Le vin mythique est-il un mythe ?
Premier volet de cette série de confidences d’experts sur trois vins mythiques de leur cru
Soutirons doucement le liège élastique du goulot de ce tout nouveau millésime 2021 avec une thématique sur ces vins que l’on dit « mythiques ». Voyons ensemble, en compagnie d’ex-chroniqueurs, sommelières et formateurs, ce que « ça mange » un vin mythique et pourquoi il parvient à une telle consécration pour s’y maintenir au fil du temps. Pour ce faire, j’ai demandé à ces gens de métier de me proposer trois vins mythiques de leur cru. Suite des confidences, la semaine prochaine.
L’ex-chroniqueur vin à La Presse Jacques Benoit y va avec le porto Vintage 1976 Fonseca-Guimarens, « Monumental » ainsi que ce Pauillac 1961 Château Latour (« Le plus grand 1961 du plus grand millésime du XXe siècle ! »), avant de se concentrer sur le Corton 1911 Louis Jadot, dont il avance sans sourciller qu’il est « le plus grand vin rouge que j’aie bu de ma vie ». Rien de moins !
Oui, mais encore… Je le cite : « À une soirée et un repas de fête donnés à l’automne 2001 chez Louis Jadot (Beaune) en hommage aux 30 années de vinification de Jacques Lardière, en apercevant sur le menu le nom du Corton 1911 Louis Jadot, je crus spontanément que nous allions déguster… un cadavre. Non… Forcément mythique aux yeux des amateurs qui ont eu l’occasion d’en boire, ce vin délicat, d’une couleur très pâle, rosée, au bouquet indicible, d’une complexité et d’une élégance échappant à la description, tout en nuances fines, mêlant fleurs et fruits, s’affichait en bouche avec le même charme, le même éclat, la même subtilité, et une longueur incroyable. De la soie liquide ultrafine… 20/20. Âgé de 90 ans, ce merveilleux bourgogne n’avait jamais bougé de la cave de Jadot. Magie du vin… »
Magie du vin, oui. Ce que nous dit Benoit en consacrant ce vin mythique ? Que le fait de se maintenir et de se détailler harmonieusement plus encore dans le temps est l’une des prérogatives du vin de légende. Les femmes sont moins cartésiennes, plus globales dans leurs approches. Ainsi, comme en témoigne la Master Sommelière (MS) Élyse Lambert: « Un vin mythique, c’est ce nectar qui marque l’instant, qui touche l’indescriptible, nous transporte. Respectant son lieu de naissance, il fait en général — plutôt que de tenter de décrire sa justesse et sa complexité — que l’on se tait, tout simplement. C’est juste un moment de pur bonheur pour les sens. » Ici, le « lieu de naissance », mais aussi leurs auteurs (surtout pour les bourguignons) revêtent une importance capitale comme en témoignent ses trois vins fétiches, soit, le Meursault 2006 Coche Dury, le Vosne-Romanée 2005 de Leroy ou encore, ce Pauillac, Pichon Longueville Comtesse 1982.
Quant à la sommelière et autrice (Le guide du vin) Nadia Fournier, ses « classiques » à elle ont pour nom RomanéeConti 1989, Petrus 1990 et Vega Sicilia 1952. Moi, je ne dis pas non ! La notion de millésime devient-elle une part intégrante de ce qu’est ici un vin mythique ? Il est généralement admis que des vins comme ceux-ci, des crus dont la race ne fait aucun doute, sont à même de livrer, bon an mal an, une régularité qualitative qui échappera toujours aux autres, d’où leur statut privilégié. Audelà des réputations et des légendes urbaines véhiculées par trop de gourous du vin en mal d’attention, il demeure que, toujours selon Nadia Fournier, « dire que c’est une conjugaison de profondeur, de largeur et de longueur me paraît réducteur. Il y a dans les très grands vins quelque chose qui transcende les mots. Un peu comme un paysage dont aucune photo ne traduit vraiment la splendeur. Il fallait y être et le vivre à travers ses sens ». Ainsi, le vin mythique s’inscrit-il non seulement dans le temps, mais ce temps devient à lui seul une composante essentielle pour le « vivre » pleinement.
Un vin mythique, c’est ce nectar qui marque l’instant, »
qui touche l’indescriptible, nous transporte
ÉLYSE LAMBERT