Le Devoir

Pour Roy-Desmarais, ça va bien (même si tout va mal)

Rencontre avec l’humoriste qui personnifi­ait le virus de la COVID-19 lors du Bye bye 2020

- DOMINIC TARDIF LE DEVOIR

Pierre-Yves Roy-Desmarais espère pouvoir amorcer le rodage d’un nouveau spectacle à l’automne, pour peu que le virus qu’il a incarné se laisse dompter

Toutte », lance PierreYves Roy-Desmarais en haussant les épaules, le regard ahuri, limite inquiétant, et la bouche ouverte. « Toutte va mal. » En 51 secondes, au début d’août 2020, l’humoriste sublimait notre accablemen­t collectif grâce à une musique presque violemment euphorique, porteuse d’un constat pourtant démoralisa­nt : après des mois d’arcs-en-ciel accrochés à nos fenêtres et de « ça va bien aller » prononcés avec de moins en moins de foi, la crise sanitaire n’était pas sur le point de se terminer.

Ça va mal devenait dès lors l’hymne pandémique dont nous avions besoin, la soupape réapparais­sant sur nos fils de nouvelles chaque fois que ce qu’il nous restait d’espoir était douché par la dure réalité d’une énième tuile. La chanson virale — c’est le cas de le dire — cumule aujourd’hui 2,2 millions de visionneme­nts, sur Facebook seulement.

L’ironie dans tout ça ? C’est en imaginant de brefs airs inspirés d’une tragédie mondiale que Pierre-Yves Roy-Desmarais a connu au cours des derniers mois les heures les plus réjouissan­tes de sa jeune carrière. « 2020, quelle belle année pour être un virus, 2020 quelle belle année pour moi », claironnai­t-il en personnifi­ant nul autre que le virus de la COVID19, dans le segment d’ouverture du récent Bye bye. Quelle belle année pour moi : malgré ses spectacles annulés et la désolation générale autour de lui, voilà une phrase que PierreYves Roy-Desmarais aurait pu prononcer lui-même sans blaguer.

Comment a-t-il eu l’idée de ces ritournell­es aux sonorités rappelant les jeux vidéo de première génération ? « On dirait que ça fait super longtemps, on ne s’en souvient pas, mais au début de la crise, tout le monde était sur Internet sans arrêt. Moi, habituelle­ment, je publie un message aux trois mois sur les réseaux sociaux et là, tout d’un coup, je ne pouvais pas m’empêcher de publier des jokes aux cinq minutes. J’écoutais aussi le show d’Adam Sandler en boucle [100 %

Fresh, dans lequel l’humoriste américain intercale de brèves portions chantées entre ses monologues] et ça m’a ouvert les yeux : il y a moyen de faire de l’humour avec la musique sans que ça devienne des tounes coupletref­rain, mais plus des petits univers musicaux », raconte au bout du fil celui qui amorçait sa série de jingles absurdes en mars avec Travailleu­r

autonome en congé, une sorte d’ode à la procrastin­ation, avant d’enchaîner avec d’autres titres comme BFF à

distance, une power ballade sur la douleur de l’amitié vécue chacun chez soi, et À boute, dont le titre se passe d’explicatio­ns.

Pierre-Yves Roy-Desmarais avait comme ambition pour 2020 d’aller à la rencontre du vaste Québec en assurant la première partie du spectacle

Les Morissette II (de Véronique Cloutier et Louis Morissette), évidemment reporté à plus tard. Ses vidéos lui auront épargné plusieurs kilomètres : sa page Facebook, qui comptait environ 16 000 abonnés en janvier 2020, en compte désormais plus de 116 000.

Enfant de l’impro

Né à Lachenaie (aujourd’hui Terrebonne) en 1994, Pierre-Yves RoyDesmara­is appartient à cette nouvelle génération d’humoristes qui, contrairem­ent à leurs prédécesse­urs, ont non seulement pu rêver à une telle carrière sans que papa et maman ne craignent de les voir manger de la misère, mais qui ont été encouragés par leurs parents à emprunter cette voie certes hasardeuse, mais balisée par le succès monstre de l’industrie de l’humour dans les années 90. Le petit Pierre-Yves a onze ans lorsque sa mère lui enjoint d’aller demander un autographe à Louis-José Houde sur scène, pendant un temps mort de son spectacle au Théâtre du VieuxTerre­bonne (l’humoriste badinait avec le public en attendant le retour d’une spectatric­e, partie aux toilettes).

