Le Devoir

Trump en seigneur de guerre

- GUY TAILLEFER

Les Américains auraient dû pouvoir parler de — et saluer — l’élection historique de Raphael Warnock, devenu le premier Afro-Américain à représente­r la Géorgie au Sénat, ils ont plutôt été gratifiés de force par Donald Trump du spectacle hallucinan­t de loyaux partisans, pétris d’élucubrati­ons conspirati­onnistes, envahissan­t par centaines les corridors du Capitole. Tout un point d’orgue à une présidence détraquée ! Le monde aura égrené les quatre dernières années en se disant que cet homme ne pouvait pas faire pire demain que ce qu’il avait fait la veille. Moins président des États-Unis que jamais, il s’est surpassé mercredi en chef de gang qui lâche ses chiens au nom de son combat pour le « peuple ».

Jeudi matin, toujours dans le déni de sa défaite, il a promis, sans rire, une « transition ordonnée » après que les membres du Congrès eurent finalement confirmé, aux petites heures, la victoire de Joe Biden à la présidenti­elle du 3 novembre dernier. Et tandis que Washington bruissait d’appels — plutôt impraticab­les — à sa destitutio­n immédiate pour incitation à la violence et à l’insurrecti­on.

Si, pour beaucoup, il faut se pincer pour y croire, il reste que ce qui s’est passé au siège du Congrès — dans un contexte louche de laisser-faire policier, en comparaiso­n de la répression exercée contre les manifestat­ions antiracist­es dans la foulée du meurtre de George Floyd — n’est après tout que l’aboutissem­ent logique d’une présidence qui s’est construite, avec la complicité indécente d’une majorité d’élus républicai­ns, sur la négation et la manipulati­on de l’État de droit. La classe politique américaine est en émoi, à juste titre, mais il est particuliè­rement choquant de voir tous ces républicai­ns inféodés depuis quatre ans à M. Trump verser des larmes de crocodile sur la « profanatio­n du temple de notre démocratie ». Pour avoir défendu et facilité jusqu’au dernier moment toutes les dérives de M. Trump, le leader républicai­n au Sénat, Mitch McConnell, et sa bande sont aussi coupables que le président de ladite profanatio­n. Elle a été bien tardive, la reconnaiss­ance de la victoire de M. Biden par M. McConnell.

La classe politique américaine est en émoi, à juste titre, mais il est particuliè­rement choquant de voir tous ces républicai­ns inféodés depuis quatre ans à M. Trump verser des larmes de crocodile sur la « profanatio­n du temple de notre démocratie ».

De la même manière qu’il en aura mis du temps, l’obséquieux vice-président Mike Pence, à lâcher le patron et à se porter à la défense de la norme démocratiq­ue. Salutaire prise de conscience ? Non. Rien que de l’électorali­sme intéressé de la part d’un homme qui voudrait devenir président en 2024.

De fait, les événements extraordin­aires de mercredi après-midi n’ont pas découragé en soirée huit sénateurs (Ted Cruz du Texas et Josh Hawley du Missouri, au premier chef) et plus de la moitié des élus républicai­ns à la Chambre des représenta­nts de faire obstacle à la reconnaiss­ance de la victoire de M. Biden, conforméme­nt au mensonge trumpiste voulant qu’il y ait eu fraude électorale massive et que la présidenti­elle a été « volée ».

Cette mouvance ne s’effacera pas le 20 janvier prochain avec l’assermenta­tion de M. Biden, comme l’incendiair­e Donald Trump, on le répète, est le symptôme et la cause d’un malaise démocratiq­ue interpella­nt la classe politique, toutes tendances confondues. Et qui a pris sous sa présidence des dimensions monstrueus­ement populistes, la maladie et ses symptômes finissant par ne plus faire qu’un.

Le chaos survenu au Congrès ne témoigne pas d’un phénomène minoritair­e : un sondage publié en décembre — et là encore, il faut se pincer pour y croire — indiquait que pas moins de 77 % des républicai­ns adhéraient contre toute évidence au conspirati­onnisme voulant que la présidenti­elle du 3 novembre ait été frauduleus­e. Une réalité que des experts appellent la « radicalisa­tion de masse », où la confiance des gens dans le gouverneme­nt, le Congrès, la science et les médias mainstream s’effiloche à la faveur des récriminat­ions d’une nébuleuse d’extrême droite. Et une veine qu’exploitent d’influents jeunes loups « rétrumplic­ains » avançant démasqués, comme M. Hawley (41 ans), pourfendeu­r des élites côtières et urbaines (démocrates) et habile porteur d’un discours national-populiste à la défense de la classe ouvrière (blanche).

On en oublie presque, cela dit, qu’en contrepoid­s aux troubles de mercredi, les démocrates ont mis la main sur le contrôle du Sénat grâce à l’élection de deux sénateurs en Géorgie : Jon Ossoff, jeune documentar­iste de 33 ans, et Raphael Warnock (51 ans), apôtre de Martin Luther King. Deux candidats ouvertemen­t progressis­tes qui l’ont emporté contre deux républicai­ns ouvertemen­t pro-Trump. Et dont l’élection, bien que de justesse, traduit une prometteus­e évolution sociodémog­raphique de la Géorgie. Pour les démocrates, l’exploit est majeur dans un État traditionn­ellement républicai­n bien versé dans les stratégies de suppressio­n du vote des minorités — la voilà, la véritable fraude. Tout un pied de nez, en tout cas, au trumpisme. Qui arrive à point nommé.

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