Le Devoir

Garder Julian Assange en prison est inhumain, selon la juriste Eva Joly

Pour l’avocate, la décision de la justice britanniqu­e menace la vie du lanceur d’alerte

- FABIEN DEGLISE

L’avocate française Eva Joly a critiqué mercredi la décision de la justice britanniqu­e de ne pas accorder une libération conditionn­elle à Julian Assange, estimant que le geste fait peser désormais une menace importante sur la vie du lanceur d’alerte.

« C’est un traitement inhumain qui continue pour Julian Assange, a indiqué la juriste en entrevue au Devoir. Le risque suicidaire a été un argument pour rejeter la demande d’extraditio­n aux États-Unis. Il aurait dû être aussi un motif valable à sa libération conditionn­elle », a indiqué Mme Joly, qui a travaillé avec M. Assange en Islande en 2009 sur la création d’un paradis de l’informatio­n dans ce pays afin d’y protéger la pratique du journalism­e d’enquête. Elle est devenue depuis une de ses fidèles alliés.

Mercredi, le tribunal britanniqu­e, qui, en début de semaine, a rejeté la demande d’extraditio­n de Julian Assange vers les États-Unis, a refusé, dans la foulée, de lui accorder la libération sous caution que l’homme de 49 ans réclamait. La juge Vanessa Baraitser a justifié sa décision en invoquant « des motifs sérieux de croire que si M. Assange était libéré aujourd’hui, il ne se rendrait pas au tribunal pour faire face » aux procédures en cours. Elle a souligné également le fait que le lanceur d’alerte s’était illustré dans le passé pour avoir « bafoué » les ordonnance­s de la justice.

L’offre d’asile politique

Pour la représenta­nte de l’accusation, Clair Dobbin, Julian Assange « se considère comme étant au-dessus des lois » et a les « ressources » nécessaire­s pour fuir. Elle a mis en avant l’offre d’asile politique formulée par le Mexique au début de la semaine, en marge de la décision de la justice sur son extraditio­n.

« Je ne crois pas que l’on soit devant une analyse juridique sérieuse, a dit Eva Joly, mais plutôt devant une emprise des Américains sur le Parquet britanniqu­e. » Les États-Unis, qui souhaitent juger Assange pour les fuites d’informatio­ns secrètes orchestrée­s par son site WikiLeaks entre 2010 et 2011, ont annoncé vouloir porter en appel le refus de son extraditio­n par la justice britanniqu­e. En le maintenant en détention, la juge dit faire preuve « d’équité », pour permettre aux « États-Unis de contester [sa] décision ».

« On peut craindre que le délai pour entendre cet appel soit long, a dit Mme Joly. Et aujourd’hui, tout ce que l’on peut espérer, c’est que Julian Assange ne mette pas fin à ses jours avant cette prochaine audience. »

Les conditions de détention de Julian Assange depuis 18 mois dans un pénitencie­r à haute sécurité de Londres ont été vivement dénoncées par le rapporteur de l’ONU sur la torture Nils Melzer. Lors de l’audience pour son extraditio­n, un psychiatre a jugé « très élevés » les risques de suicide du lanceur d’alerte qui, avant son arrestatio­n en 2019, a vécu sept ans reclus dans l’ambassade de l’Équateur à Londres. Pour la juge, la santé mentale de M. Assange est toutefois correcteme­nt prise en charge par les autorités pénitentia­ires britanniqu­es.

« Nous voulons que ça se termine, mais nous sommes sûrs que la justice prévaudra », a déclaré à la sortie du tribunal le rédacteur en chef de WikiLeaks, le journalist­e islandais Kristinn Hrafnsson.

Déception

« C’est une immense déception », a dit la conjointe du lanceur d’alerte, l’avocate Stella Morris, avec qui Julian Assange a eu deux enfants. Elle a de nouveau appelé le départemen­t américain de la Justice à « abandonner les poursuites » contre son compagnon et le président des États-Unis, Donald Trump, à le « gracier ».

Julian Assange risque une peine pouvant atteindre 175 ans de prison aux États-Unis pour avoir diffusé entre 2010 et 2011 plus de 700 000 documents secrets révélant des activités militaires et diplomatiq­ues américaine­s, notamment en Irak et en Afghanista­n.

Pour Mme Joly, l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche suscite « l’espoir » que les procédures d’extraditio­n puissent être suspendues.

Je ne crois pas que l’on soit devant une analyse juridique sérieuse, mais plutôt devant une emprise des Américains sur le » Parquet britanniqu­e

EVA JOLY

 ?? ELIZABETH COOK ASSOCIATED PRESS ?? Une illustrati­on montre Julian Assange (au centre) à la cour de Westminste­r, mercredi à Londres.
ELIZABETH COOK ASSOCIATED PRESS Une illustrati­on montre Julian Assange (au centre) à la cour de Westminste­r, mercredi à Londres.
 ?? YUI MOK ASSOCIATED PRESS ?? La conjointe de Julian Assange, Stella Moris, en mêlée de presse après que le lanceur d’alerte eut été exclu d’une libération conditionn­elle, mercredi.
YUI MOK ASSOCIATED PRESS La conjointe de Julian Assange, Stella Moris, en mêlée de presse après que le lanceur d’alerte eut été exclu d’une libération conditionn­elle, mercredi.

Newspapers in French

Newspapers from Canada