnaissant qu’il y a des pour et des contre. Il y a une autre possibilité aussi d’avoir une perte d’efficacité à long terme parce que le type d’anticorps produit pourrait être de plus courte durée et il y a une probabilité réelle d’augmenter la transmission
asymptomatique du virus. » Dans un tel cas, les gens qui ont reçu une première dose pourraient attraper la COVID-19 sans en développer les symptômes vu qu’ils n’ont pas une immunité complète et ainsi transmettre le virus sans le savoir.
La question fait débat
Le Comité d’immunisation du Québec (CIQ) ne fait pas mention de ces risques dans le document qui recommande au gouvernement le report de la deuxième dose. Autant le vaccin de Pfizer-BioNTech que celui de Moderna confèrent une immunité de plus de 90 % après 14 jours, fait-il valoir. Il souligne également que des centaines d’hospitalisations et de décès pourraient survenir si les personnes âgées de 70 ans et plus ne sont pas vaccinées rapidement.
Maryse Guay, une professeure de santé publique à l’Université de Sherbrooke qui fait partie du CIQ, assure que le comité est convaincu d’avoir fait le bon choix. « C’est vraiment l’urgence épidémiologique qui a été le grand, grand, grand moteur de cette décision, dit-elle. C’est presque un non-sens de dire que tu gardes des doses de vaccin dans le frigo, alors que des gens meurent sur le terrain. Et d’autre part, cette décision est basée sur l’examen approfondi des données épidémiologiques disponibles. »
Le développement de nouvelles souches de coronavirus chez les personnes ayant reçu une seule dose, « c’est une préoccupation », confirme Sandrine Moreira, la responsable de la génomique et de la bio-informatique au Laboratoire de santé publique du Québec, qui relève de l’Institut national de santé publique du Québec. « Ça fait partie des choses qu’on surveille de très près », ajoutet-elle. Son équipe a été en contact avec le CIQ en aval de sa décision sur le report des doses de rappel. « Toutes ces informations, ils les ont. Et je respecte tout à fait les décisions qui ont été prises, parce qu’il y a d’autres contraintes à prendre en compte », dit Mme Moreira.
Dans des déclarations transmises au Devoir, les fabricants Pfizer et Moderna ont rappelé que leurs vaccins ont été testés respectivement avec des délais de 21 et 28 jours entre les doses. Ils disent ne pas pouvoir se prononcer sur la protection pour d’autres durées, mais ne condamnent pas explicitement le choix du Québec.
Mardi, des représentants de l’OMS ont recommandé en conférence de presse l’administration des deux doses selon le calendrier établi et testé par les fabricants, tout en soulignant qu’un report de quelques semaines du rappel est possible « dans des circonstances exceptionnelles ». La directrice du département immunisation et vaccins à l’OMS, Kate O’Brien, a cependant précisé que le délai ne devrait pas excéder six semaines.