« Mes parents sont particulie­rs », confie le principal intéressé, une quinzaine d’années plus tard, en appuyant sur l’adjectif « particulie­rs », mais avec toute l’admiration du monde dans la voix. Que font-ils comme boulot ? « Mes parents sont massothéra­peutes… Bon, ça ne dit pas grand-chose sur moi. Mais ce qui dit quelque chose, c’est que mes parents ont changé de job au tournant de la quarantain­e. Ma mère était designer de mode, mon père, ingénieur en électroniq­ue, ils étaient tannés de faire ça et tous les deux se sont plongés dans la massothéra­pie en malades. C’est un peu ça, la mentalité chez nous : écoute ce que ton coeur te dit de faire. »

Entre sa brève apparition auprès de Louis-José Houde et le sacre de sa participat­ion au Bye bye (« SimonOlivi­er Fecteau m’a écrit sur Instagram pour me demander si ça me tentait… eeeeeh… oui ! »), PierreYves Roy-Desmarais aura pris le détour des études en musique au cégep, puis en communicat­ions à l’université, un baccalauré­at qu’il n’a pas terminé. « J’ai surtout fait mon bac en impro », explique-t-il au sujet de son passage marquant sur cette patinoire où plusieurs de ses collèges ont fourbi leurs armes comiques (dont Arnaud Soly, Mehdi Bousaidan et Virginie Fortin).

À (seulement) 26 ans, le diplômé de la cohorte 2017 de l’École nationale de l’humour se distingue moins sur scène par le tranchant de ses propos que par son époustoufl­ante aisance, lui permettant de zapper en une millisecon­de d’un ton à l’autre, d’être ici ce désinvolte maître de cérémonie d’une autre époque, à la dégaine exagérémen­t choubidouw­a, et là, ce gamin trop heureux de se trouver sous les projecteur­s.

À quand un premier vrai spectacle officiel, demande-t-on à celui qui a déjà présenté deux différente­s heures de matériel au Zoofest (Bonjour en 2018 et Beau bébé en 2019) ? « Je suis prêt là, là », répond-il avec la confiance d’un gars qui ignorerait tout de ce qui se déroule présenteme­nt dans le monde. Il espère néanmoins pouvoir en amorcer le rodage à l’automne, pour peu que le virus qu’il a incarné se laisse dompter. Il sera aussi le 20 janvier du gala virtuel ComediHa ! animé par Bleu Jeans Bleu.

En sait-il davantage sur la « psyché » de ce coronaviru­s, maintenant qu’il s’est « glissé dans sa peau » pour la grand-messe satirique de fin d’année ? Pierre-Yves prend le ton d’un psychoéduc­ateur trop plein de sollicitud­e. « Disons que c’est quelqu’un qui a ses ambitions. Il veut avoir une belle vie comme tout le monde mais, malheureus­ement, ses objectifs vont à l’encontre des nôtres. Il veut répandre sa bonne nouvelle. Qui pour nous en est une très mauvaise. »

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? En 51 secondes, au début d’août 2020, l’humoriste sublimait notre accablemen­t collectif grâce à une musique presque violemment euphorique, porteuse d’un constat pourtant démoralisa­nt : la crise sanitaire n’était pas sur le point de se terminer.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR En 51 secondes, au début d’août 2020, l’humoriste sublimait notre accablemen­t collectif grâce à une musique presque violemment euphorique, porteuse d’un constat pourtant démoralisa­nt : la crise sanitaire n’était pas sur le point de se terminer.
 ?? BERTRAND EXERTIER ?? À (seulement) 26 ans, le diplômé de la cohorte 2017 de l’École nationale de l’humour se distingue moins sur scène par le tranchant de ses propos que par son époustoufl­ante aisance.
BERTRAND EXERTIER À (seulement) 26 ans, le diplômé de la cohorte 2017 de l’École nationale de l’humour se distingue moins sur scène par le tranchant de ses propos que par son époustoufl­ante aisance.

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