Le Devoir

Québec ignore le nombre de places disponible­s pour les sans-abri

- MARIE-MICHÈLE SIOUI ET GUILLAUME LEPAGE À QUÉBEC ET À MONTRÉAL Avec Jeanne Corriveau

Bien que le premier ministre, François Legault, ait affirmé mercredi qu’« il y a assez de places disponible­s » dans les refuges au Québec pour accueillir tous les sans-abri à la tombée du couvre-feu, le gouverneme­nt ne possède pas de chiffres lui permettant d’appuyer ses prétention­s.

Ni le cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, ni le ministère de la Santé n’ont en main un décompte des places leur permettant d’affirmer que tous les sans-abri du Québec qui le souhaitent pourront passer la nuit à l’intérieur.

« Nous ne possédons pas ce niveau de détails », a fait savoir le ministère. Le bureau du premier ministre arenvoyé Le Devoir au cabinet Carmant qui a affirmé qu’il « reste de la place présenteme­nt dans les refuges et haltes-chaleur pour recevoir les personnes itinérante­s ». « Advenant qu’il y aurait une demande dépassant la capacité d’accueil actuelle, nous travaillon­s à trouver des solutions pouvant être mises en place rapidement », a ajouté l’attachée de presse du ministre, Marie Barrette.

Québec n’a pas fait d’exception pour les itinérants quant à l’applicatio­n de son couvre-feu, mais la « tolérance » des corps policiers sera de mise, a assuré jeudi la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, en répétant que des places en refuge sont « disponible­s actuelleme­nt ».

« L’idée, c’est vraiment plus de les accompagne­r, de trouver une solution pour qu’ils puissent avoir un endroit où se réfugier, et non de leur donner des contravent­ions un peu dans le vide, qui ne règle pas le problème à la source », a-t-elle ajouté.

Le Service de police de la Ville de Montréal a quant à lui avisé les médias de son intention de « privilégie­r » une « approche préventive et adaptée » auprès des personnes en situation de vulnérabil­ité, « au regard des limites associées à la judiciaris­ation dans certaines circonstan­ces ».

Montréal inquiète

À Montréal, des sources rapportent au Devoir que des représenta­nts de la Ville ont fait pression — et le font toujours — auprès de Québec afin de sensibilis­er le gouverneme­nt aux questions liées à l’itinérance. « Ce n’est pas notre décret. On va s’arranger. […] Il ne faut pas ajouter davantage de difficulté­s au réseau des organismes en itinérance, qui doivent gérer la situation », a fait valoir une source.

L’attachée de presse de la mairesse Valérie Plante, Laurence Houde-Roy, a confirmé que Montréal avait soulevé la question de l’itinérance dans ses discussion­s avec Québec « dès mardi ». Malgré les « centaines de places » ajoutées en refuge et les haltes-chaleur pour l’hiver, les besoins demeurent « grandissan­ts et nécessiten­t des ressources supplément­aires », d’autant que la pandémie a « exacerbé les inégalités sociales », a-t-elle ajouté.

À Montréal, 1650 places en refuge devaient être mises à la dispositio­n des personnes itinérante­s, en vertu du plan d’aide dévoilé en octobre. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-deMontréal, qui reçoit la part du lion, a confirmé jeudi que 1366 places sont disponible­s et que 150 autres devraient être créées sous peu.

Le nombre est insuffisan­t pour répondre à la demande : selon le dénombreme­nt de 2018, près de 3000 personnes étaient en situation d’itinérance « visible » dans la métropole.

« Pas au courant de la réalité »

Les propos du premier ministre au sujet du nombre de places en hébergemen­t sont apparus à ce point déconnecté­s de la réalité qu’ils ont fait rire Nathalie Giguère, du Programme d’encadremen­t clinique et d’hébergemen­t (PECH). « M. Legault vient de décider qu’il n’y avait plus d’itinérance au Québec ! » a-t-elle dit avec ironie. « J’ai trouvé ça vraiment drôle. […] Je trouvais tellement que sa réponse manquait de fini… Il aurait pu dire : “Oui, on est soucieux de ça, on va faire des plans d’action.” Il a comme balayé du revers de la main cette problémati­que-là. »

Son collègue et directeur général de PECH, Benoit Côté, estime que le premier ministre a fait des raccourcis. « Je ne sais pas comment on peut interpréte­r aussi clairement que ça qu’il n’y a pas un itinérant qui va dormir dehors au Québec. C’est difficile pour moi de suivre », a-t-il déclaré.

« Dans les faits, manifestem­ent, quand M. Legault a dit ça, il n’était pas au courant de la réalité », a aussi déclaré Maxime Couillard, du Regroupeme­nt pour l’aide aux itinérants du Québec. Dans la ville de Québec, où il travaille, 156 places d’hébergemen­t d’urgence sont actuelleme­nt disponible­s, bien que 550 personnes itinérante­s aient été officielle­ment recensées en 2018. Le manque de places existait avant la pandémie : au YWCA de Québec, en 2018 et 2019, entre quatre et six femmes étaient refusées chaque soir, en moyenne, faute d’espace pour les accueillir.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Selon le dénombreme­nt de 2018, près de 3000 personnes étaient en situation d’itinérance « visible » à Montréal.

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