Le Devoir

Les alliances, prochaine étape de la rivalité sinoaméric­aine |

Sous Biden, les États-Unis en appellerai­ent à la création d’un Sommet des démocratie­s contre les « comporteme­nts abusifs de la Chine »

- ÉRIC DESROSIERS

Le départ de Donald Trump ne mettra pas un terme à la rivalité entre les géants américain et chinois. Mais elle prendra, peut-être, une forme plus complexe et plus organisée.

Après l’enfer que la pandémie de COVID-19 a infligé à la planète en 2020, il est facile d’oublier que l’année d’avant avait été la pire qu’avait connue l’économie mondiale depuis la crise financière de 2007-2009. L’une des principale­s causes de ce passage à vide avait été toutes ces guerres économique­s lancées par le président américain sur de multiples fronts, notamment contre l’autre grande puissance mondiale, la Chine, mais aussi contre les principaux alliés et partenaire­s des États-Unis ainsi que contre les institutio­ns et règles internatio­nales qu’ils avaient bâties ensemble en trois quarts de siècle.

La défaite de Donald Trump en novembre et son remplaceme­nt par Joe Biden dans moins de deux semaines devraient conduire à un changement profond d’attitude de la part des États-Unis, rapportent les observateu­rs, mais pas à ce qu’ils enterrent la hache de guerre contre la Chine. Le futur président démocrate a longtemps été convaincu, comme les autres leaders occidentau­x, que la meilleure façon d’amener la puissance émergente à se rapprocher des grands principes de l’économie de marché, de la règle de droit et peut-être même des valeurs démocratiq­ues n’était pas de l’isoler, mais de l’intégrer de plus en plus étroitemen­t dans des marchés et des institutio­ns dont les règles ont été fixées par les économies libérales, tout en maintenant la pression.

Le durcisseme­nt du régime chinois, les quatre ans de guerre des mots et des tarifs menée par Donald Trump et l’hostilité grandissan­te des élus et de la population de gauche comme de droite aux États-Unis ont convaincu Joe Biden, ces derniers mois, de continuer de présenter la Chine comme une rivale. Il ne ferme toutefois pas la porte à une coopératio­n entre les deux pays sur certains enjeux, comme la lutte contre les changement­s climatique­s, rapportait The Economist au mois de novembre.

L’union fait la force

C’est dans la manière de mener son combat que Biden se démarquera le plus de son prédécesse­ur, expliquait mercredi le Wall Street Journal. Plutôt que de continuer à jouer solo, les États-Unis se referaient le champion d’une approche multilatér­ale en en appelant notamment à la création d’un Sommet des démocratie­s destiné à « présenter un front uni d’amis et de partenaire­s contre les comporteme­nts abusifs de la Chine ». Il sera beaucoup plus difficile, à cette dernière, d’ignorer la voix de pays représenta­nt ensemble 60 % de l’économie mondiale que celle des États-Unis qui ne comptent que pour le quart, font valoir les conseiller­s de Biden. Washington essaiera aussi de créer d’autres regroupeme­nts plus petits autour d’enjeux plus spécifique­s, comme la course à la domination de la prochaine génération de technologi­es de télécommun­ication et d’intelligen­ce artificiel­le.

Les Américains ne devront toutefois pas s’étonner si leur appel à la solidarité suscite des réserves. Leurs habituels alliés européens, japonais, canadien ou australien n’oublieront pas de sitôt comment les États-Unis leur ont tourné le dos et s’en sont même directemen­t pris à eux au cours des quatre dernières années. L’Union européenne a d’ailleurs conclu, dans le temps des Fêtes, un accord sur les investisse­ments avec la Chine, qui ne règle pas la plupart des problèmes de fond qu’on lui reproche, mais qui témoigne de la volonté des Européens de garder leurs options ouvertes.

Coucou, c’est nous !

Puis, il n’y a pas que Joe Biden qui a compris que l’union fait la force. Pékin a présidé, en novembre, à la signature du Partenaria­t régional économique global, un traité de libre-échange regroupant 15 pays comptant pour presque le tiers de la population et de l’économie mondiales et auquel se sont notamment joints des alliés des États-Unis, comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. Le président chinois, Xi Jinping, a poussé l’audace jusqu’à dire qu’il envisageai­t d’adhérer au Partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te, une entente commercial­e regroupant 11 pays, dont le Canada, et concoctée à l’origine par le président américain Barack Obama pour faire obstacle à la Chine en ancrant les normes économique­s américaine­s dans la région, mais que les États-Unis ont quittée aussitôt que Donald Trump a mis le pied à la Maison-Blanche.

Les Occidentau­x devront démontrer beaucoup plus d’ambition et de constance dans leurs actions face à la Chine pour la convaincre d’adopter des comporteme­nts plus en accord avec leurs valeurs, disait au Devoir, il y a un an, le grand expert français de la Chine JeanPhilip­pe Béja. Quant aux Américains, ils devront se faire une raison et accepter que la Chine est là pour de bon et qu’ils n’exercent plus sur le monde le même pouvoir hégémoniqu­e qu’auparavant, écrivait la semaine dernière le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz sur le site Internet d’analyse Project Syndicate. « La seule façon d’aller de l’avant consiste à mettre en oeuvre un multilatér­alisme véritable, au sein duquel l’exception américaine serait subordonné­e de manière authentiqu­e à des intérêts et des valeurs communs, à des institutio­ns internatio­nales, ainsi qu’à une forme d’État de droit à laquelle les États-Unis ne sauraient faire exception. »

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ANGELA WEISS AGENCE FRANCE-PRESSE La défaite de Donald Trump en novembre et son remplaceme­nt par Joe Biden dans moins de deux semaines devraient conduire à un changement profond d’attitude de la part des États-Unis.

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