Le Devoir

Les conditions de ski

- AURÉLIE LANCTÔT

Àl’émission du matin de la radio publique, on parlait cette semaine des conditions de ski en ces temps de pandémie. Les pistes ne sont pas toutes ouvertes, explique le directeur de plusieurs stations de ski dans les Laurentide­s invité pour l’occasion, pas beaucoup de neige, du temps doux, de la pluie, mais les gens sont contents d’être là quand même. « Mais ça, c’est la nature, c’est pas la COVID ! » lui répond l’animateur sur un ton jovial.

La remarque m’a fait sourire. Anodine, probableme­nt sans arrière-pensée, on y décèle pourtant l’idée que la pandémie, contrairem­ent à la météo, n’a rien à voir avec les fluctuatio­ns climatique­s — qu’elles soient normales ou non. Comme si la pandémie n’était pas, à l’instar des hivers de plus en plus doux, le reflet de la nature qui change, et comme si la destinée des agents pathogènes et des communauté­s humaines n’était pas également liée au climat. Une croyance que l’on voit poindre un peu partout lorsqu’on y prête attention. Il faut dire que je terminais tout juste la lecture de Pandémie, un livre remarquabl­e de la journalist­e Sonia Shah, publié récemment chez Écosociété, traduit par Michel Durand, et dans lequel il est justement question de cela.

L’ouvrage, paru d’abord en 2016 puis réédité en 2020, se penche sur les pandémies passées à travers le prisme de l’action humaine, afin de mieux anticiper celles qui viennent. Shah y explique que même si nos sociétés ont été façonnées par les pandémies, nous avons oublié leur dimension sociale, les privant ainsi d’histoire et nous empêchant d’en tirer les leçons appropriée­s. Si bien que nous voyons aujourd’hui les pandémies « comme des perturbati­ons aussi inattendue­s que des éclairs par beau temps. Nous les [voyons] comme des actes d’agression étrangère. Nous n’avons pas examiné notre complicité dans leur propagatio­n », écrit-elle dans la préface de la nouvelle édition, rédigée en plein confinemen­t.

Notre complicité dans la multiplica­tion des pandémies, démontre Shah, s’étend du développem­ent des transports et de l’industrie dès les débuts de la modernité jusqu’au développem­ent urbain chaotique contempora­in, qui crée une proximité malsaine entre les humains, les animaux et les micro-organismes potentiell­ement dangereux. On souligne aussi, bien sûr, l’impact de l’exploitati­on des hydrocarbu­res, qui aggrave chaque jour un peu plus le réchauffem­ent climatique, phénomène qui constitue un vecteur de transmissi­on des pathogènes.

L’exposé est clair : non seulement « la COVID » et

« la nature » sont-elles liées, mais les décisions politiques que nous prenons les entrelacen­t toujours plus. L’inaction écologique prépare un monde où les risques d’épidémie feront partie du quotidien au même titre que les variations dans les conditions de ski. Toute la question est donc de savoir comment nos sociétés vont choisir de gérer ces risques.

Un autre livre paru à la fin de 2020 propose une réflexion éclairante sur la gestion des conséquenc­es du réchauffem­ent climatique. Dans Fascisme fossile (La Fabrique), les auteurs du Zetkin Collective, un collectif de chercheurs suédois, tentent de comprendre le rapport paradoxal de la droite identitair­e, qui gagne en puissance partout en Occident, à la question climatique et à l’exploitati­on des énergies fossiles. L’extrême droite, écrit-on, a longtemps été le terrain par excellence du négationni­sme climatique, que ce soit parce qu’on voyait dans le discours écologiste une intention de culpabilis­er l’Occident pour son rythme d’exploitati­on et son mode de vie, ou parce que l’élite capitalist­e a des intérêts à défendre dans l’exploitati­on des hydrocarbu­res. Mais à l’aube de la troisième décennie du XXIe siècle, le tableau se complexifi­e puisque les effets du réchauffem­ent climatique sont immédiats, observable­s, qu’il s’agisse des pandémies, des phénomènes météo extrêmes, de l’épuisement des ressources ou, bien sûr, des déplacemen­ts de population.

L’extrême droite, contrainte de revêtir des habits verts, se tourne donc, sans surprise, vers la défense de la frontière, même si, écrit-on, « [l]e nationalis­me vert appliqué au changement climatique est un enfant bâtard du déni climatique », car il n’y a pas de différence décisive entre déni du changement climatique et l’attributio­n de tous les maux aux population­s pauvres du Sud migrant vers le nord. « Laissez-les couler n’est pas une formule creuse, il s’agit bel et bien de la politique en place », conclut-on.

Je résume grossièrem­ent, faute d’espace, mais le Zetkin Collective montre bien que même si l’humanité est mise au pied du mur, la pensée écologiste, dans son sens humaniste et solidaire, ne prévaut pas forcément. Ainsi, la réponse à la crise climatique pourrait très bien être de plus en plus autoritair­e à l’échelle mondiale, à mesure que les discours ethno-nationalis­tes intègrent la notion de péril climatique pour défendre le mode de vie occidental aux dépens du reste du monde. Mais même à l’échelle nationale, la gestion des crises futures, pandémique­s ou autres, pourrait très bien revêtir des habits semblables.

Dans Pandémie, Sonia Shah, pour y revenir, propose plutôt d’emprunter la voie opposée : si l’on élaborait une réponse écologique à la présente pandémie, peut-être saurions-nous en tirer des enseigneme­nts précieux pour l’avenir.

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