Pourquoi tant de temps pour vacciner ?
Ottawa et Québec s’accusent mutuellement de retarder la campagne de vaccination contre la COVID-19. François Paradis, président de l’Association des pharmaciens d’établissements du Québec et membre d’une table de concertation sur la logistique vaccinale, explique la réalité vécue sur le terrain. Propos recueillis par Isabelle Paré.
La vaccination se déroule-t-elle assez vite au Québec ?
Les débuts sont lents, car il faut faire les choses correctement. Il y a eu des retards de réception, mais aussi des contraintes. La chaîne logistique est imposante, car les deux vaccins ont des directives d’utilisation et les modalités de conservation très différentes. La préoccupation constante demeure de ne pas perdre de doses, et le risque d’en perdre est réel si on va trop vite. Il est clair que nous allons prendre une vitesse de croisière quand le nombre de sites de vaccination va augmenter.
Ottawa a-t-il raison de dire que le Québec tarde à distribuer les doses reçues ?
On vise à distribuer les doses de vaccin dans les 24 heures suivant leur réception. Quand les doses arrivent au Québec à un site, elles sont redistribuées en région. On est en train de raffiner la logistique du transport pour pouvoir vacciner dès réception. Durant les Fêtes, des réunions regroupant chacun des CISSS et CIUSSS et notamment des représentants de la Santé publique et des pharmaciens d’établissement ont eu lieu pour déterminer quels seraient les lieux de dépôt dans chaque région. Oui, il y a eu des retards de réception, mais aussi des contraintes dues à des éclosions dans certains établissements. Des régions n’avaient pas de congélateur à -70 degrés pour recevoir le vaccin de Pfizer-BioNTech, elles en ont maintenant. Il a fallu composer avec les exigences de la compagnie et un grand territoire, où les patients sont parfois situés à des dizaines de kilomètres de lieux de dépôt des vaccins.
Pourquoi la logistique liée au vaccin Pfizer/BioNTech est-elle si complexe ?
La compagnie exige que les doses, conservées à -70 degrés, ne soient plus déplacées une fois reçues, ce qui oblige à déterminer avec acuité où installer le congélateur sur le territoire pour pouvoir rejoindre le plus de gens possible. Chaque CIUSSS et chaque CISSS ont dû faire cette démarche. En région, la marge de manoeuvre est mince, car les congélateurs ne peuvent être installés dans de petits CHSLD (où peu de vaccins seront écoulés), mais seulement là où les clientèles prioritaires pourront se rendre sur rendez-vous, dans un délai limité. On travaille avec un vaccin relativement fragile.
Pourquoi ces doses, transportées depuis l’aéroport, ne peuvent-elles plus être déplacées une fois qu’elles sont distribuées sur le territoire ?
Les directives pourraient changer, mais pour l’instant c’est une exigence de la compagnie pour garantir la qualité et l’efficacité du vaccin. Il faut préserver la chaîne de froid à -70 degrés. Si un congélo se réchauffe, on doit tout arrêter et contacter la compagnie pour savoir si on peut procéder. C’est arrivé. Avec seulement 5-6 doses par fioles pour Pfizer, il faut placer le congélo dans le CHSLD le plus approprié, et appeler sur rendezvous le personnel avec les doses excédentaires à cet endroit donné.
L’arrivée du vaccin de Moderna facilitera-t-elle les choses ?
Le vaccin de Moderna, qui exige une conservation à -20 degrés, peut être transporté dans une simple glacière munie de paquets réfrigérants. Avec des fioles de 10 doses chacune, on peut se rendre dans un petit CHSLD de 100 résidents avec des équipes volantes. On peut circuler avec les vaccins s’ils sont administrés la journée même. Ainsi, il sera plus facile d’accroître le nombre de sites de vaccination et le nombre de vaccins administrés. Avec Moderna, la livraison est arrivée plus vite que prévu. Dès le 11 janvier, on s’attend à une arrivée plus soutenue et plus rapide du nombre de doses.
Quel est le plus grand défi rencontré jusqu’ici ?
Il faut être prêt à vivre avec l’incertitude et refaire les plans à tout moment, car les directives et les pratiques évoluent. Au début, il fallait garder les 2es doses, et cela a changé le 31 décembre, puisque l’on considère qu’une seule dose induit une immunité satisfaisante. Il a fallu revoir tous les plans. Il y a aussi des enjeux de personnel (pour vacciner) dans certaines régions.